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Soins de santé transfrontaliers : notion de « personne assurée » au sens du droit européen

Commentaire de C.J.U.E., 28 octobre 2021, Aff. n° C-636/19 (Y c/ CENTRAAL ADMINISTRATIE KANTOOR), EU:C:2021:885

Mis en ligne le vendredi 29 avril 2022


Cour de Justice de l’Union européenne, 28 octobre 2021, Aff. n° C-636/19 (Y c/ CENTRAAL ADMINISTRATIE KANTOOR), EU:C:2021:885

Terra Laboris

Dans un arrêt du 28 octobre 2021, la Cour de Justice de l’Union européenne examine la notion de « personne assurée » au sens du Règlement n° 883/2004 et de la Directive n° 2011/24/UE, s’agissant de vérifier si un titulaire d’une pension versée par un Etat membre alors qu’il réside dans un deuxième Etat membre peut obtenir le remboursement de soins de santé pour des prestations intervenues dans un troisième Etat membre alors qu’il n’est pas affilié au régime de sécurité sociale soins de santé obligatoire de l’Etat débiteur de la pension.

Les faits

Une ressortissante néerlandaise résidant en Belgique perçoit une pension de vieillesse versée par les Pays-Bas. Elle peut bénéficier, en vertu de l’article 24 du Règlement n° 883/2004, des prestations de soins de santé prévues par l’Etat de résidence (Belgique) pour le compte des Pays-Bas, auquel elle est tenue de verser une cotisation conformément à l’article 69 de la loi relative à l’assurance soins de santé. Etant cependant titulaire non résidente aux Pays-Bas d’une pension à charge de cet Etat, elle ne relève pas du régime d’assurance soins de santé obligatoire néerlandais et est exemptée de cotisations dans ce pays.

Suite à une visite médicale chez un généraliste en 2015, elle subit un examen radiologique à Maastricht (IRM). Elle se verra rapidement diagnostiquer un cancer. Après avoir sollicité un second avis médical en Allemagne, elle y subit une intervention ainsi que des traitements post-opératoires, parmi lesquels une radiothérapie. Pour ces opérations et traitements, aucune autorisation n’a été demandée au préalable auprès de l’organisme néerlandais compétent. Cette autorisation est demandée a posteriori par l’organisme belge d’assurance maladie et il y a refus, au motif que l’autorisation devait être demandée préalablement aux traitements.

L’intéressée présente néanmoins les factures (de près de 17.000 euros). La demande est refusée, toujours au motif d’absence d’autorisation préalable.

La procédure antérieure

Un recours est introduit contre cette décision devant le Rechtbank Amsterdam (Tribunal d’Amsterdam), qui le rejette, considérant que le temps écoulé entre chacune des étapes (une semaine environ) permettait de considérer que les soins de santé n’avaient pas été dispensés dans une situation d’urgence extrême relative à l’état de santé. Les soins devaient être considérés comme « soins programmés », pour lesquels aucune autorisation préalable n’avait été accordée.

Suite à l’appel interjeté devant le Centrale Raad van Beroep (Cour d’appel en matière de sécurité sociale et de fonction publique), cette juridiction constate également que l’autorisation préalable n’a pas été demandée. Elle considère cependant qu’il n’est pas indispensable de trancher cette question, dans la mesure où un document déposé au dossier par l’institution belge confirmerait que le même traitement aurait pu être prodigué en Belgique dans le même délai qu’en Allemagne.

La Cour d’appel hollandaise décide cependant d’interroger la Cour de Justice, lui posant deux questions.

Les questions préjudicielles

La première vise la Directive n° 2011/24/UE, dont la cour se demande si elle doit être interprétée en ce sens que les personnes visées à l’article 24 du Règlement n° 883/2004, qui bénéficient dans le pays de résidence de prestations en nature qui sont en l’espèce à charge des Pays-Bas mais qui n’y sont pas assurées au titre de l’assurance maladie obligatoire, peuvent invoquer directement cette Directive pour obtenir le remboursement des coûts de soins qui leur ont été prodigués.

En cas de réponse négative, une seconde question, portant sur l’article 56 T.F.U.E., concerne la possibilité d’une entrave injustifiée à la libre circulation des services, s’il y a refus de rembourser des soins servis dans un Etat membre autre que l’Etat de résidence ou débiteur de la pension.

La réponse de la Cour de Justice

Sur la première question, la Cour considère qu’il s’agit d’interpréter les dispositions en cause en ce sens que le titulaire d’une pension accordée en vertu de la législation d’un Etat membre, qui a droit, en application de l’article 24 du Règlement n° 883/2004, aux prestations en nature servies par l’Etat de résidence pour compte de l’Etat débiteur de la pension, doit être considéré comme une « personne assurée » au sens de l’article 7, § 1er, de la Directive et peut ainsi obtenir le remboursement des coûts des soins de santé reçus dans un troisième Etat membre, sans être affilié au régime d’assurance maladie obligatoire de l’Etat débiteur de la pension.

Pour la Cour, il faut entendre par « personne assurée » au sens de l’article 3, sous b), i), de la Directive n° 2011/24 la personne couverte par l’article 2 du Règlement n° 883/2004 et qui est une personne assurée au sens de l’article 1er, sous c), du Règlement. Il y a donc une définition par renvoi à ces deux dispositions du Règlement n° 883/2004. Ce mécanisme vise à la cohérence entre les deux textes (Règlement et Directive). Dès lors qu’il y a un renvoi cumulatif aux deux dispositions susmentionnées du Règlement, la personne qui entend être qualifiée de « personne assurée » au sens de la Directive doit remplir toutes ses conditions.

L’article 2 du Règlement, qui définit le champ d’application personnel de celui-ci, vise les ressortissants de l’un des Etats membres qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou plusieurs Etats membres. Par ailleurs, la « personne assurée » au sens de l’article 1er, sous c), du Règlement désigne, en matière de sécurité sociale, toute personne qui satisfait aux conditions requises par la législation de l’Etat membre compétent en vertu du Titre II du Règlement pour avoir droit aux prestations. En l’espèce, dès lors que l’intéressée perçoit une pension de vieillesse, elle relève de la législation d’un Etat membre, au sens de l’article 2, point 1., du Règlement, étant l’Etat débiteur de la pension.

Les prestations de soins de santé constituent par ailleurs des prestations figurant parmi les branches de la sécurité sociale. Après avoir déterminé quel est l’Etat compétent en vertu du Titre II du Règlement n° 883/2004 – celui-ci étant les Pays-Bas –, la Cour pose la question de savoir si l’intéressée satisfait aux conditions requises par cette législation pour avoir droit aux prestations en cause. Elle vérifie ainsi les conditions requises par la législation néerlandaise, dont elle constate qu’elles sont en substance correspondantes à celles de l’article 24 du Règlement. Celui-ci couvre trois hypothèses, étant que l’intéressée doit (i) percevoir une (ou des) pension(s) en vertu de la législation d’un Etat membre, (ii) ne pas bénéficier de prestations en nature selon la législation de l’Etat de résidence et (iii) avoir droit à ces prestations selon la législation de l’Etat débiteur si elle résidait dans celui-ci.

La notion de « personne assurée » couvre dès lors le titulaire de pension qui bénéficie de celle-ci en vertu de la législation d’un Etat membre et qui a droit à des prestations en nature servies par l’Etat de résidence pour le compte de l’Etat débiteur même s’il ne dispose pas d’une assurance maladie obligatoire auprès de ce dernier.

La Cour répond ensuite à l’argumentation du Gouvernement néerlandais, qui voit dans le texte du Règlement n° 883/2004 une distinction entre les notions de « personne assurée » et de « titulaire de pension », l’interprétation de la notion de « personne assurée » ci-dessus étant corroborée par plusieurs dispositions de la Directive n° 2011/24.

Renvoi est fait à la règle qui permet au justiciable de faire valoir des dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d’une Directive à l’encontre d’un Etat membre ainsi que des organes de l’administration ou d’organismes ou d’entités soumis à l’autorité ou au contrôle de l’Etat. Peuvent être assimilés à l’Etat des organismes ou des entités qui ont été chargés par une autorité d’exercer une mission d’intérêt public et qui sont dotés à cet effet de pouvoirs exorbitants (la Cour se référant à C.J.U.E., 19 décembre 2019, Aff. n° C-168/18, PENSIONS-SICHERUNGS-VEREIN VVaG c/ BAUER, EU:C:2019:1128).

Or, la Directive impose en son article 7, § 1er, aux Etats membres de veiller à ce que les frais engagés par une personne assurée qui reçoit des soins de santé transfrontaliers soient remboursés si ces soins font partie des prestations auxquelles la personne a droit dans son Etat d’affiliation. Cette disposition contient une obligation claire, précise et inconditionnelle, incombant aux Etats. Elle peut dès lors être invoquée directement devant le juge national.

La Cour conclut son examen de la première question en considérant que les dispositions visées doivent être interprétées en ce sens que le titulaire d’une pension octroyée en vertu de la législation d’un Etat membre et qui a droit de ce fait (article 24 du Règlement) aux prestations en nature servies par l’Etat membre de résidence pour le compte de l’Etat débiteur doit être considéré comme une « personne assurée » au sens de l’article 7, § 1er, de la Directive et peut obtenir le remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers perçus dans un troisième Etat sans être affilié au régime d’assurance maladie obligatoire de l’Etat membre débiteur de la pension.

Intérêt de la décision

La question des soins hospitaliers dans un autre Etat membre que l’Etat d’affiliation a donné lieu à de précédents arrêts de première importance. La question centrale vise la demande d’autorisation préalable, dans ses contours et limites, ainsi que le droit à un remboursement en cas d’absence de celle-ci.

L’on peut renvoyer sur la question à plusieurs arrêts (précédemment commentés), étant :

  • C.J.U.E., 29 octobre 2020, Aff. n° C-243/19 (A c/ VESELĪBAS MINISTRIJA), EU:C:2020:872 ;
  • C.J.U.E., 23 septembre 2020, Aff. n° C-777/18 (WO c/ VAS MEGYEI KORMÁNYHIVATAL), EU:C:2020:745 ;
  • C.J.U.E., 9 octobre 2014, Aff. n° C-268/13 (PETRU), EU:C:2014:2271.

Cette question n’est pas au cœur de l’examen de la Cour dans cet arrêt du 28 octobre 2021, dans la mesure où s’est essentiellement posée la notion de « personne assurée », notion visée par la Directive n° 211/24, en son article 3, sous b), i).

La Cour confirme le renvoi au Règlement n° 883/2004, étant un renvoi cumulatif, l’assuré social devant remplir les conditions des articles 1er, sous c), et 2.

La Cour a souligné que ce mécanisme de double renvoi tend à la cohérence entre les deux textes, l’article 1er, sous c), contenant la définition de « personne assurée », étant que celle-ci désigne, par rapport aux différentes branches de sécurité sociale visées au Titre III, chapitres 1 et 3, toute personne qui satisfait aux conditions requises par la législation de l’Etat membre compétent en vertu du Titre II pour avoir droit aux prestations, compte tenu des dispositions du Règlement. L’article 2 vise le champ d’application personnel et, en son point 1., il précise s’appliquer aux ressortissants de l’un des Etats membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un Etat membre qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou plusieurs Etats membres, ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants.

La Cour a constaté en l’espèce que, dans la mesure où l’intéressée percevait une pension de vieillesse, elle remplissait la condition de l’article 2, point 1.

La Directive n° 2011/24 donne par ailleurs la définition de la personne assurée, en son article 3, b), i). La Cour a confirmé dans son arrêt que, pour satisfaire aux conditions reprises dans cette disposition, il y a lieu de remplir celles du Règlement n° 883/2004. L’arrêt du 28 octobre 2021 a dès lors comme intérêt essentiel de faire le lien entre les dispositions visées.


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