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Validité d’un accord-indemnité et rappel des règles en matière de rémunération de base

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 2 septembre 2021, R.G. 2020/AN/124 et 2020/AN/125

Mis en ligne le mardi 29 mars 2022


Cour du travail de Liège (division Namur), 2 septembre 2021, R.G. 2020/AN/124 et 2020/AN/125

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 septembre 2021, la Cour du travail de Liège (division Namur) rappelle le caractère d’ordre public de la loi du 10 avril 1971, notamment en ses articles 65 (procédure d’entérinement d’un accord-indemnité) et 34 et suivants (rémunération de base – en l’occurrence en cas de crédit-temps).

Les faits

Une travailleuse salariée, occupée dans le secteur privé, a été victime d’un accident sur le chemin du travail le 14 juin 2018. Quelques mois plus tard, un projet d’accord-indemnité lui a été soumis par l’assureur-loi, fixant les séquelles de l’accident. Il retient une période d’incapacité temporaire de quatre mois et demi, une date de consolidation au 1er novembre, avec un taux d’I.P.P. de 8%. La rémunération de base a également été fixée. Le projet d’accord-indemnité a été signé par son médecin et elle-même.

Plus tard, suite à un autre avis médical, elle a avisé FEDRIS qu’elle contestait le contenu de l’accord-indemnité. Une procédure a été introduite et ce projet a été considéré comme nul par FEDRIS, vu l’intentement de la procédure.

Rétroactes de la procédure

Dans le cadre de celle-ci, l’assureur-loi a formé une demande reconventionnelle en vue d’obtenir l’entérinement de l’accord. L’action a été déclarée non fondée et l’accord a été entériné par jugement du Tribunal du travail de Liège (division Namur) du 1er septembre 2020.

Pour le tribunal, cet accord est un contrat et toute erreur n’emporte pas la nullité de celui-ci. Pour ce qui est de la position de FEDRIS dans le cadre de la procédure administrative d’entérinement, le tribunal a relevé qu’il n’y a pas eu de refus d’entérinement pour contrariété à la loi mais que l’Agence a mis fin à la procédure vu l’intentement de l’action.

Position des parties devant la cour

L’appelante expose avoir été dans l’ignorance de ce qu’elle pouvait contester le rapport du médecin-conseil de l’assureur-loi.

Pour ce qui est de ses griefs quant au jugement, elle relève en droit que les accords-indemnités doivent mentionner la nature des lésions subies par la victime et que cette énumération doit être exhaustive (article 63 de la loi du 10 avril 1971). Elle précise également qu’en vertu de l’article 6, § 2, du même texte, toute convention conclue en violation des dispositions de la loi est nulle de plein droit.

Sur la rémunération de base, étant en crédit-temps au moment de l’accident, elle estime (comme le premier juge) que l’indemnité relative à l’incapacité temporaire totale doit être fixée sur pied de l’article 36, § 1er, de la loi, la durée du travail à prendre en compte étant celle applicable avant la suspension.

Pour sa part, l’assureur-loi, qui interjette également appel du jugement, considère que la rémunération de base n’a pas été correctement calculée par le premier juge, l’intéressée étant à temps partiel. C’est sur ce seul point que porte l’appel de l’assureur.

La décision de la cour

La cour est saisie de deux points de droit, qu’elle aborde successivement. Le premier concerne la valeur de l’accord-indemnité et le second la rémunération de base.

Sur la question de l’entérinement, elle rappelle le caractère d’ordre public de la législation et la mission du juge telle que fixée à l’article 6, § 3, de la loi, étant qu’il doit vérifier d’office si les dispositions légales ont été observées.

Un rappel historique est fait du système en vigueur jusqu’à l’arrêté royal n° 530 du 31 mars 1987 ainsi que de la législation applicable depuis. La nature juridique de l’accord-indemnité n’a pas été modifiée par cet arrêté royal, celui-ci restant un contrat solennel. Rappel est fait ensuite de l’article 65 de la loi, relatif à la procédure d’entérinement.

La cour rappelle encore que le juge n’est pas tenu par l’accord des parties lorsque celui-ci ne réunit pas les conditions prévues à peine de nullité par cet article 65. C’est l’enseignement de la Cour de cassation dans un arrêt du 19 septembre 1994 (Cass., 19 septembre 1994, n° S.93.0158.F). De même quand FEDRIS n’a pas entériné l’accord, la circonstance que celui-ci a été signé par les parties étant sans incidence.

Renvoi est également fait à l’article 2 de l’arrêté royal du 10 septembre 1987 fixant les modalités et les conditions de l’entérinement des accords par FEDRIS, qui reprend les obligations d’information de l’assureur-loi lorsqu’il transmet l’accord-indemnité.

En l’espèce, la cour examine le texte de cet accord, constatant diverses carences dans les mentions qu’il doit contenir. Ainsi, pour la rémunération de base pour l’incapacité temporaire alors que la victime était en crédit-temps, l’assureur-loi ayant appliqué à son cas la rémunération valable en cas de temps partiel. Sont également manquantes des séquelles résultant de l’accident, et notamment un élément important, étant un diagnostic de stress post-traumatique, pourtant retenu dans le rapport de consolidation. L’accord-indemnité se borne sur ce point à faire état de « troubles du sommeil » en tant que séquelles psychologiques. En outre, référence est faite au Barème belge des invalidités. D’autres griefs sont encore faits.

La cour considère en conclusion ne pas être convaincue que la consolidation était acquise à la date retenue par l’assureur-loi. Elle réforme le jugement sur cette question, puisqu’il s’est basé sur les articles 1109 et 1110 du Code civil pour considérer que l’accord-indemnité était valable alors qu’aucune explication n’est donnée sur le libellé des séquelles et que la date de consolidation peut être sérieusement remise en doute.

Pour ce qui est de la deuxième question litigieuse, relative à la rémunération de base, la cour reprend les dispositions légales, tout en rappelant qu’elles doivent être interprétées restrictivement.

S’agissant en l’espèce de la question de savoir si le travailleur en crédit-temps est un travailleur à temps partiel ou un travailleur à temps plein dont l’exécution du contrat est suspendue partiellement, la cour renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation, en son arrêt du 11 mai 2020 (Cass., 11 mai 2020, n° S.19.0112.N) : la durée du travail d’application avant la suspension temporaire partielle de l’exécution des prestations de travail à temps plein reste la durée contractuelle normale de travail, de sorte que, pour déterminer la rémunération de base pour l’incapacité temporaire, il faut appliquer l’article 36, § 1er, et non l’article 37bis, § 1er, de la loi.

Pour la cour, dans la ligne de cet enseignement, nonobstant le contrat signé entre les parties relatif à l’exercice d’un temps partiel, le régime de travail de l’ancien contrat de travail persiste. La rémunération de base ne peut dès lors être réduite.

Intérêt de la décision

Deux points importants sont abordés ici, relatifs au règlement des séquelles de l’accident du travail.

La question de la validité de l’accord-indemnité est abordée par la cour sous l’angle du caractère d’ordre public de la loi, et particulièrement de la procédure d’entérinement fixée à l’article 65.

Alors que le tribunal avait retenu purement une base contractuelle à celui-ci, la cour reprend la jurisprudence de la Cour de cassation, lorsque cet accord ne réunit pas les conditions prévues à peine de nullité par l’article 65. En l’occurrence, il s’agit du libellé des séquelles et, en l’espèce, par voie de conséquence, de la date de consolidation qui a été retenue.

Un second point d’intérêt est certes le calcul de la rémunération de base en cas de régime de travail « allégé », étant en l’occurrence un crédit-temps.

La Cour de cassation a rendu un arrêt déterminant sur la question, en date du 11 mai 2020 (Cass., 11 mai 2020, n° S.19.0012.N – précédemment commenté). Il y a lieu de retenir le régime de travail existant avant la suspension partielle de l’exécution des prestations. Ceci découle du caractère d’ordre public des dispositions en matière de rémunération de base et, par conséquent, de l’obligation d’interpréter de manière stricte les dispositions légales. Il ne peut dès lors être raisonné « par analogie », étant de puiser dans la disposition spécifique au travail à temps partiel le mode de calcul de la rémunération de base (dont on sait qu’elle est limitée, dans cette hypothèse, aux prestations réellement effectuées).

Pour le calcul de cette rémunération de base, il faut se référer à la disposition résiduaire qu’est l’article 36 de la loi.

Soulignons encore que la cour a renvoyé à la doctrine de S. REMOUCHAMPS (S. REMOUCHAMPS, « L’incidence du crédit-temps sur le calcul de la rémunération de base », For. Ass., 2021/6, n° 215, p. 127), étant un commentaire de cet arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 2020.


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