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Allocations familiales et principe du standstill (suite)

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 4 novembre 2021, R.G. 2020/AN/119

Mis en ligne le vendredi 29 avril 2022


Cour du travail de Liège (division Namur), 4 novembre 2021, R.G. 2020/AN/119

Terra Laboris

Dans un arrêt du 4 novembre 2021, la Cour du travail de Liège (division Namur) statue, suite à la réouverture des débats ordonnée par arrêt du 6 mai 2021, sur le cumul entre l’activité lucrative et le statut d’étudiant pendant les dernières vacances avant l’exercice d’une activité professionnelle.

Rétroactes

La cour a rendu un premier arrêt le 6 mai 2021 en cette affaire. Elle a ordonné une réouverture des débats afin d’examiner sous l’angle du respect de l’obligation de standstill les conditions de cumul entre une activité lucrative et le statut d’étudiant, s’agissant des dernières vacances avant l’exercice d’une activité professionnelle (la cour statuant dans le cadre de la réglementation wallonne).

Il s’agissait d’un étudiant qui avait obtenu son CESS à la session de septembre 2019 et avait entre-temps presté dans le cadre d’un contrat d’étudiant pendant les vacances d’été. Le nombre d’heures était de 349. Il avait ensuite renoncé à entreprendre des études supérieures, ayant la possibilité de trouver un emploi en septembre. Il ne s’inscrivit dès lors ni comme étudiant ni comme demandeur d’emploi et avait depuis la qualité de travailleur salarié.

La situation de l’étudiant avait été communiquée correctement par la mère et une décision d’indu avait été prise, correspondant aux allocations familiales de juillet, août et septembre 2019, au motif que la limite des heures de travail autorisée avait été dépassée pendant le troisième trimestre 2019.

Le tribunal avait fait partiellement droit au recours, limitant les effets de la décision aux allocations de juillet et août.

Suite à l’appel interjeté par l’institution de sécurité sociale, la cour avait rendu un premier arrêt en date du 6 mai 2021, dans lequel elle rappelait la genèse des modifications de la loi du 19 décembre 1939 à cet égard et, particulièrement, l’arrêté royal du 10 août 2005, qui fixe les conditions auxquelles les allocations familiales sont accordées en faveur de l’enfant qui suit des cours ou qui poursuit sa formation. En vertu de celui-ci, s’il n’y a pas de suspension lorsque l’activité est exercée pendant les mois de juillet, août et septembre, un sort particulier est fait aux périodes de vacances intervenant notamment après la dernière année non supérieure, se terminant au 31 août lorsque l’enfant ne reprend pas effectivement la fréquentation scolaire : dans cette hypothèse, l’activité lucrative n’entraîne pas la suspension de l’octroi des allocations familiales si elle n’excède pas 240 heures durant le trimestre civil dans lequel elles s’inscrivent.

La cour avait constaté que cet arrêté royal du 10 août 2005 abrogeait un texte précédent (arrêté royal du 30 décembre 1975 fixant les conditions auxquelles les allocations familiales sont accordées en faveur de l’enfant qui suit des cours), qui prévoyait un droit inconditionnel en juillet et un droit durant le mois d’août – ou, le cas échéant, septembre –, à condition que l’activité soit exercée soit dans le cadre d’un contrat de travail d’étudiant, soit durant moins de 80 heures par mois.

Se posait ainsi la question de savoir si cette évolution législative ne permettait pas de constater dans la restriction imposée par l’arrêté royal du 10 août 2005 un recul significatif de protection sociale et s’il ne convenait pas d’examiner cette évolution au regard de l’obligation de standstill inscrite à l’article 23 de la Constitution.

La cour avait ainsi considéré devoir rouvrir les débats afin de vérifier si le recul opéré par l’arrêté royal du 10 août 2005, consistant à ne plus admettre de travail d’étudiant sans limitation d’heures durant les dernières vacances de l’enseignement non supérieur dès lors que celui-ci ne reprend pas ses études, mérite un examen approfondi en application de ce principe.

L’arrêt du 4 novembre 2021

Après avoir repris l’avis du Ministère public, selon lequel il n’y a pas de régression sensible du niveau global ni de suppression d’un droit social mais une modification de la modalité d’un droit, mesure justifiée par une simplification administrative (s’agissant de se référer à la déclaration multifonctionnelle DmfA), la cour reprend son examen de la question par un rappel de l’obligation de standstill et de son application dans les matières de sécurité sociale.

Elle revient sur l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 1er octobre 2015 (C. const., 1er octobre 2015, n° 133/2015) ainsi que sur deux arrêts ultérieurs rendus l’un en matière de droit à l’aide sociale (C. const., 18 mai 2018, n° 61/2017) et l’autre en matière de GRAPA (C. const., 23 janvier 2019, n° 6/2019). Elle rappelle que l’argument du standstill a cependant été rejeté dans d’autres affaires, et ce notamment dans un arrêt du 1er septembre 2018 (C. const., 1er septembre 2018, n° 132/2018), où celle-ci a considéré que le fait d’imposer des démarches en vue d’obtenir des prestations ne constitue pas une régression significative dans l’octroi d’un droit, ne s’agissant pas d’un obstacle insurmontable.

Dans sa jurisprudence, la Cour de cassation a par ailleurs confirmé que cette obligation de standstill s’impose tant en matière de prestations contributives que non contributives (la cour renvoyant à Cass., 14 décembre 2020, n° S.19.0083.F et Cass., 14 septembre 2020, n° S.18.0012.F) et qu’il faut effectuer l’examen du recul significatif sur la base du régime de sécurité sociale concerné, que la privation du droit ou le recul significatif soit compensé par une prestation dans un autre régime étant sans intérêt (enseignement de l’arrêt du 14 septembre 2020 ci-dessus).

Reprenant ensuite diverses controverses intervenues sur la question, la cour conclut avec la doctrine (F. LAMBINET, « Mise en œuvre du principe du standstill dans le droit de l’assurance chômage : quelques observations en marge de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 mars 2018 », Chron. D. S., 2020, p. 103) que, dans la mesure où la modification des modalités d’un droit a des conséquences sur le niveau de protection de ce droit constitutionnel lui-même, tout recul, même minime, doit provoquer un contrôle quant à la légitimité et la proportionnalité de la mesure.

En l’espèce, la cour examine ainsi la régression contenue dans l’arrêté royal du 10 août 2005. Contrairement à l’avis de M. l’Avocat général, elle estime qu’il y a un recul significatif, le jeune qui ne reprendrait pas ses études étant désormais soumis à un quota d’heures alors qu’il ne l’était pas précédemment. Elle souligne qu’aucune mesure compensatoire n’a été prévue.

Cependant, dans le cadre de l’examen des motifs liés à l’intérêt général, elle retient les explications données par le comité de gestion de l’ONAFTS (à l’époque). Celui-ci s’était référé, pour le contrôle des conditions relatives à l’exercice de cette activité lucrative, aux flux DmfA et avait exposé que les critères devaient être fixés en conséquence.

Pour ce qui est des premier, deuxième et quatrième trimestres, l’activité lucrative n’excédant pas 240 heures par trimestre est autorisée, mais le droit disparaît pour chaque mois durant lequel le total des prestations au cours du trimestre dépasse 240 heures, même si le trimestre lui-même comprend un ou deux mois au cours desquels les prestations sont inférieures à 80 heures. Par contre, pour le troisième trimestre, l’activité est autorisée sans limite, sauf pour les dernières vacances d’été de l’étudiant. Le but était d’éviter que les étudiants qui avaient terminé leurs études cumulent, dans le courant des mois de juillet, août et septembre, une activité lucrative substantielle avec un droit aux allocations familiales, raisons pour lesquelles la proposition était faite d’appliquer également la norme de 240 heures durant les dernières vacances d’été.

Il s’agissait également de supprimer une discrimination avec l’étudiant qui avait terminé ses études et s’était quant à lui inscrit comme demandeur d’emploi, étant ainsi soumis à des normes plus rigoureuses en matière de revenus. Dans le système antérieur, l’étudiant qui avait trouvé immédiatement un emploi définitif aurait encore pu percevoir des allocations familiales durant les vacances d’été. En appliquant la norme des 240 heures par trimestre au lieu des 80 heures mensuelles, il a ainsi été remédié à l’octroi abusif d’allocations familiales aux jeunes qui avaient quitté l’école et avaient déjà un emploi à part entière.

Pour la cour, la nouvelle norme répond à des exigences pratiques, dans la mesure où la déclaration DmfA, si elle permet de distinguer la nature du contrat, ne permet pas de ventiler les prestations mensuelles. Aussi, la mesure apparaît-elle adéquate et appropriée pour atteindre l’objectif visé. Elle est également considérée comme proportionnée.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt du 4 novembre 2021, la cour clôture l’examen de la question qui avait suscité un intéressant questionnement dans son arrêt du 6 mai 2021, étant la confrontation de la norme relative aux prestations autorisées dans le courant du troisième trimestre par l’étudiant arrivant en fin d’études avec les droits qui avaient été consentis précédemment, soit avant l’arrêté royal du 10 août 2005.

La cour avait rappelé, dans son arrêt du 6 mai 2021, que le texte précédent, qui était un arrêté royal du 30 août 1975, prévoyait un droit inconditionnel aux allocations, dans la mesure où les prestations étaient exercées dans le cadre d’un contrat d’étudiant, et ce durant moins de 80 heures par mois. Il était cependant impératif qu’il s’agisse d’un contrat d’occupation d’étudiant tel que visé au Titre VII de la loi du 3 juillet 1978.

L’arrêté royal du 10 août 2005 a purement et simplement abrogé cette hypothèse.

La réouverture des débats a permis de comprendre les tenants et aboutissants de cette modification législative, qui, si elle a effectivement introduit un recul significatif de la protection sociale, l’a été pour des raisons que la cour retient comme relevant de l’intérêt général et étant à la fois adéquates et appropriées pour atteindre les objectifs visés.


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