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Conditions de la réduction de la cotisation d’office en cas de non-assurance de l’employeur en matière d’accidents du travail

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 9 novembre 2021, R.G. 20/1.983/A

Mis en ligne le vendredi 29 avril 2022


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 9 novembre 2021, R.G. 20/1.983/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 9 novembre 2021, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) rappelle la jurisprudence de la Cour constitutionnelle en la matière, reprenant la nature du pouvoir du Comité de gestion de FEDRIS et les conditions de l’arrêté royal du 30 décembre 1976 permettant la réduction de la cotisation en cause.

Rétroactes

Une société a introduit un recours devant le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) contre une décision de FEDRIS, qui a confirmé le montant d’une cotisation d’affiliation d’office à sa charge et l’a condamnée à rembourser le montant de celle-ci, à majorer des intérêts de retard au taux légal. A titre subsidiaire, c’est l’annulation de la cotisation elle-même qui est demandée et, à titre plus subsidiaire encore, la réduction de celle-ci à 10% du montant réclamé.

La société exerce en effet une activité d’intermédiaire dans le secteur immobilier et ne conteste pas être en défaut de paiement de sa prime d’assurance pendant une période d’un an environ. Il s’agit de la période du 10 août 2017 au 2 août 2018. Le 13 juillet 2018, FEDRIS l’a informée que, du fait de l’occupation de personnel sans assurance (ce dont l’Agence a été informée par l’assureur-loi, qui l’a informée de la résiliation de la police pour non-paiement des primes), il a été décidé de procéder à l’affiliation d’office pour la période non assurée. FEDRIS rappelle qu’il s’agit d’une sanction, dont le montant est compris entre 85 et 250 euros par travailleur et par mois calendrier. En conséquence, est réclamé un montant de l’ordre de 6.760 euros. Le 30 janvier 2019, la cotisation n’ayant pas été entièrement apurée, FEDRIS applique une majoration ainsi que des intérêts de retard, vu le retard de paiement. La majoration est de 10% du montant dû.

La société paie cette somme et introduit ensuite une demande de réduction de la cotisation d’affiliation auprès du Comité de gestion, faculté offerte par l’article 8ter de l’arrêté royal du 30 décembre 1976 pris en exécution de l’article 59bis de la loi sur les accidents du travail. Cette demande est rejetée. Le motif est que, dans la mesure où les prestations excèdent huit heures par semaine, la réduction pour cause de disproportion ne peut être prise en compte. FEDRIS communique le montant de la dette principale restant dû, étant quasi la totalité.

Position de la partie demanderesse devant le tribunal

La société considère que la sanction est de nature pénale et que le tribunal est tenu de vérifier l’existence de motifs susceptibles de lui permettre de bénéficier d’un sursis.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend le cadre législatif, étant, pour ce qui est de la loi du 10 avril 1971, ses articles 49 (relatif à l’obligation pour l’employeur de souscrire une assurance contre les accidents du travail) et 50 (affiliation d’office en cas de défaut).

Les conditions de cette cotisation ont été fixées à l’article 59 de l’arrêté royal du 21 décembre 1971 portant exécution de certaines dispositions de la loi du 10 avril 1971, étant notamment le montant de la cotisation annuelle, qui est de 2,5% du montant prévu à l’article 39, alinéa 1er, de la loi (rémunération de base), montant pouvant être porté à 3, 4 ou 5% en cas de négligence plus ou moins étendue dans le temps. En outre, sont prévus par la réglementation des intérêts de retard et une majoration de 10%.

Le tribunal rappelle encore que l’intérêt de retard au sens de l’article 59ter, alinéa 3, de la loi est celui de l’intérêt légal fixé par la loi du 5 mai 1865 relative au prêt à intérêt, en son article 2. En vertu de cette disposition, le taux d’intérêt légal en matière sociale est fixé à 7%, et ce même si les dispositions sociales renvoient au taux d’intérêt légal en matière civile et pour autant qu’il n’y ait pas de dérogation expresse (le tribunal citant notamment la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs).

Appliqués au cas d’espèce, ces principes l’amènent rapidement à aborder la question posée par la partie demanderesse sur la nature de la sanction et il rappelle l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 22 octobre 2015 (C. const., 22 octobre 2015, n° 146/2015), qui s’est notamment prononcé sur celle-ci. La sanction ne peut être qualifiée de sanction pénale, et ce au motif que, même si le montant est fixé de manière forfaitaire et qu’il peut être supérieur aux primes d’assurance, il ne peut pour autant en être déduit que les cotisations présenteraient un caractère dissuasif et répressif et constitueraient une sanction d’une telle gravité qu’elle pourrait se voir conférer ce caractère. Il s’agit d’une sanction de nature essentiellement civile et la Cour constitutionnelle a rappelé que celle-ci est prévue dans l’intérêt du financement de la sécurité sociale. Elle est dès lors hors champ d’application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le tribunal du travail a compétence, en vertu de l’article 64 de la loi, pour statuer notamment sur les contestations relatives à ce type de sanctions. Dès lors qu’elles sont de nature civile, celui-ci ne peut appliquer une mesure de sursis, qui est une mesure pénale.

Dans la ligne de cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles a retenu la même conclusion dans un arrêt du 16 décembre 2020 (C. trav. Bruxelles, 16 décembre 2020, R.G. 2018/AB/598).

Le tribunal reprend, enfin, l’objectif visé, étant de rencontrer la mutualisation du risque encouru du fait de l’absence d’assurance, et ce tant à l’égard des travailleurs que de la sécurité sociale. Il refuse dès lors d’annuler la cotisation.

Quant à la demande d’annuler la décision elle-même, et ce pour défaut de motivation au sens de la loi du 29 juillet 1991, elle est également rejetée.

Le tribunal rappelle ensuite les conditions légales de la réduction. La société fait en effet valoir une série d’arguments (absence d’infraction par le passé, déménagement, difficultés avec Bpost, etc.). Elle considère, vu ce contexte, ne pas avoir commis de faute.

Pour le tribunal, ce qu’il faut établir est que l’une des conditions visées à l’article 8ter de l’arrêté royal du 30 décembre 1976 est rencontrée, cette disposition permettant la réduction dans des cas dignes d’intérêt. Le jugement insiste sur la troisième de ces conditions, étant que la réduction peut se justifier exceptionnellement pour des raisons impérieuses d’intérêt économique, fédéral ou régional (les deux autres visant l’hypothèse où le défaut d’assurance n’est pas imputable à une faute ou à une négligence de l’employeur ou résulterait de circonstances exceptionnelles (1°) ou que le montant réclamé est excessif par rapport à la gravité de l’infraction (2°)).

Pour accorder la réduction, le Comité de gestion doit statuer à l’unanimité et prendre une décision motivée. Il dispose cependant d’un pouvoir discrétionnaire et le tribunal rappelle ici la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 9 août 2016, R.G. 2009/AB/51.921) sur le rôle du juge dans une telle hypothèse, étant qu’il doit exercer un contrôle de légalité et qu’il ne peut se substituer à l’administration, ce qui enfreindrait le principe de la séparation des pouvoirs. Le contrôle de légalité ne peut déboucher que sur l’annulation de la décision.

En l’espèce, la société voit l’ensemble de ses arguments rejetés, le tribunal constatant qu’elle n’invoque pas de raisons impérieuses d’intérêt économique, fédéral ou régional (celles-ci pouvant justifier exceptionnellement la réduction des cotisations) et que les deux autres conditions de l’article 8ter ne sont pas rencontrées.

Le tribunal considère dès lors qu’il ne peut modifier la décision du Comité de gestion, qui est libre d’accorder ou non la réduction, en appréciant son opportunité.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) fait le tour complet de la question.

Il est en effet acquis depuis l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 22 octobre 2015 que, si la cotisation d’affiliation d’office est une sanction, celle-ci est de nature civile. Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle a en effet considéré en substance que le caractère forfaitaire des cotisations d’affiliation d’office dues par l’employeur en défaut d’assurance contre les accidents du travail vise à rencontrer la mutualisation du risque encouru du fait de l’absence d’assurance tant à l’égard des travailleurs concernés que de la sécurité sociale. La mesure est une sanction de nature essentiellement civile, dans l’intérêt du financement de la sécurité sociale, et n’entre pas dans le champ d’application de la C.E.D.H. Dès lors que la contestation est de nature civile, l’impossibilité pour les juridictions du travail d’appliquer une mesure comme le sursis est raisonnablement justifiée.

Le jugement a cependant rappelé les conditions dans lesquelles le Comité de gestion (et non le juge) peut accorder la réduction de la cotisation, étant que peuvent lui être soumis des cas dignes d’intérêt. Ceux-ci sont au nombre de trois et ont été repris ci-dessus. Le tribunal confirme dans son jugement la nature discrétionnaire de la compétence du Comité de gestion dans son appréciation du cas et la limitation considérable du contrôle judiciaire, en conséquence. Celui-ci porte uniquement sur la légalité de la décision et l’on peut, à cet égard, penser au non-respect de l’article 8ter de l’arrêté royal du 30 décembre 1976 en ce qu’il prévoit l’exigence d’une décision unanime et motivée.

Dans un jugement du 22 mars 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) (R.G. 20/849/A) a jugé exactement dans le même sens. Il a précisé, pour ce qui est du contrôle judiciaire, que celui-ci porte sur la légalité de la décision attaquée, le juge vérifiant si l’autorité n’a pas exercé son pouvoir de manière déraisonnable ou arbitraire. Il n’y a pas de pouvoir de substitution du juge. Le contrôle est en conséquence un contrôle marginal, qui portera sur la compétence de l’auteur de l’acte, la violation des formalités prescrites à peine de nullité, des formes substantielles, sur le respect des principes de bonne administration ainsi que sur la légalité externe de la décision (exactitude des faits, de leur qualification juridique et existence d’un examen sérieux du dossier). Le contrôle de légalité peut uniquement donner lieu à l’annulation de la décision en cause.


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