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Maladie professionnelle : à quelles conditions un expert peut-il être désigné en justice ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 25 mai 2021, R.G. 2020/AL/106

Mis en ligne le vendredi 8 avril 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 25 mai 2021, R.G. 2020/AL/106

Terra Laboris

Dans un arrêt du 25 mai 2021, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle que le demandeur en justice doit apporter des indices suffisants pour que le tribunal puisse désigner un expert. Il ne doit cependant pas, à ce stade de la procédure, établir les éléments constitutifs de la maladie professionnelle dont il sollicite la réparation.

Les faits

Une technicienne en stérilisation, occupée dans cette fonction depuis 1988, introduit une demande de réparation d’une maladie professionnelle en avril 2017, faisant valoir un problème de tendinite. Elle fait état dans la demande – formulaire 503 – d’une maladie de la liste, étant 1.602.22 – tendinite. Elle y joint un rapport médical.

Le 14 décembre 2017, FEDRIS rejette la maladie au motif que l’intéressée ne serait pas atteinte de celle-ci.

Le recours judiciaire est introduit le 14 novembre 2018 et le tribunal statue par jugement du 21 janvier 2020, déclarant la demande recevable mais non fondée.

L’intéressée interjette appel.

Dans son acte d’appel, elle renvoie à son dossier médical, étant essentiellement deux rapports médicaux de son médecin-conseil, qui mettent en évidence une tendinopathie bilatérale des épaules. Elle explique également qu’en sa qualité de technicienne de stérilisation, elle doit manipuler des charges quotidiennement, et ce de manière répétitive. Le poids des charges va de 500 grammes à 22 kilos. Celles-ci sont placées sur un chariot, à une hauteur plus élevée que les épaules. Il y a, à son estime, une sollicitation significative des poignets, des coudes et des épaules.

FEDRIS conteste, au motif de l’insuffisance des éléments médicaux, concluant qu’aucun examen objectif ne démontre la persistance d’une pathologie constatée en 2014 par le médecin de recours (tendinopathie bilatérale des épaules).

Elle considère également que les pièces déposées par l’intéressée n’analysent nullement l’exposition au risque, aucun descriptif des tâches (établi par un conseiller en prévention ou par l’employeur) n’étant déposé. En l’absence d’un tel document, l’Agence conclut qu’il n’est pas possible d’apprécier si les mouvements invoqués par le médecin-conseil sont plausibles. Il précise que, la demande ayant été rejetée pour défaut d’atteinte, aucune enquête d’exposition n’a été faite.

La décision de la cour

La cour se penche essentiellement sur la question du recours à l’expertise.

Elle rappelle le mécanisme légal, étant l’existence de deux catégories de maladies : les maladies de la liste et celles qui n’y figurent pas mais qui trouvent leur cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession.

En l’espèce, la maladie visée est une maladie de la liste. La cour reprend, en conséquence, l’article 30 des lois coordonnées ainsi que l’article 32. Ce dernier est souligné en ce qu’il pose l’exigence, pour qu’il y ait réparation, de l’exposition au risque professionnel de la maladie, celui-ci étant décrit, selon le texte légal, comme suit : il y a risque professionnel lorsque l’exposition à l’influence nocive est inhérente à l’exercice de la profession et est nettement plus grande que celle subie par la population en général et dans la mesure où cette exposition constitue, dans les groupes de personnes exposées, selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante de la maladie.

Cette disposition impose une preuve à rapporter par le demandeur en justice qui sollicite la réparation de la maladie. Il s’agit, pour les deux types (maladies de la liste et maladies hors liste) de prouver (i) l’existence de la maladie et (ii) l’exposition au risque professionnel de celle-ci (sauf si une présomption d’exposition s’applique). En cas de maladie hors liste, un troisième élément de preuve doit être apporté, étant le lien causal.

La cour renvoie, ensuite, pour ce qui est de la demande d’expertise, à un arrêt rendu par la même juridiction le 5 mars 2018 (C. trav. Liège, div. Liège, 5 mars 2018, R.G. 2016/AL/502), qui a jugé, vu les règles de preuve, qu’au stade de la procédure où l’expertise est sollicitée, le demandeur a la charge de la preuve d’indices suffisants et non la charge des éléments constitutifs de la maladie en tant que telle. La Cour du travail de Liège a précisé dans cet arrêt du 5 mars 2018 que ce qui est requis n’est pas de démontrer de façon irréfutable que le demandeur souffre d’une maladie en lien causal déterminant et direct avec l’exposition au risque (l’affaire étant examinée dans le cadre d’une maladie hors liste) mais que cette hypothèse est suffisamment vraisemblable pour justifier la désignation d’un expert, dont le rapport constituera un élément de preuve important.

La cour se penche ici sur les éléments figurant au dossier qui lui est soumis et confirme, avec le premier juge et avec FEDRIS, leur caractère lacunaire. Les pièces sont considérées comme insuffisantes, tant en ce qui concerne la maladie que sur la question de l’exposition au risque.

Plus précisément, elle fait grief aux rapports médicaux d’être peu détaillés et de sembler exclusivement fondés sur un seul examen médical – non actualisé d’ailleurs par rapport à la date de la demande, celle-ci ayant été introduite en 2018 et l’examen datant de 2014. En outre, aucun descriptif concret de tâches ou autres pièces relatives à l’exercice de la profession ne sont produits. La cour pointe notamment l’absence d’attestation de l’employeur ou de collègues, de même que de documents émanant du conseiller en prévention.

Le jugement se trouve dès lors confirmé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle une question de premier ordre dans la matière de la réparation d’une maladie professionnelle (dont le principe relatif à la charge de la preuve est constant – sauf lorsque la loi a instauré un mécanisme de répartition de la preuve ou une présomption).

Il appartient en effet au demandeur de constituer un dossier permettant au juge de retenir l’existence d’indices suffisants pour permettre la mesure d’instruction. Ce n’est dès lors pas cette mesure d’instruction qui doit constituer le dossier du demandeur, celui-ci ayant l’obligation préalable d’avoir réuni deux types d’informations. Celles-ci sont d’abord d’ordre médical, étant l’existence de la maladie, qui doit être dûment attestée, et ensuite de l’exposition au risque professionnel de contracter celle-ci. Il ne s’agit pas, dans le cadre des maladies de la liste, de remettre en cause la présomption irréfragable de lien causal (cette obligation de preuve étant cependant à charge du demandeur dans le cas des maladies hors liste).

Dans l’arrêt de la Cour du travail de Liège du 5 mars 2008 auquel il est fait référence (C. trav. Liège, div. Liège, 5 mars 2018, R.G. 2016/AL/502 – précédemment commenté), le principe avait été posé : pour la désignation de l’expert demandé, la victime ne doit pas démontrer de manière irréfutable qu’elle souffre d’une maladie en lien causal déterminant et direct avec l’exposition au risque (système hors liste en l’espèce) mais que cette hypothèse est suffisamment vraisemblable. En l’espèce, la cour avait admis que cette preuve était apportée même si l’intéressé ne déposait pas une étude épidémiologique indiscutable dont il ressortirait que l’exposition était en rapport avec la pathologie constatée. Relevant « l’asymétrie dans les savoirs et dans les ressources entre FEDRIS et les assurés sociaux », la cour y avait précisé que ceci justifie particulièrement dans la matière des maladies professionnelles le recours à l’expertise, qui est un mode de preuve particulièrement adapté chaque fois qu’une contestation raisonnable est portée devant le juge.

Cette jurisprudence ne peut qu’être approuvée. Le demandeur doit en effet permettre, par une instruction préalable et sérieuse de son dossier, un débat judiciaire équilibré.


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