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Secteur des soins de santé : notion de travail de nuit

Commentaire de Cass., 13 décembre 2021, n° S.19.0014.F

Mis en ligne le mardi 14 juin 2022


Cour de cassation, 13 décembre 2021, n° S.19.0014.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 13 décembre 2021, la Cour de cassation a jugé qu’avant 2010, le personnel travaillant en maisons de repos qui n’était pas occupé principalement entre 20 heures et 6 heures n’avait pas droit au supplément de salaire pour travail de nuit prévu par la C.C.T. du 7 décembre 2000 conclue au sein de la commission paritaire des services de santé.

Faits de la cause

Le litige oppose la Résidence Charlemagne à une dame Z.N.C. qui a travaillé pour cette maison de repos et de soins comme garde-malade du 26 février 1997 au 2 septembre 2010, son horaire habituel se situant entre 15 heures et 21 heures. Il porte sur la notion de prestations irrégulières et plus particulièrement de « prestations pendant la nuit », au sens de l’article 3, § 1er, la C.C.T. du 7 décembre 2000 donnant droit à un supplément de salaire conformément à son article 8, § 1er, à la condition, selon son article 12, que le gouvernement en assume la prise en charge.

Mme Z.N.C a, par requête déposée le 29 mars 2012 devant le Tribunal du travail de Liège, réclamé un supplément de salaire pour les heures prestées entre 20 et 21 heures entre 2007 et 2010 et les pécules de vacances sur ces montants.

Mme Z.N.C. soutenait que ces heures étaient du travail de nuit au sens de la convention collective de travail du 7 décembre 2000 conclue au sein de la commission paritaire des services de santé, relative aux suppléments pour prestations irrégulières, rendue obligatoire par arrêté royal du 14 janvier 2002 (ci-après C.C.T. du 7 décembre 2000).

L’employeur soutenait qu’avant la modification de l’arrêté ministériel du 6 novembre 2003 par celui du 30 juin 2010, les prestations de 20 à 21 heures dans l’enchaînement d’une prestation essentiellement effectuée de jour n’étaient pas prises en charge par l’I.N.A.M.I. et donc ne donnaient pas droit à ce sursalaire.

Le tribunal a dit cette demande non fondée. Mme Z.N.C. a interjeté appel de cette décision.

L’arrêt attaqué

La Cour du travail de Liège (chambre 3-A, R.G. 2017/AL/32) a, par un arrêt du 30 mars 2018, dit cet appel fondé et condamné l’employeur, au titre de réparation en nature, à payer la somme de 997,79 euros bruts et les dépens, réservant à statuer sur la date de prise de cours des intérêts sur le principal. Par son arrêt du 25 juin 2018, elle a condamné l’employeur au paiement des intérêts au taux légal à dater de chaque échéance salariale négligée.

La cour du travail relève que l’article 35, § 2, de la loi du 16 mars 1971 sur le travail dispose que, par travail de nuit, il faut entendre le travail exécuté entre 20 heures et 6 heures. Elle en déduit que, pour l’application de la C.C.T. du 7 décembre 2000 pendant la période litigieuse, la seule interprétation conforme à cet article 35, § 2, est que toute prestation de travail exécutée entre 20 heures et 6 heures constitue du travail de nuit.

L’arrêt examine alors si le sursalaire était financé par l’I.N.A.M.I. pour la période litigieuse.

La cour du travail relève les dispositions pertinentes de la loi relative à l’assurance soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994 :

  • l’article 34 énumère comme prestations de soins celles fournies par les maisons de repos et de soins et les maisons de repos pour personnes âgées ;
  • l’article 35, § 3, prévoit que des tarifs différents peuvent être fixés lorsque les prestations désignées par le Roi répondent à des conditions complémentaires qu’Il fixe, concernant notamment les conditions de travail du personnel ;
  • l’article 37, § 12, charge le Ministre de fixer l’intervention pour ces prestations et ses conditions.

L’arrêté royal du 26 septembre 2002 portant exécution de l’article 35, § 3, prévoit un supplément pour les prestations irrégulières, dont celles exécutées la nuit : celles-ci sont majorées d’un supplément de minimum 35% conformément à l’article 12, § 1er.

L’arrêté ministériel du 6 novembre 2003 fixant le montant et les conditions de l’intervention visée à l’article 37, § 12, de la loi prévoit également en ses articles 7 et 30 le financement desdites heures irrégulières.

L’arrêt attaqué en déduit que la condition prévue par l’article 12 de la C.C.T. du 7 décembre 2000 était donc remplie.

Le moyen unique de cassation

Le moyen invoque notamment la violation des articles 35 et 36 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail, des articles 1, 2, 3, 8 et 12 de la C.C.T. du 7 décembre 2000, des articles 34, 35 et 37 de la loi relative à l’assurance soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994, des articles 1,7 et 12 de l’arrêté royal du 26 septembre 2002 et des articles 6, 7 et 30 de l’arrêté ministériel du 6 novembre 2003.

La demanderesse soutient que, pour la période litigieuse, à l’exception de l’année 2010, la prise en charge du sursalaire par l’I.N.A.M.I. n’était prévue que pour le travail de nuit et ne s’étendait pas à des prestations effectuées entre 20 heures et 21 heures dans l’enchaînement d’une prestation essentiellement effectuée de jour, comme c’était le cas de la défenderesse.

La demanderesse appuie son analyse sur les modifications intervenues à partir de 2010. Ainsi, les arrêtés royaux du 22 juin 2010 et 28 décembre 2011 vont prévoir que toutes les heures prestées entre 20 heures et 6 heures sont considérées comme des heures de nuit et l’arrêté ministériel du 30 juin 2010 va augmenter le financement des prestations irrégulières.

Les conclusions du ministère public

Ces conclusions, publiées sur le site Juportal, examinent tout d’abord la notion de « régime de travail comportant des prestations de nuit » au sens de l’article 38 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail tel que remplacé par la loi du 17 février 1997, dans le but de donner à cette notion la même teneur que celle adoptée par la C.C.T. n° 46 conclue le 23 mars 1990 au sein du Conseil national du travail. Sont ainsi exclus de cette notion les travailleurs dont les prestations soit se situent exclusivement entre 6 heures et 24 heures, soit débutent habituellement celles-ci à partir de 5 heures.

Dans le secteur des soins de santé, la C.C.T. du 7 décembre 2000 (modifiée par celle du 30 juin 2006) présente comme équivalent le personnel « travaillant la nuit » ou « effectuant des prestations de nuit », cette dernière formulation se rapprochant des termes de l’article 38 et de la C.C.T. n° 46. Il s’en déduit que les partenaires sociaux n’ont pas entendu accorder le sursalaire pour toutes les heures qui sont du travail de nuit au sens de l’article 35 de la loi du 16 mars 1971 mais uniquement aux travailleurs occupés dans des régimes de travail comportant des prestations de nuit.

Les conclusions examinent également le financement du supplément de salaire. Ainsi, l’article 12 de l’arrêté royal du 26 septembre 2002, qui a pour objet d’adapter l’intervention de l’assurance soins de santé aux accords sociaux conclus dans le secteur, prévoit un supplément au salaire barémique octroyé « au personnel travaillant la nuit », notion reprise dans l’arrêté ministériel du 6 novembre 2003 et qui doit être identique à celle retenue dans la C.C.T. du 7 décembre 2000, s’agissant d’adapter l’intervention de l’assurance aux accords sociaux conclus dans le secteur.

Les conclusions examinent encore l’évolution législative postérieure à la période litigieuse, qui prévoit le financement du sursalaire « pour toutes les heures prestées entre 20 heures et 21 heures », ce qui a impliqué des moyens supplémentaires.

Elles concluent à la cassation de l’arrêt du 30 mars 2018 et, par voie de conséquence, de celui du 25 juin 2018.

L’arrêt de la Cour de cassation

La Cour casse l’arrêt du 30 mars 2018 et annule par voie de conséquence l’arrêt du 25 juin 2018, renvoyant la cause devant la cour du travail de Mons.

1.
La Cour rappelle le contenu des articles 1er, 13 et 14 de la convention collective de travail n°46 conclue le 23 mars 1990 au sein du Conseil national du travail rendue obligatoire par l’arrêté royal du 10 mai 1990.

Elle précise qu’en principe le travail de nuit, défini comme le travail exécuté entre 20 heures et 6 heures, est interdit en vertu de l’article 35 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail, remplacé par la loi du 17 février 1997 relative au travail de nuit. L’article 36 de la loi du 16 mars 1971 prévoit cependant la possibilité de déroger à l’interdiction, notamment (36, 9°) dans les établissements ou par des personnes dispensant des soins de santé. L’article 38 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail, remplacé par la loi du 17 février 1997, règle l’introduction d’un régime de travail comportant des prestations de nuit.

L’article1er de l’arrêté royal du 16 avril 1998 d’exécution de la loi du 17 février 1997 dispose qu’il faut entendre par régime de travail comportant des prestations de nuit un régime de travail comportant des prestations entre 20 heures et 6 heures, à l’exclusion des régimes de travail dans lesquels ne sont occupés que des travailleurs dont les prestations soit se situent exclusivement entre 6 heures et 24 heures, soit débutent habituellement à partir de 5 heures.

2.
La Cour souligne qu’il « ressort des travaux préparatoires de la loi du 17 février 1997 que, pour l’application de cet article 38, l’intention du législateur était de reprendre la notion de travail de nuit figurant dans la convention collective de travail n° 46 ».

3.
La Cour relève que la C.C.T. du 7 décembre 2000 accorde un supplément de salaire pour les prestations irrégulières, notamment « au personnel travaillant la nuit » et, après sa modification par la C.C.T. du 30 juin 2006, au personnel « effectuant des prestations de nuit ».

Elle examine ensuite la prise en charge des coûts de ce supplément par le gouvernement et plus particulièrement les articles 1er et 12 de l’arrêté royal du 26 septembre 2002 portant exécution de l’article 35, § 2, de la loi A.M.I. et les articles 6,7 et 30, 5°, de l’arrêté ministériel du 6 novembre 2003 pris en exécution de l’article 37, § 12, des lois coordonnées.

4.
La Cour en déduit que la prise en charge par l’I.N.A.M.I. concerne le personnel « travaillant la nuit ».

5.
Elle conclut que : « Il suit de l’ensemble des dispositions précitées que ces travailleurs travaillant la nuit sont ceux auxquels s’appliquent la convention collective de travail n°46 et l’article 38 de la loi du 16 mars 1971, c’est-à-dire les travailleurs occupés dans des régimes de travail comportant des prestations entre 20 heures et 6 heures et non ceux dont les prestations soit se situent exclusivement entre 6 heures et 24 heures, soit débutent habituellement à partir de 5 heures ».

L’arrêt attaqué du 30 mars 2018, qui décide que l’assurance soins de santé prend en charge, avant 2010, le « supplément de salaire pour toute heure de travail de nuit au sens de l’article 35 de la loi du 16 mars 1971, c’est-à-dire toute heure de travail exécutée entre 20 heures et 6 heures, viole les articles 1 de l’arrêté royal du 26 septembre 2002 et 6, 7 et 30, 5°, de l’arrêté ministériel du 6 novembre 2003. »

Intérêt de la décision

La problématique du sursalaire pour travail de nuit dans le secteur des soins de santé et sa prise en charge par l’I.N.A.M.I. avant 2010 n’est pas neuve.

Terra Laboris a publié sur son site un arrêt de la 9e chambre de la cour du travail de Liège du 14 août 2012 (R.G. 2011/AL/534) qui, par confirmation du jugement dont appel, a donné raison au prestataire de soins pour la période avant 2010. Soulignant que les C.C.T. des 7 décembre 2000 et 30 juin 2006 ne précisaient pas les notions de travail pendant la nuit et de personnel travaillant la nuit, la cour du travail a, comme le premier juge choisi de se référer à la définition légale du travail de nuit de l’article 35, § 2, de la loi du 16 mars 1971 sur le travail, dont se déduit que le travail effectué entre 20 heures et 21 heures est du travail de nuit.

Concernant l’absence de la prise en charge du sursalaire par l’I.N.A.M.I., la cour du travail retient qu’elle est le corollaire d’interprétations restrictives et dépourvues de toute justification de la notion de travail de nuit, qui ne peuvent faire obstacle au droit au sursalaire.

Ainsi que le soulignent les conclusions du Parquet de cassation la difficulté du dossier commenté « tient aux mots utilisés et aux définitions, dont il est permis de se demander s’ils recouvrent toujours les mêmes notions ».

L’arrêt du 30 mars 2018 cassé par l’arrêt commenté avait, comme l’arrêt du 14 août précité, fondé son raisonnement sur la définition du travail de nuit de l’article 35, § 2, de la loi du 16 mars 1971. Les conclusions du Parquet et l’arrêt de la Cour de cassation considèrent qu’avant 2010, il convenait de fonder le raisonnement non sur cet article 35 mais sur l’article 38 de la loi précitée, les termes « régimes de travail comportant des prestations de nuit » de cet article 38 se rapprochant des termes présentés comme équivalents dans l’article 8 de la C.C.T. du 7 décembre 2000 de personnel « travaillant la nuit » et « effectuant des prestations de nuit ».


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