Terralaboris asbl

Dispense de la procédure d’activation (chômeur atteint de plus de 33% d’incapacité permanente) : principe du standstill

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 9 août 2021, R.G. 2020/AN/100

Mis en ligne le vendredi 8 avril 2022


Cour du travail de Liège (division Namur), 9 août 2021, R.G. 2020/AN/100

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 août 2021, la Cour du travail de Liège écarte l’article 63 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 tel que modifié par l’arrêté royal du 28 décembre 2011, relatif à la limitation dans le temps des allocations d’insertion, et ce pour contrariété au principe du standstill.

Les faits

Madame B. a été victime d’un accident de voiture en 1990, alors qu’elle était âgée de vingt-cinq ans. Après une période de trois ans, où elle a dépendu du secteur A.M.I., elle a repris le travail et a, à ce moment, été licenciée moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Elle a ensuite bénéficié d’allocations d’insertion. Les contrôles effectués dans le cadre du suivi d’activation des recherches d’emploi ont été positifs, en 2007 et 2010, des efforts suffisants ayant été constatés.

Par jugement du 13 septembre 2012, le Tribunal du travail de Namur la déclare définitivement inapte au travail à plus de 33%. Cette décision prend effet au 16 novembre 2009.

En avril 2013, l’ONEm lui signifie qu’elle peut en conséquence être dispensée provisoirement de la procédure de suivi d’activation.

Elle retombe en incapacité de travail pendant une période de plus de seize mois à partir de janvier 2014 et bénéficie à ce moment des indemnités de mutuelle.

De retour dans le secteur chômage, elle demande, en mai 2015, l’élargissement de son droit aux allocations d’insertion, et ce vu la décision d’inaptitude permanente au travail de 33% dont elle bénéficie.

Elle est exclue par l’ONEm du bénéfice des allocations d’insertion par une décision du 26 juin 2015. Il est constaté dans celle-ci que, s’il y a eu une reconnaissance d’incapacité de plus de 33% depuis le 16 novembre 2009, aucun trajet approprié organisé par le FOREm n’a débuté avant la fin de son droit aux allocations d’insertion et aucune dérogation ne figure dans l’arrêté royal organique quant à la date de prise de cours de ce trajet avant la fin de droit.

L’intéressée expose que, dépendant du secteur A.M.I., elle n’a pas pu formuler une demande de ‘trajet approprié’ avant l’expiration de son droit aux allocations d’insertion (1er janvier 2015).

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Namur), qui rend un jugement le 25 juin 2020. Celui-ci examine la cause sous l’angle du principe du standstill et conclut à la non-violation. Il déboute l’intéressée de son recours.

Celle-ci interjette appel.

Position des parties devant la cour

Pour l’appelante, l’analyse du tribunal n’est pas correcte. Elle lui fait grief d’avoir conclu qu’elle ne déposait aucune démarche de recherche d’emploi, et ce alors qu’elle en était dispensée vu la reconnaissance de l’incapacité permanente à plus de 33%.

Elle plaide assez en détail sur le principe du standstill (non-conformité des allocations d’insertion avec celui-ci) ainsi que sur le trajet de réintégration, qui ne doit pas être mis en œuvre avant l’échéance des trente-six mois. Elle conclut à une discrimination par l’article 116, § 2, de l’arrêté royal organique en ce qu’il autorise que l’exercice d’un travail salarié prolonge le délai initial de trente-six mois alors que tel n’est pas le cas pour une période d’incapacité. Elle fait valoir à titre subsidiaire un cas de force majeure.

Quant à l’ONEm, il considère qu’il n’y a pas violation du principe de standstill, vu les motifs de la mesure (budgétaires et relance de l’emploi des jeunes), concluant également à son caractère raisonnable et proportionné. Il se réfère à ses rapports annuels 2015 et 2016 et estime que la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière n’est pas définitive.

Avis du ministère public

L’Avocat général conclut pour sa part à un recul de la protection sociale mais à l’existence de motifs d’intérêt général de même qu’au caractère proportionné de la mesure. Sa conclusion est dès lors qu’il y a absence de violation.

Pour ce qui est du trajet approprié (qui permettrait de prolonger la période de deux ans supplémentaires), l’article 63 dispose que celui-ci doit avoir lieu à la fin de la période de trois ans, ce qui ne signifie pas que le trajet lui-même doit être entamé. Enfin, pour ce qui est de la discrimination entre les chômeurs qui présentent une inaptitude permanente de plus de 33% qui ont connu une période d’incapacité de plus de 66% et ceux qui n’en ont pas connue, il estime que ceci est le fait du législateur, qui n’a pas prévu que la maladie suspendrait la période de trois mois.

Les répliques à l’avis de l’Avocat général

L’appelante reprend l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 14 septembre 2020 et estime, quant aux motifs d’intérêt général, que ceux-ci ne sont pas établis à suffisance de droit et que, même à les supposer admis, la réforme est disproportionnée. Le test de proportionnalité doit être effectué par la cour, celui-ci impliquant de vérifier que le législateur a bien évalué l’appropriation, la nécessité et la proportionnalité au sens strict de la mesure et qu’il a mis en œuvre les moyens de réaliser cette évaluation de façon sérieuse – ce qui n’est pas pris en compte dans l’avis du ministère public. Elle maintient qu’il y a discrimination en ce qui concerne le trajet de réintégration.

La décision de la cour

La cour revient, dans un premier temps, assez longuement sur le point de droit relatif à la limitation dans le temps des allocations d’insertion par l’arrêté royal du 28 décembre 2011. Elle rappelle qu’ensuite, un arrêté royal du 20 juillet 2012 est venu compléter la réforme du régime, qui a modifié la procédure d’activation du comportement de recherche d’emploi pour les bénéficiaires d’allocations d’insertion, et ce en l’intensifiant. Elle cite encore les anciens articles 59bis et suivants de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui prévoyaient que le chômeur qui présente une inaptitude permanente au travail de plus de 33% était dispensé de la procédure d’activation, ce qui n’existe plus actuellement.

Un long rappel intervient ensuite du principe de standstill lui-même, avec l’examen des hypothèses dans lesquelles des restrictions significatives des droits sont admises (étant qu’elles doivent être dûment justifiées par l’intérêt général et acceptables sous l’angle de la proportionnalité), ainsi que de la jurisprudence de la Cour de cassation dans ses arrêts des 14 septembre 2020 (Cass., 14 septembre 2020, n° S.18.0012.F) et 14 décembre 2020 (Cass., 14 décembre 2020, n° S.19.0083.F). Elle cite également (sans le commenter) l’arrêt du 19 avril 2021 (Cass., 19 avril 2021, n° S.20.0068.F), précisant que la jurisprudence de la Cour suprême est notamment que les objectifs ne peuvent pas être présentés en termes trop généraux.

En l’espèce, l’ONEm se fonde, pour ce qui est des motifs liés à l’intérêt général, à la crise de 2008 et à la relance de l’emploi des jeunes. Il rappelle également le contexte dans lequel la réforme a été instaurée, étant peu de temps après la mise en place du Gouvernement Di Rupo, après plus de cinq cent jours de gouvernement en affaires courantes. Avait été mis sur la table à l’époque le programme national de réforme 2011, dans lequel les autorités belges se fixaient comme sous-objectif (outre un objectif général de taux d’emploi de 73,2% chez les vingt-soixante-quatre ans à l’horizon 2020) un taux d’emploi des femmes de 69%, un taux d’emploi des travailleurs âgés de 50% et un taux pour les jeunes qui ne sont ni actifs, ni à l’emploi, ni à l’enseignement, ni en formation, de 8,2%. La réforme du système chômage ainsi que l’augmentation de la participation des groupes-cibles au marché du travail figuraient parmi les mesures-axes prioritaires.

La cour examine encore les rapports annuels de l’ONEm sur lesquels celui-ci s’appuie, étant ceux des années 2015 et 2016. Elle estime, sur la base des chiffres, que l’ONEm démontre à suffisance que la limitation des allocations d’insertion dans le temps était en soi une mesure adéquate et nécessaire. Cependant, elle constate que rien ne permet de cibler la catégorie des personnes présentant une inaptitude permanente de plus de 33%.

Elle passe, ainsi, à l’examen de la proportionnalité de la mesure, rappelant que celui-ci suppose de vérifier que ses effets ne sont pas démesurés par rapport aux bénéfices escomptés. La question est de savoir si l’examen doit se faire sous l’angle collectif ou individuel.

Elle renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 5 mars 2018 (Cass., 5 mars 2018, n° S.16.0033.F), où la Cour a circonscrit l’examen à une catégorie spécifique, à savoir les personnes qui exercent des activités d’assistant de prévention et de sécurité auprès de la police (cas de la demanderesse) non rencontrées par les circuits de travail réguliers afin de soutenir la politique de sécurité. Pour la cour du travail, la Cour de cassation a accepté dans cet arrêt d’examiner la mesure pour des catégories relativement spécifiques de personnes, s’apparentant à une individualisation des droits.

Elle considère que, pour les bénéficiaires présentant une inaptitude permanente de plus de 33%, il s’agit également d’une catégorie à part entière, puisque la réglementation chômage prévoit pour ceux-ci un régime spécifique dans certaines situations.

La cour renvoie à la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles ainsi qu’à celle de la Cour du travail de Liège à propos de la catégorie des travailleurs présentant une inaptitude permanente au travail de plus de 33% et une réduction de la capacité de travail de deux tiers au sens de la législation pour les personnes handicapées (citant C. trav. Bruxelles, 17 janvier 2017, R.G. 2015/AB/501, C. trav. Liège, div. Liège, 6 novembre 2019, R.G. 2017/AL/684 et C. trav. Liège, div. Neufchâteau, 10 mars 2021, R.G. 2020/AU/25).

Selon l’arrêt de la Cour du travail de Liège (arrêt du 10 mars 2021), il ne ressortait pas des conclusions de l’ONEm que le législateur avait envisagé que la réforme était justifiée pour des motifs impérieux spécifiques à ces bénéficiaires d’allocations d’insertion. Et la cour de constater que les conclusions prises ne permettent toujours pas de savoir si l’auteur de l’arrêté royal s’est posé la question des conséquences de la mesure en ce qui concerne ces travailleurs.

En l’espèce, la cour relève que les personnes comme la demanderesse, qui étaient dispensées de la procédure d’activation au moment où le calcul du délai de trois ans a été fait, n’ont eu que très peu de temps pour agir, puisque la mesure leur a été imposée à dater du 2 mai 2014 et qu’elles n’ont pas été informées de cette obligation dès le 1er janvier 2012. L’intéressée n’a pu par ailleurs matériellement collaborer avec le FOREm, étant en incapacité depuis janvier 2014. La limitation en cause apparaît dès lors disproportionnée par rapport aux objectifs de la réforme, et la cour de faire d’autres commentaires illustratifs à propos du motif de réinsertion professionnelle et du volet financier.

Elle décide en conséquence d’écarter la norme au profit de l’ancienne législation, en application de l’article 159 de la Constitution.

Intérêt de la décision

Ce nouvel arrêt de la Cour du travail de Liège confirme la jurisprudence qui a eu à appliquer à la dispense de la procédure de suivi de recherche d’emploi les droits tirés du principe de standstill aux bénéficiaires d’allocations d’insertion présentant une inaptitude permanente de plus de 33%.

La cour évoque ici les décisions qui ont déjà retenu cette conclusion. Rappelons particulièrement l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 18 janvier 2017 (C. trav. Bruxelles, 18 janvier 2017, R.G. 2015/AB/501 – précédemment commenté), qui a considéré que, en tant qu’ils abrogent l’article 59nonies, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et soumettent les bénéficiaires d’allocations d’insertion présentant une inaptitude permanente de plus de 33% ainsi qu’une incapacité de plus de 66% au sens de la législation sur les allocations aux personnes handicapées à une procédure de contrôle de leur comportement de recherche d’emploi, avec, à la clé, de possibles sanctions, les arrêtés royaux des 20 et 23 juillet 2012 violent le principe de standstill. Leur application doit, dans cette mesure, être écartée conformément à l’article 159 de la Constitution.

Par ailleurs, dans un arrêt très récent du 10 mars 2021 (C. trav. Liège, div. Neufchâteau, 10 mars 2021, R.G. 2020/AU/25 – précédemment commenté), la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) a pour sa part retenu que l’ancien article 59nonies, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 permettait aux chômeurs reconnus atteints d’une inaptitude permanente au travail de 33% d’être dispensés de la procédure de contrôle du comportement de recherche active d’emploi. Suite aux arrêtés royaux des 20 et 23 juillet 2012, la dispense a disparu. L’abrogation de la dispense constitue une régression significative. Il appartient dès lors au FOREm d’apporter la preuve de motifs légitimes justifiant cette régression ainsi que de son caractère pertinent et proportionné par rapport à la catégorie de chômeurs à laquelle l’intéressé appartient, à savoir la catégorie des chômeurs présentant une inaptitude permanente de plus de 33%. Cette preuve n’est pas apportée en l’espèce et la disposition est écartée.

C’est cette seconde décision qui est mise en exergue par la Cour du travail de Liège dans l’arrêt commenté, celle-ci précisant que l’ONEm n’a toujours pas apporté de précision sur les arguments développés à l’appui de la justesse de la réforme.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be