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Personnes handicapées : appréciation de la réduction d’autonomie

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 13 octobre 2021, R.G. 2021/AL/32

Mis en ligne le mardi 31 mai 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 13 octobre 2021, R.G. 2021/AL/32

Terra Laboris

Dans un arrêt du 13 octobre 2021, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle un principe de base de l’évaluation de la réduction d’autonomie, étant qu’une même source de handicap doit être prise en considération pour la cotation de plusieurs fonctions si elle affecte chacune d’entre elles.

Les faits

Par décision faisant suite à une demande d’allocations formée le 28 mai 2015, l’Etat belge a réservé une suite défavorable, refusant les deux allocations.

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège), qui, par jugement du 16 décembre 2020, a admis, suite à l’avis de l’expert judiciaire qu’il avait désigné, une perte de capacité de gain de plus de deux tiers ainsi qu’une réduction d’autonomie de neuf points. L’intéressé s’est donc vu reconnaître le droit à certains avantages sociaux et fiscaux ainsi qu’aux deux allocations, l’allocation d’intégration étant de catégorie I.

Appel a été interjeté de ce jugement par l’assuré social, qui demande de se voir reconnaître une réduction d’autonomie de douze points, et ce aux fins de bénéficier d’une allocation d’intégration majorée ainsi que des avantages sociaux et fiscaux correspondants.

La cour est saisie de cette demande, ainsi que d’un appel incident de l’Etat belge, qui entend voir limiter à sept points l’évaluation de la perte d’autonomie (le tribunal ayant retenu un chiffre de 9)..

L’arrêt de la cour

La cour procède au rappel du cadre légal, étant les articles 2, § 2, et 6, §§ 2 et 4, de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées. Ces dispositions portent sur les conditions d’octroi de l’allocation d’intégration.

La cour rappelle que le Roi a reçu pour mission de déterminer, et ce par arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres, les degrés, les critères ainsi que la manière et la détermination de l’autorité qui va établir ce manque d’autonomie.

Un arrêté royal d’exécution est ainsi intervenu en date du 6 juillet 1987, couvrant à la fois l’allocation de remplacement de revenus et l’allocation d’intégration. Un guide ainsi qu’une échelle médico-sociale ont été prévus par un arrêté ministériel et les facteurs d’évaluation sont ainsi déterminés, étant au nombre de six (possibilité de se déplacer, d’absorber ou de préparer sa nourriture, d’assurer son hygiène personnelle et de s’habiller, d’assurer l’hygiène de son habitat et d’accomplir les tâches ménagères, de vivre sans surveillance et d’être conscient des dangers, ainsi que de communiquer et d’avoir des contacts sociaux).

Les points sont attribués en fonction du degré de difficulté pour la personne handicapée de remplir les tâches ci-dessus, quatre niveaux étant ici prévus, s’agissant de déterminer (i) s’il n’y a pas de difficultés, (ii) s’il y a des difficultés limitées, (iii) des difficultés importantes ou (iv) si l’action visée est impossible sans l’aide d’un tiers ou sans accueil dans un établissement approprié ou un environnement entièrement adapté.

L’arrêté ministériel du 30 juillet 1987 contient une annexe imposant la méthode d’évaluation. Celle-ci doit être faite pour chaque fonction et va porter sur les conséquences de l’ensemble des handicaps présentés par la personne examinée. La cour souligne que, plus spécifiquement sur la question de l’hygiène personnelle, l’évaluation doit se faire en tenant compte non seulement de la capacité physique de l’intéressé, mais également de sa compréhension des activités elles-mêmes.

Elle examine dès lors dans quelle mesure le rapport d’expertise peut permettre au juge de procéder à l’évaluation légale, après avoir rappelé qu’une même source de handicap doit être prise en considération pour la cotation de plusieurs fonctions si elle affecte chacune d’entre elles. Ce point important a été souligné en doctrine, la cour renvoyant à M. DUMONT et N. MALMENDIER (M. DUMONT et N. MALMENDIER, « Les allocations aux personnes handicapées », Guide social permanent – Sécurité sociale : commentaires, Kluwer, Partie III, Livre II, Titre II, Chapitre II, 2, n° 140 et références citées).

L’arrêté ministériel donne de nombreux exemples de cette règle. Ainsi, s’il existe des difficultés ou des limitations principalement dans une fonction déterminée, elles doivent également intervenir si elles ont des répercussions sur d’autres critères. Rien n’autorise, comme le souligne la cour, de ne prendre en compte une difficulté ou un handicap que pour un seul des facteurs envisagés par l’article 5 de l’arrêté royal.

Elle reprend également un point mis en exergue dans l’annexe à l’arrêté ministériel, étant qu’en cas de handicap physique, les contacts sociaux peuvent être limités en raison des difficultés de déplacement. Ces difficultés doivent en outre être prises en compte au titre du critère relatif aux difficultés d’absorber ou de préparer la nourriture lorsqu’elles ont pour conséquence des limitations dans l’achat des aliments.

En l’espèce, la cour constate que l’expert s’est appuyé, pour sa conclusion, sur le présupposé qu’il ne fallait pas « mélanger » les critères, c’est-à-dire ne pas compter la même réduction d’autonomie pour plusieurs critères.

Pour la cour, cette approche est contraire au mécanisme légal et l’opinion de l’expert ne peut être suivie. Ceci avait d’ailleurs également été la conclusion du tribunal, qui était, pour sa part, arrivé à un total de neuf points, justifiant l’octroi de l’allocation d’intégration dans la catégorie II.

La cour désigne dès lors un nouvel expert avec la même mission.

Intérêt de la décision

La position de la Cour du travail de Liège est claire, dans ce bref arrêt : il s’agit bien – contrairement à ce que l’expert avait cru pouvoir faire – de « mélanger » les critères, étant de prendre en considération les conséquences du handicap eu égard à chacun des critères légaux. C’est un principe de base de l’évaluation de la perte d’autonomie, rien n’autorisant de ne prendre une même source de handicap en considération que pour un seul critère. L’écartement du rapport d’expertise se justifie dès lors et la désignation d’un autre expert également.

La jurisprudence est constante quant à ce principe.

L’on peut renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 12 avril 2021 (C. trav. Bruxelles, 12 avril 2021, R.G. 2020/AB/457), qui a jugé que, pour évaluer le degré d’autonomie, il faut tenir compte de la possibilité ou non d’accomplir la fonction mais aussi de la rapidité avec laquelle elle est accomplie, des efforts et de la peine associés à l’accomplissement, à l’emploi de prothèses ou de toute forme de service rendu à la personne handicapée et de la nécessité, permanente ou non, de l’aide d’autrui. L’énumération donnée dans l‘échelle médico-légale n’est par ailleurs pas exhaustive et les exemples accompagnant chaque fonction ne doivent pas être interprétés de manière cumulative. Enfin, il faut évaluer la situation moyenne et non la situation particulière de la personne au moment de l’évaluation.

La question de la prise en compte de la situation moyenne et non de la situation particulière de la personne au moment de l’évaluation est également importante et la Cour du travail de Bruxelles l’avait également rappelé dans un arrêt du 4 janvier 2011 (C. trav. Bruxelles, 4 janvier 2011, R.G. 2020/AB/95), où elle avait énoncé que, dans l’évaluation du degré d’autonomie, il faut considérer la situation moyenne et non la situation particulière de la personne handicapée au moment de l’évaluation. L’on ne peut dès lors se baser uniquement sur l’examen clinique auquel un médecin (médecin-inspecteur, médecin-expert, etc.) procède un court instant, mais prendre en considération la réalité des difficultés que la personne déclare rencontrer en général, pour autant que celles-ci soient en concordance avec le diagnostic posé et/ou corroborées par des pièces (rapport de consultation d’un médecin-traitant, rapport d’un assistant social, etc.).

Enfin, la question des contacts sociaux est essentielle dans l’évaluation et ceux-ci ont pu être définis de manière très adéquate dans un arrêt de la même cour du 1er mars 2021 (C. trav. Bruxelles, 1er mars 2021, R.G. 2020/AB/225). La cour y a conclu que l’item relatif aux difficultés pour se déplacer concerne les possibilités de communiquer ainsi que celles d’avoir des contacts sociaux. Actuellement, ces derniers sont possibles de différentes manières (entretiens téléphoniques, vidéo-conférences, mails, etc.), procédés qui n’existaient pas lors de l’adoption du Guide pour l’évaluation du degré d’autonomie. Cet item n’est donc pas limité aux contacts sociaux en présentiel, obligeant l’intéressé à se rendre auprès d’autres personnes.


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