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Preuve de l’événement soudain : éléments à charge de la victime

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 4 octobre 2021, R.G. 2019/AL/608

Mis en ligne le vendredi 29 avril 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 4 octobre 2021, R.G. 2019/AL/608

Terra Laboris

Dans un arrêt du 4 octobre 2021, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle que le travailleur qui sollicite la réparation légale suite à un accident du travail est tenu d’apporter la preuve de divers éléments, cette preuve devant être certaine. A défaut, sa demande sera rejetée.

Les faits

Un ouvrier électricien a demandé l’indemnisation d’un accident du travail dont il aurait été victime alors que, travaillant dans une gare de la région liégeoise, il a dû faire un effort pour traverser la voie du chemin de fer, avec sa caisse à outils. Ayant posé son pied sur la voie, il déclare avoir ressenti une douleur au genou gauche. Il a poursuivi son travail. Il ne s’est présenté aux urgences que le lendemain dans l’après-midi et a prévenu son employeur, selon ses dires. Il déclare avoir reçu le numéro du conseiller en prévention, à qui il a d’ailleurs adressé un courriel trois jours plus tard. La déclaration d’accident a alors été complétée quelques jours après, par ce conseiller en prévention. L’accident a été déclaré dans les termes ci-dessus.

Deux mois et demi plus tard, l’assureur-loi a décliné son intervention, estimant que la preuve d’un événement n’était pas apportée, non plus que d’une lésion. Il fait grief au travailleur de ne pas avoir fait la déclaration à l’employeur dès la survenance des faits (ou dès que ceci fut possible) et estime que la constatation médicale des lésions apparaît tardive.

Suite à une enquête, un témoin indirect a été entendu. Une procédure a été lancée devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège). L’affaire a été prise par défaut et le demandeur a été débouté.

Il interjette appel.

La décision de la cour

Sur le fondement de l’action, quelques principes sont rappelés par la cour quant à la définition de l’accident du travail, la présomption de causalité et la définition de la lésion.

Faisant application du nouveau Code civil, en son article 8.4 (ainsi que 870 du Code judiciaire), la cour énonce que la personne qui se prétend victime d’un accident du travail doit établir la survenance d’un événement soudain, que cette survenance a eu lieu dans le cours de l’exécution du travail, ainsi qu’une lésion.

La preuve exigée par la loi est une preuve certaine. Dès lors qu’elle est apportée, la double présomption joue en faveur du travailleur : présomption de causalité et présomption de la survenance de l’accident par le fait de l’exercice des fonctions.

Le caractère multiforme et complexe de l’événement soudain est également repris, celui-ci ne devant pas se distinguer de l’exécution normale de la tâche journalière, mais pouvoir être épinglé et être susceptible d’avoir engendré la lésion.

La cour reprend, parmi d’autres principes directeurs, l’exigence de la soudaineté de l’événement soudain, rappelant avec la Cour de cassation dans son arrêt du 28 avril 2008 (Cass., 28 avril 2008, n° S.07.0079.N) qu’il ne peut se réduire à une exigence d’une totale instantanéité, mais peut englober des faits ou des événements s’étalant dans une certaine durée. La Cour de cassation a posé dans l’arrêt ci-dessus la règle selon laquelle il appartient au juge du fond d’apprécier si la durée de l’événement soudain excède la limite de ce qui peut être considéré comme tel, s’agissant en l’espèce d’une position inconfortable prolongée ayant causé des lésions par surcharge : celle-ci peut le cas échéant être considérée comme un événement soudain, la cour du travail renvoyant également à un travail de peinture qui s’est étalé sur deux jours ou à l’exposition au froid pendant plusieurs jours.

C’est cependant sur la question de la preuve que la cour s’attarde.

Il n’y a pas de témoin direct de l’accident, la cour considérant cependant que « cet obstacle est surmontable ». Les éléments fournis sont cependant maigres et, par ailleurs, jugés interpellants, à savoir l’heure de l’accident (dans la matinée) et les premiers soins donnés (le lendemain dans l’après-midi), alors que le travailleur déclare avoir boité immédiatement, ainsi que les éléments relatifs à la déclaration à l’employeur, intervenue le lendemain, le conseiller en prévention n’ayant été informé que deux jours plus tard. Enfin, une autre anomalie est constatée, étant une description accidentelle différente dans l’attestation du médecin de recours.

La cour ne peut que conclure à l’absence de preuve de l’événement soudain.

Intérêt de la décision

Ainsi qu’indiqué par la cour dans son rappel des principes, le fait visé serait susceptible de constituer l’événement soudain, même s’il s’intègre complétement dans l’exécution habituelle de la tâche journalière. La victime d’un accident doit cependant épingler un fait. C’est un élément de la preuve qui est – comme il se doit – mis à sa charge et cette preuve doit être certaine.

Le litige se meut donc sur le plan du respect par le demandeur en justice, conformément aux articles 8.4 du nouveau Code civil et 870 du Code judiciaire, d’un fait déterminé.

L’exigence de preuve n’est sur ce plan nullement édulcorée et il appartient au demandeur d’apporter tous éléments susceptibles d’asseoir la conviction du juge.

L’on retiendra à cet égard que le demandeur est pénalisé non du fait d’avoir rentré une déclaration tardive, mais d’avoir effectué une démarche non immédiatement suivie d’effet.

L’arrêt n’investigue pas le respect par l’employeur de ses obligations immédiates, l’une d’entre elles étant de faire la déclaration de risque social (D.R.S.). L’on peut rappeler qu’à cette déclaration doit être jointe une attestation médicale, laquelle en fait partie intégrante. La déclaration doit être faite, en vertu de l’article 2, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 12 mars 2003 établissant le mode et le délai de déclaration de l’accident du travail, par l’employeur, son préposé ou son mandataire. Ce texte complète celui de l’article 62 de la loi, qui ne vise que l’employeur ou son préposé.

Toujours est-il que la cour n’a pu que constater l’insuffisance des éléments de preuve dans le chef du demandeur. Vu l’absence de témoin direct de l’accident, celui-ci eût été bien inspiré de réunir rapidement, étant in tempore non suspecto, les éléments susceptibles de confirmer ses dires.

Cet arrêt est en tout cas l’occasion de rappeler les règles en matière de déclaration tardive, à propos desquelles l’on peut renvoyer à deux arrêts récents de la Cour du travail de Liège :

  • Dans un arrêt du 9 juin 2021 (C. trav. Liège, div. Liège, 9 juin 2021, R.G. 2020/AL/248), elle a rappelé que le fait que la déclaration ait été rentrée tardivement n’est pas sanctionné comme tel par la loi sur les accidents du travail. Il appartient cependant toujours au juge d’apprécier la valeur de la preuve présentée par la victime et dans ce cadre, un retard inexpliqué peut être apprécié à l’encontre de celle-ci.
  • Dans un arrêt légèrement antérieur (C. trav. Liège, div. Liège, 20 avril 2021, R.G. 2020/AL/171), elle avait jugé que le fait que la déclaration d’accident ait été rentrée tardivement n’est pas sanctionné comme tel par la loi. Il appartient cependant toujours au juge d’apprécier la valeur de la preuve présentée par la victime et, dans ce cadre, un retard inexpliqué peut être apprécié à l’encontre de celle-ci. La cour souligne que, même s’il a subi une lésion, le travailleur ne ressent pas nécessairement le besoin de se déclarer inapte illico presto. Il n’est dès lors pas admissible de pénaliser un travailleur qui tente de dominer son mal afin de poursuivre ses prestations et ne fait valoir l’accident que plus tard, lorsque la lésion apparaît sérieusement.

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