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Incidence du libre arbitre sur la prescription

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 26 juin 2007, R.G. 7.782/2005 (I)

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Liège, sect. Namur, 26 juin 2007, R.G. 7.782/2005

Dans un arrêt du 26 juin 2007, la Cour du travail de Liège, section de Namur, considère que lorsque l’assuré social est dans un état psychopathologique tel qu’il ne comprend pas les raisons pour lesquelles son comportement est condamnable, c’est à l’organisme assureur de prouver qu’il était conscient de ses actes, l’incidence du libre arbitre influençant la prescription quinquennale, qui présuppose une fraude et donc une volonté consciente.

Les faits

M. B. est en incapacité de travail, indemnisé par sa mutuelle depuis le 23 août 1995. Ayant travaillé pendant son incapacité, sans demander préalablement l’autorisation du médecin conseil de sa mutuelle, celle-ci décide alors de récupérer les indemnités d’incapacité de travail, indûment payées.

La récupération est limitée aux jours pendant lesquels M. B. a effectivement travaillé, car, sur le plan médical, il conserve une incapacité de travail de 50% (article 101 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994).

La mutuelle notifie deux décisions, la première datée du 14 octobre 1999 et la seconde du 12 avril 2000.

Par la première décision, l’organisme assureur entend récupérer un indu de 690.910 FB (période du 1er octobre 1997 au 30 septembre 1999), retenant implicitement un délai de prescription de deux ans.

Par la seconde décision, suite à une visite de contrôle des services de l’Inami, qui a conclu à un indu portant sur une période débutant le 23 août 1995, la mutuelle annule et remplace sa première notification du 14 octobre 1999 et retient l’intention frauduleuse - et donc la prescription de cinq ans - pour réclamer les indemnités d’incapacité de travail depuis le début de l’incapacité.

M. B. n’introduit de recours que contre la première décision du 14 octobre 1999.

L’organisme assureur omet, quant à lui, de déposer une requête devant le tribunal du travail pour obtenir un titre exécutoire, suite à sa deuxième décision mais introduit, par contre, une demande reconventionnelle, dans le cadre du premier recours en récupération d’indu, en faisant donc application du délai de prescription quinquennale.

De son côté, l’Inami a notifié à M. B. une sanction administrative fondée sur l’article 2, 1° de l’arrêté royal du 10 janvier 1969 et deux autres sanctions administratives fondées cette fois-ci sur l’article 2, 4° et 6° du même arrêté royal (question que nous examinerons dans un prochain commentaire de ce même arrêt).

Les arguments des parties

M. B. étend son recours à la décision du 12 avril 2000, en invoquant le fait que cette décision ne comporte pas toutes les mentions requises, en sorte que le délai de recours n’a pas pris cours. Il demande aussi l’annulation de cette décision pour violation du principe général de confiance des administrés envers l’administration. Enfin, il fait valoir que la décision du 12 avril 2000 annule celle du 14 octobre 1999 en manière telle que, si la prescription quinquennale n’est pas retenue, elle doit alors porter sur les deux ans précédant cette décision et ne peut, donc, prendre cours que le 1er avril 1998 et non le 1er octobre 1997.

En ce qui concerne le délai de prescription applicable, la mutuelle maintient qu’il y a fraude et se fonde, pour ce faire, sur le fait que M. B. a une notion parfaite de l’argent et qu’il n’a pas été privé de son libre arbitre puisqu’il a pu faire le choix entre percevoir indûment des revenus ou déclarer l’activité, outre le fait qu’il a reconnu la matérialité de la reprise d’activité, ce qui démontre la conscience de ses actes.

La décision de la Cour du travail

La Cour du travail, statuant dans le cadre d’une réouverture des débats, commence par examiner les nouveaux arguments invoqués par M. B. à l’occasion celle-ci.

Elle rappelle qu’à cette occasion les parties ne peuvent pas introduire une demande nouvelle car la réouverture des débats permet au juge d’entendre les parties uniquement sur l’objet qu’il a déterminé.

En ce qui concerne la prescription, la Cour du travail l’examinera sans se prononcer sur la validité de la décision du 12 avril 2000, qui ne fait pas l’objet de la réouverture des débats.

Elle considère que le fait d’exercer une activité rémunératoire et de ne pas avoir déclaré cet exercice ne suffit pas à établir la fraude pendant toute la période considérée dès lors qu’il est constaté que l’assuré social est atteint d’une atténuation de la responsabilité en présence d’un état psychopathologique l’amenant à ne pas comprendre les raisons pour lesquelles son comportement est condamnable.

Pour la Cour du travail, c’est à l’organisme assureur de préciser quelles sont les périodes durant lesquelles Mr B. était conscient de ses actes et quelles sont les périodes durant lesquelles il ne l’était pas.

Cette preuve n’étant pas rapportée et aucune proposition de l’établir, notamment par recours à une expertise, n’étant formulée, la Cour du travail considère qu’il faut retenir le délai de prescription de deux ans.

L’intérêt de la décision

Les notions de dol et de fraude en matière de récupération d’indu sont diversement appréciées (voyez le discours prononcé par le Procureur général J. Leclercq lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour du travail de Mons le 2 septembre 1975, « La répétition de l’indu dans le droit de la sécurité sociale », in La doctrine du judiciaire ou l’enseignement de la jurisprudence des juridictions du travail, p. 318 et 319, éd. De Boeck Université, 1998).

Celui qui use de dol ou de fraude a dans chaque cas la volonté malicieuse de tromper l’administration en vue de son propre profit.

Le législateur vise donc tout agissement volontairement illicite dont certains bénéficiaires de prestations sociales usent pour en obtenir indûment l’octroi.

Dans les cas de dol et de fraude, la création d’un indu a donc pour cause cette volonté malicieuse d’y déboucher.

Dans un arrêt du 4 décembre 2006, la Cour de cassation a décidé que ni la considération que le bénéficiaire pouvait se renseigner quant à l’étendue de ses obligations à l’égard de son organisme assureur, ni la constatation qu’il n’a pas déclaré à celui-ci la poursuite d’une activité ne sont suffisants pour déduire l’existence de manœuvres frauduleuses.

A l’origine de la fraude, il y a donc un comportement fautif. Or, pour qu’il y ait fraude, il faut au minimum une volonté consciente, cette volonté ne suffisant évidemment pas à établir la fraude. C’est donc à l’organisme assureur d’apporter la preuve des éléments constitutifs de la fraude. En l’espèce, c’est donc à juste titre que la Cour du travail de Liège a considéré que le simple fait d’exercer l’activité rémunératoire et de ne pas déclarer cet exercice ne suffisent pas à établir la fraude.

Fallait-il pour autant ajouter « lorsque l’assuré social est atteint d’une atténuation de la responsabilité en présence d’un état psychopathologique l’amenant à ne pas comprendre les raisons pour lesquelles son comportement est condamnable » ? Nous pensons, en effet, que la condition d’être conscient de ses actes est évidemment un stricte minimum pour établir un comportement frauduleux mais que le fait, même conscient, d’exercer une activité rémunératoire et de ne pas avoir déclaré cet exercice ne suffit pas encore à établir la fraude.


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