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Sommes et avantages divers accordés au personnel : caractère rémunératoire ou non ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 27 octobre 2021, R.G. 2017/AB/950

Mis en ligne le vendredi 13 mai 2022


Cour du travail de Bruxelles, 27 octobre 2021, R.G. 2017/AB/950

Terra Laboris

Dans un arrêt du 27 octobre 2021, la Cour du travail de Bruxelles examine le caractère rémunératoire ou non de diverses sommes versées par une société (consultance en informatique) à son personnel, l’O.N.S.S. ayant considéré que des cotisations de sécurité sociale devaient être versées sur celles-ci.

Les faits

Une société spécialisée dans la consultance dans le domaine informatique fait l’objet d’un contrôle de l’O.N.S.S. Il s’agit d’un contrôle général effectué par la Direction générale de ses services d’inspection. L’objet du contrôle porte sur des différences salariales par rapport aux barèmes sectoriels pour certains employés ayant le statut de « cadre étranger » ainsi que sur des avantages en nature (rachat par le personnel à une valeur résiduelle très faible d’ordinateurs) ainsi que d’indemnités pour déplacement et logement à l’étranger et autres sommes forfaitaires (indemnités de non-concurrence, indemnités de procédure, « montants indemnités nets », indemnités de réinstallation, indemnités « chauffage », etc.). L’inspection a lieu en octobre 2013 et porte sur dix trimestres (3e trimestre 2010 – 4e trimestre 2012).

Après un contrôle sur place, l’O.N.S.S. envoie un courrier recommandé de régularisation de divers avantages. Le montant réclamé à ce titre est de l’ordre de 1.225.000 euros. L’extrait de compte fait apparaître, au titre de cotisations, majorations et intérêts, une somme de l’ordre de 1.640.000 euros.

Ce montant est payé sous réserve et des pourparlers interviennent, aboutissant à un avis rectificatif partiel.

Une procédure judiciaire est engagée par la société aux fins d’obtenir le remboursement de cotisations indues, avec les accessoires.

Le jugement du tribunal du travail

Par jugement du 3 octobre 2017, le tribunal du travail admet le recours en ce qui concerne le rachat d’ordinateurs, l’indemnité de non-concurrence à un travailleur, des frais qualifiés de « frais de bureau », ainsi que des indemnités forfaitaires pour déplacements professionnels.

Une réouverture des débats est ordonnée pour des indemnités octroyées aux employés détachés hors de Belgique.

Il s’agit des seuls postes restés litigieux.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

L’O.N.S.S. demande à la cour de conclure au non-fondement de la demande initiale et de condamner la société aux indemnités de procédure de première instance et d’appel, celles-ci étant de 37.500 euros.

La société sollicite quant à elle que la cour confirme le jugement sur les postes admis comme n’étant pas passibles de cotisations et qu’elle conclue de même pour des indemnités octroyées aux employés détachés hors de Belgique. Elle demande également le remboursement des sommes et la condamnation de l’O.N.S.S. aux mêmes dépens (à majorer des frais de citation).

La décision de la cour

La cour constate que restent en suspens, en ce qui concerne les postes passibles de cotisations eux-mêmes, la question de l’évaluation d’ordinateurs achetés par les travailleurs, les indemnités pour les employés détachés hors du territoire, l’indemnité de non-concurrence accordée à un ancien travailleur, ainsi que le remboursement de « frais propres à l’employeur » (étant des frais de bureau à domicile et des frais de déplacement de certaines catégories de travailleurs).

En droit, elle rappelle qu’il faut examiner si ces postes constituent de la rémunération au sens de la loi du 12 avril 1965, qui définit celle-ci en son article 2. L’arrêté royal du 28 novembre 1969 exclut quant à lui, en son article 19, § 2, 4°, de la notion, les sommes qui constituent des remboursements de frais que le travailleur a exposés pour se rendre de son domicile au lieu de travail ainsi que des frais dont la charge incombe à l’employeur. Ces derniers doivent correspondre à des dépenses supplémentaires réelles, tout en n’étant pas nécessairement inhérents à l’exécution du contrat mais devant être liés à l’occupation du travailleur et leur remboursement doit incomber à l’employeur quelles que soient la source et les modalités de cette obligation.

La cour renvoie à la doctrine sur cette question (étant P. NILLES, M. STONGYLOS et S. GILSON, « La notion de rémunération pour le calcul des cotisations de sécurité sociale dans le régime des travailleurs salariés : une vue d’ensemble », Regards croisés sur la sécurité sociale, Commission Université-Palais, Anthémis, Bruxelles, 2012, p. 1038).

Sur le plan de la charge de la preuve, c’est à l’O.N.S.S. d’établir le bien-fondé de ses prétentions, l’employeur pouvant, s’il entend se prévaloir d’une dérogation, établir son droit.

Pour ce qui est du remboursement de frais, la cour rappelle que la loi-programme du 23 décembre 2009 a modifié, à partir du 1er janvier 2010, l’article 14 de la loi du 27 juin 1969, concernant la preuve en cas de contestation sur le caractère réel de frais à charge de l’employeur. C’est à l’employeur de démontrer la réalité de ceux-ci.

Enfin, la cour rappelle, pour ce qui est des avantages en nature, qu’ils font l’objet d’une évaluation correspondant à leur valeur courante (article 20, § 1er, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969). Elle applique dès lors l’ensemble de ces principes à chacun des postes.

Pour ce qui est des ordinateurs, elle constate que ceux-ci ont été utilisés dans l’exercice des fonctions (ainsi qu’à titre privé, moyennant une intervention des membres du personnel à raison de 15 euros par mois). Le prix de rachat proposé est de 1,21 euro, et ce après trois ans d’utilisation. Ces ordinateurs sont amortis sur le plan comptable.

L’O.N.S.S. remet en cause la valeur de ces ordinateurs (non sur l’avantage tiré de l’usage privé avant le rachat mais sur la valeur de revente). Il se fonde sur l’existence d’une garantie de fabricant de cinq ans et considère qu’ils ont en conséquence une valeur marchande de 2/5e après trois ans.

Pour la cour, la seule référence à une possibilité d’extension de la garantie ne peut justifier d’estimer la valeur du bien à ce montant. N’est pas davantage retenu le fait que des sites internet affichent pour ce type de matériel une valeur de l’ordre de 500 à 900 euros, affirmation invérifiable et ne permettant pas non plus de retenir une base de calcul correspondante. Enfin, la cour relève les spécificités de configuration des appareils ainsi que l’usage intensif qui en a été fait pendant trois ans, s’agissant, pour la plupart des utilisateurs, de travaux de consultance en informatique.

L’O.N.S.S. échoue, en conséquence, à établir à suffisance les éléments de base de son calcul et le jugement est confirmé sur ce point.

Pour ce qui est des indemnités octroyées aux employés détachés hors du territoire (indemnités forfaitaires de 57 euros par jour), la cour considère qu’elles visent à couvrir les déplacements auprès de clients à l’étranger. Il n’est pas établi de double emploi avec le remboursement de frais réels ayant le même objet et le montant n’excède pas celui admis par les circulaires fiscales. Par ailleurs, la production de tous les justificatifs des frais couverts par cette indemnité ne peut raisonnablement être exigée et ce point est également confirmé (sauf pour trois travailleurs, pour lesquels la société a volontairement accepté la régularisation).

Une indemnité de non-concurrence fait également l’objet de discussions, celle-ci ayant été accordée à un seul travailleur.

Une convention de non-concurrence le concernant a été conclue en l’espèce et la cour considère qu’il y a lieu de vérifier, s’appuyant sur l’arrêt de la Cour de cassation du 22 septembre 2003 (Cass., 22 septembre 2003, n° S.03.0028.N – applicable à l’époque), si trois conditions sont réunies. Pour que l’indemnité ne puisse être considérée comme rémunératoire, il faut (i) que le contrat de travail n’ait pas contenu de clause de non-concurrence, (ii) que celle-ci ait été conclue après la fin du contrat et (iii) qu’il ne s’agisse pas d’une indemnité déguisée due pour la cessation de celui-ci.

En l’espèce, les trois conditions sont réunies, la cour ayant pu constater que le contrat a été rompu suite à la démission du travailleur, que celle-ci est postérieure et que le contrat initial ne contenait pas la clause litigieuse.

Sur les frais de bureau à domicile, le caractère réel de ceux-ci est constaté sur la base d’éléments circonstanciés. La cour rejette la position de l’O.N.S.S. selon laquelle ces frais devraient être « structurels et réguliers » ou qu’il s’agisse d’un contrat de travail à domicile. Pour la cour, l’Office ajoute à la loi. Il s’agit en effet de remboursement de frais réellement supportés par les travailleurs, frais dont la charge incombe à l’employeur.

Enfin, pour les frais de déplacement de certaines catégories de travailleurs, la cour constate qu’il s’agit d’un montant accordé à quelques travailleurs et qui excède le montant admis par l’O.N.S.S. (15 euros de parking et 15 euros de car-wash). Pour ce poste, la société faisant état d’un « ruling fiscal », la cour rappelle que les accords fiscaux ne sont pas comme tels opposables à l’O.N.S.S. et elle suit la position de l’Office sur ce poste.

Le jugement est dès lors confirmé pour les trois premiers postes mais non pour le quatrième. La cour a également réglé la question des indemnités pour les employés détachés en-dehors de la Belgique, pour lesquels aucune cotisation ne peut être réclamée.

Intérêt de la décision

Le caractère rémunératoire de sommes versées par l’employeur au titre de divers avantages fait régulièrement l’objet de vérifications, relatives à l’obligation de payer les cotisations de sécurité sociale sur la contre-valeur de ceux-ci.

Un intérêt particulier de l’affaire, outre qu’elle porte sur des avantages accordés à des catégories importantes (voire la totalité) des travailleurs, est la question de l’indemnité de non-concurrence.

La cour du travail a repris les conditions posées avant la modification de l’article 19, § 1er, alinéa 5, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 par l’arrêté royal du 24 septembre 2013 (arrêté royal modifiant l’article 19 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 pris en exécution de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs). Celui-ci a ajouté un alinéa 5 à l’article 19, § 1er, relatif à cette clause. Il dispose que, par dérogation à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, est considérée comme rémunération l’indemnité qui est payée directement ou indirectement au travailleur à la suite d’un contrat conclu dans un délai de douze mois après la fin de celui-ci, sur la base duquel l’ancien travailleur s’engage à ne pas débaucher de personnel ou de co-contractants indépendants auprès de son ancien employeur, soit en son propre nom et pour son propre compte, soit au nom et pour le compte d’un ou plusieurs tiers, et/ou s’engage à ne pas exercer d’activités similaires à celles qu’il exerçait chez son ancien employeur, soit en exploitant lui-même une entreprise, soit en entrant au service d’un employeur concurrent.

Cet ajout concerne non seulement la clause de non-concurrence, mais également celle de non-débauchage. Elle fixe un délai de douze mois après la fin des relations contractuelles comme critère permettant de qualifier l’indemnité en cause de rémunératoire.


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