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Accident du travail dans le secteur public : calcul de la rente

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 15 février 2022, R.G. 2021/AL/188

Mis en ligne le lundi 27 juin 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 15 février 2022, R.G. 2021/AL/188

Terra Laboris

Dans un arrêt du 15 février 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) interroge la Cour constitutionnelle sur la question de l’indexation de la rente d’incapacité permanente en cas d’accident du travail dans le secteur public.

Les faits

Un enseignant auprès d’un établissement dépendant de la Communauté française a été victime d’un accident du travail le 21 juin 1996.

L’employeur décida d’entériner la décision du MEDEX, qui concluait à l’absence d’incapacité permanente à partir du 30 novembre 2009.

Pour l’intéressé, cette incapacité permanente doit être de 20%.

Une requête a été déposée devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège) le 6 septembre 2012. Dans le cadre de cette procédure, par conclusions du 31 août 2020, l’employeur a introduit une demande reconventionnelle portant sur le remboursement d’un indu à hauteur de 73.270 euros.

La Communauté française se fonde sur les conclusions d’une expertise judiciaire qui est intervenue et a infirmé la décision du MEDEX. La Communauté française demande, en conséquence, que cette décision soit révisée en conséquence, la fin de l’incapacité temporaire totale étant intervenue selon l’expert à une date antérieure à celle retenue par le MEDEX.

Le tribunal du travail dit, par jugement du 2 mars 2021, l’action reconventionnelle recevable et, avant de statuer sur le fondement des deux actions, il écarta le rapport de l’expert judiciaire désigné, ordonnant une nouvelle expertise confiée à un autre expert.

La Communauté française interjette appel.

Position des parties devant la cour

Pour la Communauté française, il y a lieu de réformer le jugement entrepris, qui a écarté le rapport de l’expert initialement désigné. Elle sollicite l’entérinement de ce rapport, demandant à la cour également de dire qu’elle ne peut être condamnée qu’au paiement des indemnités dues pour les périodes d’incapacité temporaire, sous déduction de ce qui a été versé (et à la condition de la prise d’un arrêté ministériel d’octroi de la rente pour l’incapacité permanente partielle admise). Elle fixe la rémunération de base à 24.332,08 euros.

Quant à l’intimé, il introduit un appel incident, demandant à la cour de réformer le jugement en ce qu’il a estimé nécessaire une nouvelle mesure d’expertise, et propose que le règlement de l’accident intervienne sur la base d’une incapacité temporaire jusqu’au 29 novembre 2009 ainsi que d’une incapacité permanente de 10% à partir du 30 novembre 2009.

Il développe également une demande à titre subsidiaire.

La décision de la cour

La cour rend un long arrêt, dans lequel elle examine en premier lieu, sur le plan des dispositions applicables et de leur interprétation, la notion d’accident du travail ainsi que les présomptions légales. Elle en fait un rappel de principe.

Elle en vient ensuite au rôle du MEDEX dans le cadre de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 applicable au litige. Elle reprend les dispositions en vigueur à l’époque, cette institution s’appelant alors le « Service de santé administratif », avant d’être, comme tel est le cas aujourd’hui, l’« Administration de l’expertise médicale » (en abrégé MEDEX).

La cour rappelle que celle-ci est le « médecin-conseil de l’administration » et qu’elle fixe le pourcentage de l’incapacité permanente résultant des lésons physiologiques. Elle reprend la procédure administrative et souligne le rôle du MEDEX avant la modification intervenue par l’arrêté royal du 8 mai 2014 (applicable à partir du 1er juillet 2014), étant qu’alors le MEDEX était compétent (i) pour vérifier le lien de causalité entre l’accident du travail et les lésions, (ii) pour établir le lien de causalité entre l’accident du travail et les périodes d’incapacité de travail et (iii) pour fixer la date de consolidation, le pourcentage d’incapacité permanente et le pourcentage de l’aide de tiers.

La vérification du lien de causalité entre l’accident et les périodes d’incapacité de travail ne comprend pas, comme le rappelle la cour, le contrôle des absences. Quant à la portée de la décision médicale, elle souligne que celle-ci lie le juge et, avant lui, l’employeur. La situation de la victime ne peut qu’être améliorée (renvoyant à la doctrine de S. REMOUCHAMPS, « Le rôle du MEDEX », in Les accidents du travail dans le secteur public, Anthémis, 2015, pp. 268 à 271).

Ceci exclut donc que la décision du MEDEX lie l’employeur (et le juge) pour ce qui est de la fixation des périodes d’incapacité temporaire de travail et de la date de consolidation, la cour renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 7 mars 2016 (Cass., 7 mars 2016, n° S.15.0053.N) et aux conclusions de M. l’Avocat général VANDERLINDEN précédant cet arrêt.

Elle en vient ensuite au mécanisme de calcul de la rente tel qu’applicable, reprenant l’article 13 de la loi du 3 juillet 1967, qui, tel qu’en vigueur à l’époque, prévoyait un mécanisme d’indexation des rentes pour les accidents survenus depuis le 1er janvier 1990, sans seuil d’incapacité permanente. La loi du 30 mars 1994 a supprimé cette indexation lorsque l’incapacité permanente n’atteint pas 10%.

Elle passe ensuite à l’examen des dispositions correspondantes dans l’arrêté royal du 24 janvier 1969, dispositions relatives à la non-indexation du plafond légal (articles 13, 14 et 19). Eu égard au risque de discrimination de ces dispositions, la cour rappelle que deux tendances sont nées en jurisprudence, étant d’une part la position de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 5 mars 2018, R.G. 2017/AB/471), qui a considéré que le mécanisme de l’article 13, alinéa 2, de la loi ne s’applique qu’après que le montant de la rente a été correctement déterminé, à savoir qu’il a été fixé en fonction de la rémunération désindexée due à la date de l’accident et qu’il a été réindexé à la même date, et de l’autre celle de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, 18 juin 2018, R.G. 2015/AL/463 et 2017/AL/60), qui a écarté le mécanisme de désindexation prévu à l’article 14, § 2, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 pour les rentes correspondant à un taux d’incapacité permanente inférieur à 16%.

La cour ajoute qu’une troisième tendance s’est dégagée, consistant à appliquer mécaniquement la loi, en désindexant la rémunération de référence, en appliquant le plafond légal le cas échéant et en indexant ensuite les rentes pour les taux d’I.P.P. de plus de 16%.

Elle constate qu’elle ne peut suivre aucune des deux thèses correctrices ci-dessus et qu’en conséquence, il y a lieu d’interroger la Cour constitutionnelle, et ce « dans le cadre d’une vision d’ensemble du mécanisme applicable dans le secteur public, sans distinguer d’une part la désindexation (réglementaire) de la rémunération de référence indissociable de l’application du plafond légal fixe de rémunération et d’autre part la non-indexation (légale) de la rente en dessous du seuil d’incapacité permanente de 16% ».

Elle se fonde, à propos de l’article 13, alinéa 2, de la loi, sur les positions doctrinales de J. JACQMAIN (J. JACQMAIN, note sous C. trav. Bruxelles, 5 mars 2018, Chron. D. S., 2019, p. 361) et de S. PALATE (S. PALATE, « L’indemnisation de l’incapacité de travail dans le régime des accidents du travail : quelle (l)égalité pour les travailleurs du secteur privé et du secteur public ? », in Questions choisies en droit de la sécurité sociale, Anthémis, 2021, Actes du colloque organisé par la Commission Université-Palais le 25 novembre 2021, pp. 55 et s.).

Deux questions sont posées, la Cour étant interrogée sur une possible violation des articles 10 et 11 de la Constitution si l’article 13, alinéa 2, est interprété comme excluant toute indexation, vu la différence de traitement entre les victimes d’un accident qui se sont vu allouer une « petite incapacité » dans le secteur public d’une part et dans le secteur privé de l’autre. La seconde question porte sur l’interprétation selon laquelle la non-indexation de la rente lorsque l’incapacité n’atteint pas 16% ne s’applique qu’après que le montant de la rente a été correctement déterminé.

Intérêt de la décision

Il était grand temps que la Cour constitutionnelle intervienne dans cette problématique.

La Cour du travail de Liège a posé le problème, s’appuyant sur les diverses tendances en jurisprudence.

Relevons que la Cour constitutionnelle avait déjà été interrogée quant au plafond de la rémunération applicable et qu’elle avait conclu en substance, dans un arrêt du 21 janvier 2016 (C. const., 21 janvier 2016, n° 9/2016), que le législateur n’a pas voulu une simple extension des règles du secteur privé au secteur public, eu égard aux caractéristiques propres à chaque secteur et en particulier au fait que le statut des agents de l’Etat est généralement de nature réglementaire, alors que l’emploi dans le secteur privé est de nature contractuelle. Le fait que le plafond de la rémunération de base diffère dans les deux secteurs s’explique par la différence de capacité de gain des deux catégories de personnes, dont les composantes – pensions et indemnités extra-légales – sont favorables tantôt au secteur public tantôt au secteur privé. Dans le secteur privé, le plafond servant à fixer la rente est fixé annuellement (indexation), alors que dans le secteur public, il est en principe (sauf revalorisation générale) en proportion de la rémunération annuelle non indexée. Elle était en l’espèce interrogée sur l’article 4, § 1er, de la loi (et non sur l’article 13, § 2).

Peu de jurisprudence existe sur cet article 13. Soulignons un jugement récent du Tribunal du travail francophone de Bruxelles (Trib. trav. fr. Bruxelles, 19 octobre 2021, R.G. 20/3.217/A – précédemment commenté), qui a renvoyé à l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 5 mars 2018 (C. trav. Bruxelles, 5 mars 2018, 2017/AB/471 – également précédemment commenté), le tribunal citant également l’arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 2011 (Cass., 14 mars 2011, n° S.09.0099.F). Ce jugement fait sienne la conclusion de la cour du travail, rappelant qu’au-delà de la question de la non-indexation, ou plutôt de la désindexation de la rémunération de base, se pose la question de l’indexation de la rente elle-même. Le jugement analyse également la jurisprudence de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, 18 juin 2018, R.G. 2015/AL/463 et 2017/AL/60 – également précédemment commenté), rappelant que cette cour du travail a soulevé la discrimination existante et a écarté en conséquence l’article 14, § 2, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969.

L’examen de l’ensemble des décisions rendues sur la question, ainsi que de la position de la doctrine autorisée citée dans l’arrêt commenté, nous amène à conclure, pour notre part, que la ratio legis de l’article 13, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1967, qui vise la non-indexation de la rente, n’a d’effet que pour l’avenir, disposition qui est alignée sur les mesures correspondantes existant dans le secteur privé pour les petites incapacités.


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