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Transfert d’entreprise et interdiction de licenciement : licenciement en lien avec le transfert

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 janvier 2022, R.G. 2020/AB/763 (NL)

Mis en ligne le mardi 14 juin 2022


Cour du travail de Bruxelles, 11 janvier 2022, R.G. 2020/AB/763 (NL)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 11 janvier 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que l’interdiction de licencier en cas de transfert d’entreprise au sens de la C.C.T. n° 32bis vaut non seulement pour les licenciements qui interviennent concomitamment au transfert mais également pour ceux qui sont liés à des discussions menées dans le cadre de celui-ci, ce qui peut couvrir ceux intervenus plusieurs mois avant le transfert lui-même.

Les faits

Un employé, en service depuis 2002 pour le compte d’une agence bancaire en qualité de conseiller clientèle, est licencié en novembre 2017. Il doit prester un préavis de douze mois et treize semaines. Il demande les motifs de son licenciement, qui lui sont donnés. Le gérant de l’agence expose avoir demandé en juin 2017 un crédit d’investissement pour faire des travaux, crédit qui a été refusé. S’y ajoute un autre problème avec la banque en cause et le gérant expose en conséquence que la poursuite de la collaboration avec celle-ci n’était plus possible. Il n’aurait eu d’autre solution que de mettre un terme aux contrats de travail en cours. Pendant le préavis, il est mis fin à la collaboration moyennant paiement du solde de la période qui aurait dû être prestée.

Une procédure est alors introduite devant le Tribunal du travail de Louvain.

Celle-ci se fonde notamment sur l’existence d’une reprise du portefeuille bancaire de la société employeur par une autre société. Il est en effet apparu qu’en date du 30 juillet 2018, un acte notarié est intervenu actant la constitution d’une société composée de deux autres, dont la société employeur, qui ne conserve dans la nouvelle configuration qu’une seule part sur cent, les autres appartenant à une autre société avec laquelle elle s’est associée. Auparavant, en date du 21 décembre 2017, cette même société (majoritaire dans la société qui sera constituée) a conclu une convention avec la société employeur portant sur la reprise du portefeuille bancaire. Ceci a dès lors entraîné la cessation de l’activité d’agence pour la banque en cause et le transfert immédiat du portefeuille à la société en constitution.

La reprise définitive du portefeuille intervint finalement non à la date du 31 mars 2018, comme initialement projeté, mais au 18 septembre. Un mailing fut envoyé à la clientèle, signalant la fusion de deux agences, et la nouvelle équipe fut présentée, reprenant d’ailleurs le demandeur.

Il s’avéra que la société en constitution fit deux propositions à celui-ci en vue de conclure un nouveau contrat. Le premier fut daté de décembre 2017 pour une entrée en service le 31 mars 2018 et le second (sans date) prévoyait un début de prestation au 17 septembre 2018. L’intéressé refusa les deux propositions.

L’organisation syndicale à laquelle il est affilié entra en contact avec la société en décembre 2018, précisant que celui-ci faisait toutes réserves quant à ses droits issus de l’application de la C.C.T. n° 32bis. La société répondit, contestant que celle-ci puisse trouver à s’appliquer.

La requête introduite devant le Tribunal du travail de Louvain le 12 septembre 2019 portait, outre sur des arriérés de bonus et avantages (pécule de vacances) et une indemnité compensatoire de préavis complémentaire et autres postes liés à l’exécution du contrat (chèques-repas et arriérés de bonus pour avantages non récurrents liés aux résultats), sur une demande d’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable. Ce dernier poste était présenté, à titre subsidiaire, comme la réparation de la violation de la C.C.T. n° 32bis.

Le jugement du tribunal du travail

Par jugement du 5 novembre 2020, le Tribunal du travail de Louvain déclara l’action recevable mais partiellement fondée, n’admettant que le poste relatif aux chèques-repas. L’employé fut condamné aux dépens, étant essentiellement l’indemnité de procédure fixée à 1.200 euros et à la contribution forfaitaire de 20 euros au Fonds d’aide juridique de deuxième ligne.

Appel fut interjeté devant la Cour du travail de Bruxelles.

La décision de la cour

Un long rappel est fait des règles relatives au transfert d’entreprise dans le cadre de la C.C.T. n° 32bis.

Les conditions du transfert telles que définies au travers de la jurisprudence de la Cour de Justice sont passées en revue, la cour soulignant que la C.C.T. n° 32bis garantit les droits des travailleurs dans toutes les hypothèses de changement d’employeur dû au transfert conventionnel d’une entreprise ou d’une partie d’entreprise. Sont également longuement reprises les hypothèses de transfert.

La cour conclut qu’il s’agit en l’espèce d’un transfert. Les documents produits montrent en effet que les activités de la société employeur ont été apportées à une nouvelle société, qui les a poursuivies. Elle rappelle l’article 9 de la C.C.T. n° 32bis, en vertu duquel le changement d’employeur en lui-même ne peut être un motif de licenciement, ni pour le cédant ni pour le cessionnaire, et que, dans son arrêt BORK (C.J.U.E., 15 juin 1988, Aff. n° 101/87, BORK INTERNATIONAL, EU:C:1988:308), la Cour de Justice a précisé que cette interdiction de licenciement vaut pour le cédant avant le transfert comme pour le cessionnaire après celui-ci.

En l’espèce, la cour du travail constate que le licenciement par la société cédante date de bien avant le moment de la reprise des activités par la société cessionnaire, le congé avec préavis ayant été signifié le 14 novembre 2017 alors que le transfert d’entreprise n’est intervenu finalement que le 18 septembre 2018.

Elle rappelle que, dans un arrêt du 19 juin 2014 (C. trav. Bruxelles, 19 juin 2014, R.G. 2011/AB/68), la Cour du travail de Bruxelles a jugé que les licenciements auxquels il est procédé au cours de discussions concernant la possibilité d’un transfert d’entreprise doivent être considérés comme suspects vu qu’ils peuvent refléter la volonté de se soustraire aux obligations de la directive européenne et de la C.C.T. n° 32bis.

En l’espèce, l’employé avait été approché dès le mois d’octobre 2017 afin de discuter de la possibilité de la poursuite de la collaboration à l’avenir, réunion suite à laquelle il avait fait toute une série d’observations. Pour la cour, le licenciement intervenu immédiatement après est incontestablement en lien avec les discussions relatives à la reprise et l’employé doit être considéré comme étant en service au moment du transfert, de telle sorte que l’employeur devait respecter les obligations de la C.C.T. n° 32bis. Elle précise encore que le fait que celui-ci a refusé de signer un nouveau contrat de travail et qu’après la reprise il n’a pas presté pour la société repreneuse ne change rien à cette conclusion, le refus intervenu datant d’après le transfert.

La demande d’indemnisation ayant été formée, à titre principal, dans le cadre de la notion de licenciement manifestement déraisonnable au sens de la C.C.T. n° 109, la cour procède à un rappel des règles en la matière. Pour ce qui est du quantum, celui-ci est fixé à six semaines de rémunération.

Intérêt de la décision

L’importance de l’arrêt commenté n’échappera pas, puisque le licenciement est intervenu près d’un an avant la reprise effective de l’activité par la société nouvellement constituée. L’enseignement de la décision est que sont donc visés dans le cadre de la C.C.T. n° 32bis non seulement le licenciement concomitant au transfert mais également celui qui intervient dans la genèse de celui-ci.

L’on peut à cet égard renvoyer à un autre arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 19 novembre 2014, R.G. 2010/AB/80 – précédemment commenté) pour un licenciement intervenu cinq mois après la reprise de l’activité par le cessionnaire.

La cour considère ainsi qu’est couvert tout licenciement intervenant dans le cadre des discussions relatives à la possibilité d’une reprise, non seulement à partir de la chronologie des faits, mais également des éléments de la cause (discussion quant à la poursuite de la collaboration à l’avenir, etc.).

L’on notera, sur le plan de la réparation, que celle-ci a été limitée à six semaines de rémunération, sans que ce point ne fasse l’objet de développements particuliers dans l’arrêt.

Il a été admis, dans d’autres décisions, que, par le rapprochement avec l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 (supprimé actuellement), cette indemnité pouvait être de six mois (C. trav. Bruxelles, 19 juin 2014, R.G. 2011/AB/68 – également précédemment commenté).


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