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Cotisations d’affiliation d’office : illégalité de l’article 36 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 novembre 2021, R.G. 2019/AB/509

Mis en ligne le lundi 27 juin 2022


Cour du travail de Bruxelles, 15 novembre 2021, R.G. 2019/AB/509

Terra Laboris

Dans un arrêt du 15 novembre 2021, la Cour du travail de Bruxelles conclut à l’illégalité de l’article 59 de l’arrêté royal du 21 décembre 1971 tel qu’il a été remplacé par l’article 36 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987, la section de législation du Conseil d’Etat n’ayant pas été consultée. La cour annule en conséquence une décision imposant une cotisation d’affiliation d’office sur la base de cette disposition.

Les faits

FEDRIS avait notifié à une petite société sa décision de procéder à son affiliation d’office en raison de l’occupation de personnel sans couverture d’assurance. La période allait du 1er octobre 2009 au 25 juillet 2010 (la société ayant régularisé sa situation pour la période ultérieure). Une cotisation d’office de l’ordre de 8.350 euros était réclamée. La notification précisait que l’affiliation d’office n’équivalait pas au paiement de la prime d’assurance mais constituait une sanction et qu’elle était fixée forfaitairement, des précisions étant données quant au mode de calcul.

La société, qui contestait le montant de la cotisation, saisit le Tribunal du travail francophone de Bruxelles le 19 mars 2013.

Intervint en cours de procédure l’arrêté royal du 27 mai 2014, qui permettait d’obtenir une réduction de la cotisation, cet arrêté modifiant celui du 30 décembre 1976 portant exécution de certaines dispositions de l’article 59quater de la loi. Il y ajouta un article 8ter précisant les cas dans lesquels le Fonds (FEDRIS) peut accorder la réduction de la cotisation, à savoir les cas dignes d’intérêt, dont les types étaient listés. Il s’agit des hypothèses où (i) le défaut d’assurance n’est pas imputable à une faute ou à une négligence de l’employeur ou résulte de circonstances exceptionnelles, (ii) le montant réclamé est excessif par rapport à la gravité de l’infraction et (iii) la réduction se justifie exceptionnellement pour des raisons impérieuses d’intérêt économique fédéral ou régional.

Une demande de réduction fut introduite par la société, celle-ci payant 10% du montant dû en principal. Une décision fut prise par le Comité de gestion, accordant une réduction de 50% au motif que le montant de la cotisation d’affiliation d’office était disproportionné par rapport à la gravité de l’infraction. La société paya sous toutes réserves et sans reconnaissance préjudiciable.

La procédure suivit cependant son cours, le tribunal statuant par jugement du 21 mai 2019, qui débouta la société.

Celle-ci interjeta appel.

La décision de la cour

La cour reprend en premier lieu l’évolution du cadre légal, procédant à une comparaison des textes successifs. L’arrêté royal du 21 décembre 1971 portant exécution de certaines dispositions de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail contenait initialement le texte réglant la matière (article 59). Il fut remplacé par l’arrêté royal du 10 décembre 1987 portant exécution de certaines dispositions de l’arrêté royal n° 530 du 31 mars 1987 (article 36).

La cour relève que des modifications de fond ont été apportées à ce moment quant au délai de paiement, au montant minimum et aux conditions d’application de la cotisation. Elle fait un tableau synoptique de l’évolution des textes, une dernière modification ayant été apportée par un arrêté royal du 10 novembre 2001. Elle reprend également les règles en matière de renonciation au recouvrement.

La question posée concerne plus particulièrement le fondement réglementaire. La société conteste la légalité de l’article 36 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987, au motif de l’absence d’avis préalable de la section de législation du Conseil d’Etat, et, en conséquence, de la décision elle-même. Elle demande l’écartement de cette disposition sur pied de l’article 159 de la Constitution.

La cour examine, ainsi, la légalité de cette disposition. Elle souligne que le fait de soumettre un acte de nature réglementaire à l’avis de la section de législation du Conseil d’Etat constitue une formalité substantielle d’ordre public qui conditionne la légalité de l’acte. Elle examine les hypothèses dans lesquelles il peut y avoir urgence permettant de dispenser de l’avis préalable de la section de législation, rappelant à cet égard que, s’il appartient aux ministres d’apprécier cette urgence, il incombe aux cours et tribunaux, conformément à l’article 159 de la Constitution, d’examiner si, en se dispensant de solliciter l’avis du Conseil d’Etat, les ministres n’ont pas excédé leur pouvoir en méconnaissance de la notion légale de l’urgence.

Le juge va dès lors vérifier non seulement les irrégularités manifestes, mais plus globalement encore la légalité interne et la légalité externe de tout acte administratif sur lequel est fondée une demande, une défense ou encore une exception.

La cour examine l’urgence invoquée en préambule de l’arrêté, à savoir que « pour l’exécution pratique des nouvelles dispositions légales prévues par l’arrêté royal n° 530 du 31 mars 1987, les dispositions administratives nécessaires doivent être prises d’urgence, tant par les assureurs agréés que par le Fonds des Accidents du Travail ».

Pour la cour, cette seule justification est insuffisante. Elle en retient deux motifs, dont elle souligne que chacun serait déterminant en lui-même, étant que d’une part rien dans le préambule n’indique en quoi l’urgence était telle qu’elle ne pouvait souffrir d’une consultation dans un délai de trois jours et d’autre part qu’un délai de plus huit mois s’est écoulé entre l’adoption de l’arrêté royal n° 530 du 31 mars 1987 et celui du 10 décembre 1987 (un autre délai de plus de vingt jours s’étant écoulé entre l’adoption de cet arrêté royal et sa publication au Moniteur belge).

Pour la cour, il y a dès lors illégalité de l’arrêté royal du 10 décembre 1987 et, en particulier, celle de son article 36 (étant celui qui a remplacé l’article 59 de l’arrêté royal du 21 décembre 1971). En conséquence, la décision de FEDRIS, qui se fonde sur cet article 59 tel que remplacé par l’article 36 litigieux, est illégale. Elle ajoute que la circonstance que la légalité de l’arrêté royal modificatif (arrêté royal du 21 mars 2000) ne soit pas entachée ne peut avoir pour conséquence de couvrir cette illégalité. En conséquence, la décision doit être annulée et la société est fondée à réclamer le remboursement des montants versés.

Intérêt de la décision

C’est à notre connaissance la première fois que la légalité de la disposition est questionnée et – si l’on suit le raisonnement de la Cour du travail de Bruxelles dans cet arrêt – c’est manifestement à juste titre.

La dispense de consultation de la section de législation du Conseil d’Etat est comme on le sait soumise à des conditions strictes, la cour rappelant d’ailleurs dans sa décision la doctrine à cet égard, ainsi que la jurisprudence du Conseil d’Etat dans son arrêt du 29 novembre 2000 (C.E., 29 novembre 2000, n° 90.167). Les motifs justifiant l’absence d’avis ont été, dans cette décision, repris comme étant au nombre de trois, ceux-ci devant être réels et pertinents et ne pouvant être démentis par les faits (notamment manque de diligence de l’autorité ainsi que retard mis à faire publier l’arrêté ou la date éloignée à laquelle il entre en vigueur), et l’existence de circonstances précises et particulières en raison desquelles la consultation n’aurait pu se faire sans compromettre la réalisation du but poursuivi ainsi que l’utilité et l’efficacité des mesures envisagées.

Rappelons que l’article 36 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987 avait apporté comme modifications le délai de paiement ainsi que le montant minimum de la cotisation et qu’étaient visées non plus l’hypothèse où l’employeur n’avait pas contracté « une assurance » mais celle où il avait négligé de conclure un contrat auprès d’un « assureur agréé ».

Ultérieurement, des arrêtés royaux sont encore intervenus, le premier en date du 21 mars 2000, qui a revu les pourcentages, et un autre du 10 novembre 2001, adaptant l’assurance contre les accidents du travail aux directives européennes, le mot « agréé » ayant été supprimé.


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