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Effets du transfert d’entreprise sur les contrats en cours : un cas d’application

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 juillet 2021, R.G. 2019/AB/767

Mis en ligne le mardi 29 mars 2022


Cour du travail de Bruxelles, 13 juillet 2021, R.G. 2019/AB/767

Terra Laboris

Par arrêt du 13 juillet 2021, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’automaticité des effets d’un transfert conventionnel d’entreprise, le cédant et le cessionnaire n’étant pas libres de choisir les travailleurs qui feraient l’objet du transfert.

Les faits

Une vendeuse, engagée depuis juin 2004, est licenciée dix ans plus tard moyennant préavis à prester, son préavis devant prendre cours le 3 novembre 2014. Cinq semaines après cette date, l’employeur conclut une convention de cession de fonds de commerce avec une autre société. Celle-ci prendra effet le 1er janvier 2015. La question du personnel n’y est pas évoquée. En avril 2015, une convention de rupture d’un commun accord est conclue entre le cédant et l’employée, la fin des prestations étant prévue à la fin du mois.

A une date non précisée, un contrat de travail à durée indéterminée prenant cours le 1er mai 2015 (soit le lendemain de la fin des prestations avec la société cédante) est conclu avec la société qui a repris le fonds de commerce.

La société cédante est quant à elle déclarée en faillite trois mois plus tard. L’employée dépose une déclaration de créance dans le cadre de cette faillite devant le tribunal de commerce. En janvier 2016, le Comité de gestion du Fonds de Fermeture des Entreprises prend une décision positive, dans le dossier, fixant la date légale de fermeture au 1er juin 2015.

Une semaine plus tard, l’employeur la licencie à son tour, moyennant un préavis à prester. A l’issue de celui-ci (six semaines), l’intéressée s’inscrit au chômage.

Le curateur désigné à la faillite du premier employeur transmet à l’intéressée le décompte de sa créance, qui contient une indemnité correspondant au solde du préavis qui lui reste due.

Le Fonds de Fermeture, qui a reçu le document F1 du curateur, notifie alors une décision négative à l’employée, au motif qu’il s’agit d’un transfert d’entreprise dans le cadre de la C.C.T. n° 32bis, le Fonds précisant que l’intéressée a été immédiatement reprise par la société cessionnaire.

Une procédure est introduite en 2018 devant le tribunal du travail contre la société cessionnaire et le Fonds de Fermeture, l’intéressée réclamant leur condamnation « in solidum », l’un à défaut de l’autre, au paiement des sommes dues selon le décompte du curateur.

Le tribunal, statuant par jugement du 9 septembre 2019, déclare l’action prescrite en ce qui concerne la société. Elle la déclare fondée pour ce qui est du Fonds de Fermeture, condamnant celui-ci à intervenir en faveur de l’intéressée, et ce dans la limite des plafonds légaux.

Le Fonds interjette appel, demandant à titre principal que la cour déclare l’action irrecevable et, à titre subsidiaire, non fondée (développant une thèse plus subsidiaire encore, étant que l’action serait recevable et fondée à l’encontre de la société).

Pour la société, l’appel du Fonds de Fermeture ainsi que sa demande relative à sa condamnation au paiement des sommes dues sont irrecevables ou, à tout le moins, non fondés.

La travailleuse réitère ses demandes.

La décision de la cour

Sur le fond, la cour retient que l’enjeu du litige consiste à déterminer s’il y a eu transfert conventionnel d’entreprise. Elle rappelle les principes en la matière, soulignant que la C.C.T. n° 32bis doit être interprétée conformément aux principes de la Directive, étant actuellement la Directive de codification n° 2001/23/CE du 12 mars 2001.

Elle en reprend les principes utiles, étant notamment que l’existence d’un transfert conventionnel d’entreprise est une question de fait qui relève de la compétence des juridictions du fond, celles-ci devant tenir compte de toutes les circonstances de fait qui caractérisent l’opération en cause. La cour souligne que le critère déterminant est la conservation de l’identité de l’entreprise, tandis que le poids des différents éléments de fait à prendre en considération varie en fonction de la nature de celle-ci et de l’activité exercée.

Examinant les activités elles-mêmes, la cour conclut à l’existence d’un transfert d’entreprise qui a maintenu son identité.

Pour ce qui est de l’action telle qu’elle est dirigée contre le Fonds de Fermeture, la cour la déclare non fondée et rappelle qu’elle a été introduite au-delà du délai de prescription d’un an et serait pour cette raison également rejetée.

Elle examine, cependant, le fondement de l’action contre la société. Les conséquences du transfert sont que les droits résultant des contrats de travail sont, du fait du transfert, transférés au cessionnaire et que les deux parties au transfert sont tenues in solidum au paiement des dettes existant à la date du transfert et résultant de ces contrats de travail (hors dettes dans le chef de régimes complémentaires de prestations sociales).

A la date du transfert, l’intéressée était donc liée au cédant par un contrat de travail et les obligations qui résultaient pour cette société du contrat de travail ont été transférées à la société cessionnaire, qui a endossé la qualité d’employeur à partir de cette date.

La situation étant particulière (maintien de l’intéressée sans interruption dans le temps et dans la même fonction à dater du transfert), la cour pose la question de savoir s’il y a eu rupture du contrat au 30 avril 2015 (date de la fin des relations contractuelles telle que fixée dans la convention de rupture d’un commun accord) et si une telle convention pouvait être conclue avec la société cédante qui n’avait plus la qualité d’employeur à ce moment. En outre, examinant les postes réclamés (dont prime de fin d’année et pécule), la cour constate qu’il ne s’agit pas de dettes existant à la date du transfert. Des zones d’ombre persistent en ce qui concerne des postes spécifiques (congés payés de 2014 et solde « non presté » du préavis initialement notifié par le cédant). La cour envisage également la question de la prescription de l’action pour ces postes, celle-ci étant d’ailleurs posée également par la société.

Pour la cour, si ces sommes (en tout ou en partie) sont susceptibles d’être visées par les articles 162 et 189 du Code pénal social, l’action peut être soumise à une autre règle de prescription que l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978, à savoir l’article 2262bis du Code civil.

Une réouverture des débats est dès lors ordonnée sur la question.

Intérêt de la décision

Quoique la cour ne vide pas sa saisine, puisqu’elle estime être insuffisamment informée sur la question de la prescription éventuelle de l’action, vu l’imprécision des éléments qui lui sont soumis, cet arrêt rappelle l’automaticité des effets du transfert conventionnel d’entreprise, étant que le cédant et le cessionnaire ne sont pas libres de choisir les travailleurs occupés au service du cédant qui seraient transférés au cessionnaire et que la mise en œuvre des droits issus des contrats de travail ne saurait non plus être subordonnée au consentement des travailleurs.

Le seul tempérament est celui de l’hypothèse où le travailleur s’oppose au transfert du contrat, hypothèse dont la cour rappelle que la Cour de Justice a jugé que la protection que la Directive vise à assurer est dépourvue d’objet lorsque l’intéressé lui-même, à la suite d’une décision prise par lui librement, décide de ne pas poursuivre après le transfert, avec le nouveau chef d’entreprise, la relation de travail. (C.J.C.E., 16 décembre 1992, C-132/91 ? C-138/91 et C-139/91 (KATZIKAS et alii c/ PCO STAUEREIBETRIEB PAETZ & CO. NFL. GMBH), EU:C:1992:517).

Dans une telle situation en effet, l’article 3, paragraphe 1, de la directive ne s’applique pas, la Cour rappelant dans cet arrêt que la directive ne procède qu’à une harmonisation partielle de la matière en cause.

Elle permet au travailleur de rester au service du nouvel employeur dans les mêmes conditions que celles convenues avec le cédant, mais ne saurait être interprétée comme obligeant le travailleur à poursuivre la relation de travail avec le cessionnaire, ce qui mettrait en cause les droits fondamentaux du travailleur, qui doit être libre de choisir son employeur et ne peut pas être obligé de travailler pour un employeur qu’il n’a pas librement choisi. L’article 3, paragraphe 1, de la directive ne fait dès lors pas obstacle à ce qu’un travailleur décide de s’opposer au transfert de son contrat ou de sa relation de travail et, ainsi, de ne pas bénéficier de la protection que lui accorde la directive.

Sur la question de la prescription, rappelons l’arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 2020 (Cass., 15 juin 2020, n° S.19.0044.N), où la Cour a jugé qu’en vertu de l’article 72, 1er alinéa 1er, de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprises, les actions des travailleurs portant sur le paiement de l’indemnité de fermeture prévue à l’article 18 et des interventions prévues aux articles 33, 35, 41, 47, 49 et 51 de la loi se prescrivent par un an à partir du jour où le dossier du travailleur est complet et est approuvé par le Comité de gestion du Fonds de Fermeture. Par approbation au sens de cette disposition, il faut comprendre non que le dossier ait été accepté mais que la loi ait été déclarée applicable par le Comité de gestion.


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