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Remboursement d’allocations familiales indues : point de départ du délai en cas de fraude

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 novembre 2021, R.G. 2020/AB/270

Mis en ligne le mardi 31 mai 2022


Cour du travail de Bruxelles, 9 novembre 2021, R.G. 2020/AB/270

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 novembre 2021, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles en matière de répétition d’indu dans une situation de fraude, le point de départ du délai de prescription quinquennale étant le moment où l’institution de sécurité sociale (à savoir la caisse) a eu connaissance de celle-ci. La cour souligne également que la mise en place d’inscriptions domiciliaires séparées est constitutive en elle-même d’une fraude au sens de la loi.

Les faits

Une bénéficiaire d’indemnités A.M.I., mère de deux enfants, bénéficie pour ceux-ci d’allocations familiales majorées, et ce du fait de sa situation d’invalide et vu ses revenus.

Dans le courant des années 2016 et 2017, une enquête aboutit au constat que, malgré des résidences principales officielles distinctes, la mère et le père des enfants ont leur résidence principale effective à la même adresse. Celle-ci a varié à plusieurs reprises au fil du temps.

L’auditorat du travail a transmis les procès-verbaux dressés à l’I.N.A.M.I. et une notification a dès lors été envoyée à l’organisme assureur. Par ailleurs, FAMIFED (à l’époque) a transmis l’information à la caisse d’allocations familiales.

Une demande de renseignements quant aux revenus du ménage est envoyée par cette caisse à la mère, qui n’y donne pas suite.

Un indu est ultérieurement notifié. Il est de l’ordre de 15.300 euros, correspondant à la différence entre le barème majoré et le barème ordinaire pour une période allant du 1er janvier 2008 au 31 janvier 2017. Les revenus du ménage dépassent en effet le plafond prévu par l’article 50ter de la loi générale, qui autorise l’octroi du supplément.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail du Brabant wallon, recours qui sera déclaré non fondé.

Appel est interjeté et, dans le cadre de celui-ci, le père est appelé par la partie appelante à intervenir dans la cause.

Position des parties devant la cour

La mère, appelante, sollicite l’annulation de la décision administrative et, subsidiairement, elle soulève un argument de prescription en vue d’obtenir la limitation de l’indu à la date du 28 janvier 2016. A titre plus subsidiaire encore, au cas où seraient retenues des manœuvres frauduleuses, entraînant un allongement du délai de prescription à cinq ans, elle sollicite la limitation également de la période pour laquelle le supplément est à récupérer.

En tout état de cause, elle demande la condamnation du père au paiement des sommes dues et formule encore une argumentation en cascade sur l’ensemble des éléments du litige.

La caisse sollicite la confirmation du jugement, tout en introduisant un appel incident, et demande la condamnation solidaire ou in solidum des parents, au cas où la responsabilité du père serait retenue.

Quant à ce dernier, il demande à la cour de considérer la demande en intervention et garantie irrecevable ou, subsidiairement, non fondée.

La décision de la cour

La cour reprend les principes relatifs aux conditions d’octroi des suppléments d’allocations versés aux travailleurs invalides (octroi visé à l’article 56, § 2, de la loi générale et subordonné à des conditions, dont celle relative aux revenus).

Vient ensuite l’examen de la fraude, dans la mesure où la cohabitation n’est pas contestée, entraînant de ce fait l’indu réclamé. De l’existence ou non d’une fraude dépend la durée du délai de prescription applicable à l’action en récupération. Et la cour en vient ici à l’article 120bis de la loi, qui prévoit un délai de trois ans, celui-ci prenant cours à la date à laquelle le paiement est effectué (alinéa 1er). Le délai est cependant porté à cinq ans si les prestations payées indûment ont été obtenues à la suite de manœuvres frauduleuses ou de déclarations fausses ou sciemment incomplètes (alinéa 3).

Reste à savoir si le couple a fraudé, sachant, comme le rappelle la cour, que la fraude ne se présume pas et que la preuve doit être apportée par l’institution de sécurité sociale.

Pour la cour, les inscriptions domiciliaires séparées alors que le couple vit ensemble sont en elles-mêmes constitutives de fraude. Un formulaire P19 est en effet à remplir par la mère et celle-ci y a déclaré vivre seule avec ses enfants et n’a repris que ses seuls revenus. Il s’agit de déclarations fausses.

Quant à la prescription applicable, la cour rappelle la modification de l’article 120bis, puisque, dans sa version actuelle (soit depuis le 1er août 2013), le point de départ a été modifié, étant que le délai de prescription quinquennale (applicable en cas de fraude) prend cours à partir de la date à laquelle l’institution a connaissance de celle-ci (ou du dol ou des manœuvres frauduleuses). Il s’agit d’un apport de la loi-programme du 28 juin 2013. La règle est dès lors rappelée par la cour : avant le 1er août 2013, le délai de prescription quinquennale prenait cours à partir du paiement des allocations (à défaut de précision dans le texte) et, à partir du 1er août 2013, il débute à la date à laquelle l’institution a connaissance de la fraude, du dol ou des manœuvres frauduleuses.

Renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Namur) du 23 janvier 2018 (C. trav. Liège, div. Namur, 23 janvier 2018, R.G. 2017/AN/68), la cour précise, en ce qui concerne l’application dans le temps du nouveau texte, que les dettes d’indu qui n’étaient pas prescrites sous l’empire de la loi ancienne sont régies par la loi nouvelle.

En conséquence, ce qui était prescrit au 1er août 2013 le reste, ceci visant les paiements antérieurs au 1er août 2008, mais, pour les autres paiements, le nouveau régime de prescription quinquennale est d’application, en ce compris pour ce qui est du report dans le temps du point de départ.

La période litigieuse va donc être celle de juillet 2008 (le paiement des allocations ayant été fait en l’espèce le 6 août 2008) à janvier 2017, de telle sorte que l’indu originaire est légèrement réduit (700 euros environ). La caisse ayant été informée le 27 mars 2018, le délai de prescription de cinq ans a pris cours à cette date et n’expirera que le 27 mars 2023.

La demande ne peut dès lors être rejetée au motif de prescription.

Les intérêts sont également dus sur les suppléments indus, et ce en vertu de l’article 21 de la loi du 11 avril 1995 (Charte de l’assuré social), et ce au taux légal en matière sociale (article 2, § 3, de la loi du 5 mai 1865 relative au prêt à intérêt).

Enfin, sur la recevabilité de la demande en intervention, il s’agit d’une intervention forcée agressive au sens des articles 15 et 16 du Code judiciaire. Or, celle-ci est interdite en degré d’appel en vertu de l’article 812, alinéa 2, du Code judiciaire, la cour rappelant la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 7 novembre 2013, n° C.12.0095.N), qui a jugé que cette interdiction est absolue.

Intérêt de la décision

La matière de la récupération de l’indu en allocations familiales contient deux particularités, la première relative à la durée du délai de prescription (la distinction faite entre l’indu « ordinaire » et l’indu lié à une fraude existant cependant dans d’autres matières de sécurité sociale) et la seconde relative au point de départ du délai de la prescription quinquennale en cas de fraude.

La Cour constitutionnelle a été saisie, eu égard à la modification de l’article 120bis par la loi du 28 juin 2013. Elle a conclu à l’absence d’inconstitutionnalité, dans un arrêt du 21 janvier 2021 (C. const., 21 janvier 2021, n° 9/21).

Elle a en effet jugé dans celui-ci que la fixation du point de départ du délai de prescription à la connaissance, par l’institution de sécurité sociale, de la fraude, du dol ou des manœuvres frauduleuses de l’assuré social tend à lutter contre la fraude sociale, dans le respect d’un juste équilibre entre l’objectif de sécurité juridique que poursuit un délai de prescription, la protection des assurés sociaux et le souci d’assurer l’effectivité de la récupération de sommes frauduleusement obtenues. L’article 120bis, alinéa 3, de la loi générale du 19 décembre 1939 relative aux allocations familiales et l’article 30/2 de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés, respectivement modifié et inséré par les articles 49 et 55 de la loi-programme du 28 juin 2013, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec son article 23.

Un autre point important de l’arrêt est qu’il confirme que la mise en place d’inscriptions domiciliaires séparées est en elle-même une fraude. Nous pouvons renvoyer ici à un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Namur) du 23 janvier 2018 (C. trav. Liège, div. Namur, 23 janvier 2018, R.G. 2017/AN/68 – précédemment commenté), qui a conclu dans le même sens. Celle-ci suffit à entraîner le délai de prescription de cinq ans.


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