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Caractère rémunératoire des actions et options sur actions octroyées gratuitement par l’employeur

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 août 2021, R.G. 2015/AB/993

Mis en ligne le vendredi 8 avril 2022


Cour du travail de Bruxelles, 19 août 2021, R.G. 2015/AB/993

Terra Laboris

Dans un arrêt du 19 août 2021, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’obligation pour l’employeur d’effectuer une retenue au titre de précompte professionnel en cas d’octroi gratuit d’actions ou d’options sur actions.

Les faits

Une employée a introduit une procédure devant les juridictions du travail de Bruxelles, sollicitant des dommages et intérêts fixés à 1 euro provisionnel pour des déductions fiscales effectuées indûment par son ex-employeur sur des actions et des options sur actions octroyées. Elle demandait en outre au tribunal d’ordonner la restitution des déductions fiscales effectuées indûment sur celles-ci dans la mesure où elles n’ont pas été affectées à la couverture des impôts relatifs à ces actions.

Ce chef de demande figurait parmi d’autres, qui sont très brièvement abordés immédiatement ci-après. Il s’agit de pécules de vacances sur des avantages en nature, une indemnité de logement et les actions octroyées gratuitement.

La décision de la cour

La cour rappelle que le terme de « rémunération brute » au sens des articles 38, 2°, et 46 de l’arrêté royal du 30 mars 1967 déterminant les modalités générales d’exécution des lois relatives aux vacances annuelles des travailleurs salariés vise tout avantage accordé par l’employeur en contrepartie des prestations de travail effectuées en exécution du contrat de travail, à l’exclusion des avantages qui n’entrent pas en ligne de compte pour le calcul des cotisations de sécurité sociale (avec renvoi à Cass., 26 septembre 2005, n° S.04.0163.N).

La cour évalue, en conséquence, l’usage à des fins privées d’un GSM, de l’internet et d’un ordinateur portable, ainsi que l’indemnité de logement qui était payée mensuellement à l’employée, la cour retenant que ceci intervenait en contrepartie des prestations de travail effectuées en exécution du contrat de travail. Elle fixe dès lors le droit de l’intéressée aux pécules de vacances (arriérés de double pécule) sur l’ensemble de ces avantages.

Il en va de même pour les arriérés de pécules de vacances (simple et double pécules) sur ces actions, leur valeur devant être déterminée au moment où elles furent acquises.

Ces questions réglées, la cour aborde le point relatif aux déductions fiscales sur les actions et les options sur actions dont l’employée a bénéficié.

Ayant rendu un arrêt de réouverture des débats le 10 juillet 2018, la cour rappelle qu’elle a, dans celui-ci, entamé l’examen de ce chef de demande, qui correspond à un dommage subi pour les déductions fiscales effectuées indûment. Elle explique que l’octroi des actions et options sur actions a fait ou devait faire l’objet de retenues fiscales « nationales » obligatoires. La cour y considérait que la demanderesse originaire, qui n’était pas résidente fiscale belge, n’exposait pas suffisamment sa demande. Elle retenait que deux approches de la demande étaient possibles, la première étant une crainte dans le chef de l’intéressée de devoir payer indûment deux fois l’impôt (une fois par la retenue opérée – dont elle n’aurait par ailleurs pas la preuve – et une seconde fois par la réclamation/imposition directe de ses revenus pour l’année en cause). L’autre serait que le montant de la retenue serait excessif et dépasserait le taux de précompte.

Des explications étaient dès lors demandées aux parties et celles-ci sont examinées dans le cadre de la réouverture des débats. La cour constate que l’appelante modifie sa demande, faisant valoir des dommages ou un enrichissement sans cause dans le chef de la société pour les déductions fiscales effectuées indûment, considérant qu’en réalité, ces montants ont été retenus mais n’auraient jamais été payés aux administrations fiscale et sociale. Le montant réclamé à cet égard inclut, pour la cour, ainsi, les retenues sociales également.

Se pose pour la question de la recevabilité de cette demande nouvelle, qui est introduite après la réouverture des débats et peut en dépasser le cadre. La cour aborde néanmoins le fondement de ce chef de demande, renvoyant aux articles 270 et suivants du Code des impôts sur les revenus de 1992 ainsi qu’à l’article 23 de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. En vertu de ces dispositions, l’employeur était tenu d’effectuer les retenues litigieuses, et ce au moment où les « rémunérations » (intervenant sous forme d’actions ou d’options sur actions) furent accordées. Ces dispositions légales contiennent des obligations à charge des débiteurs des revenus et au bénéfice de l’administration (fiscale et sociale). Celles-ci en sont les seules créancières, et non les travailleurs.

L’appelante ayant invoqué l’article 23, alinéa 1er, 1°, de la loi également, la cour rappelle qu’en vertu de cette disposition, les retenues sur rémunération ont pu être faites, celle-ci ne réglant que la légalité de la retenue sur la rémunération sans régler les obligations de l’employeur envers les administrations, s’agissant des retenues que l’employeur doit opérer, déclarer et verser.

La cour rappelle encore que le précompte retenu sur la base de cette disposition est imputé sur la quotité de l’impôt des personnes physiques proportionnellement afférente aux revenus professionnels, en vertu de l’article 296, C.I.R., et ce même si l’employeur est en défaut de payer ce précompte. Dès lors, même si ces sommes n’avaient été payées par la société, il n’y aurait pas de violation de cette disposition de la loi du 12 avril 1965, qui ne peut dès lors servir de fondement à la demande.

La cour en vient ainsi à l’autre fondement, qui est l’existence d’une faute ou la théorie de l’enrichissement sans cause. Il appartient à l’appelante d’établir des actes juridiques ou des faits fondant sa prétention à cet égard et la cour retient que ce qui est reproché à la société est d’une part de ne pas avoir repris ces déductions sur les fiches fiscales récapitulatives annuelles 281.10 et d’autre part de ne pas avoir versé les déductions effectuées aux administrations concernées, ayant conservé ces montants et s’enrichissant au préjudice de la travailleuse.

Pour la cour, la preuve de ces manquements n’est pas établie, le respect par la société de ses obligations légales envers l’administration fiscale ayant été prouvé, ainsi que demandé dans l’arrêt de réouverture des débats. Il est également fait grief à l’intéressée de ne pas avoir interpellé les administrations en cause si elle considérait que les fiches fiscales 281.10 étaient incorrectes. La cour lui reproche ainsi de ne pas avoir, même au titre de participation à l’administration de la preuve, effectué les démarches nécessaires. Les prémisses de la demande n’étant pas établies, la cour estime qu’il n’y a pas lieu d’investiguer davantage quant à son fondement, et ce même si l’appelante n’a pas la charge de la preuve à cet égard. La cour rappelle que l’employée avait été invitée à donner tous les éléments relatifs à la taxation de ses revenus pour l’année en cause, ce qui n’a pas été fait. Elle en conclut que cette dernière, par son attitude, ferait reposer indûment sur la société une charge de la preuve démesurée. Ceci eu égard à l’ancienneté des faits, susceptible de violer les droits de défense de l’employeur.

Intérêt de la décision

Les options sur actions ont été principalement abordées en jurisprudence à partir du caractère rémunératoire ou non de l’avantage accordé et, par voie de conséquence, de leur inclusion dans le calcul de l’indemnité compensatoire de préavis.

Dans un arrêt du 12 avril 2016 (C. trav. Bruxelles, 12 avril 2016, R.G. 2014/AB/151 – précédemment commenté), la cour du travail avait rappelé qu’en cas d’attribution gratuite, l’avantage de toute nature constitue un revenu professionnel imposable, et ceci au moment de l’attribution de l’option. Par contre, les avantages obtenus à l’occasion de l’aliénation d’une option, de l’exercice de celle-ci ou encore de l’aliénation des actions acquises par l’effet de cet exercice ne sont pas des revenus professionnels soumis à l’impôt. Si toutefois un avantage certain est assuré au bénéficiaire de l’option, celui-ci pourra être déterminé au moment de l’exercice de l’option et sera dès lors imposable à ce moment-là.

La loi a de son côté fixé forfaitairement l’évaluation de l’avantage en nature ainsi constitué, à un pourcentage (15%) de la valeur des actions concernées au moment de l’offre.

Le débat dans cette affaire tranchée par la Cour du travail de Bruxelles dans cet arrêt du 12 avril 2016 portait sur l’inclusion de cet avantage dans l’indemnité compensatoire de préavis, l’employeur considérant qu’il ne devait pas entrer en ligne de compte dans la base de calcul au motif de l’incertitude de la valeur des options.

La cour n’a pas suivi cette position.

L’on peut encore renvoyer sur la question à un arrêt précédent (C. trav. Bruxelles, 11 mai 2011, R.G. 2009/AB/52.708 – également précédemment commenté).

Quant à l’arrêt rendu le 19 août 2021, l’on retiendra essentiellement que la cour a, notamment par une réouverture des débats et par un examen fouillé de l’argumentation des parties, tenté de vérifier le respect par l’employeur de ses obligations (essentiellement fiscales). L’action était manifestement mal engagée, les prétentions ne reposant sur aucun élément concret qui eut pu justifier qu’il y fut fait droit. La cour a rappelé que l’article 296 du Code des impôts sur les revenus dispose que, même si l’employeur est en défaut de payer le précompte qu’il aura retenu sur la rémunération du travailleur, celui-ci est imputé sur la quotité de l’impôt des personnes physiques proportionnellement afférente aux revenus professionnels correspondants. La cour du travail a renvoyé à un arrêt de la Cour de cassation du 6 septembre 2012 (Cass., 6 septembre 2012, n° F.11.0134.F).


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