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Bénéficiaire d’une interruption de carrière et travail salarié effectué dans le cadre de la lutte contre le COVID-19

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Namur), 9 juillet 2021, R.G. 20/746/A

Mis en ligne le mardi 15 mars 2022


Tribunal du travail de Liège (division Namur), 9 juillet 2021, R.G. 20/746/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 9 juillet 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Namur) examine la réglementation existante au cours du premier semestre 2020 permettant le maintien du droit aux allocations d’interruption de carrière avec la reprise temporaire d’une activité dans un secteur dit « vital ».

Les faits

Une enseignante infirmière a été appelée en renfort dans le cadre de la crise du COVID-19 pendant les vacances de printemps 2020. Elle a ainsi presté dans un home pendant une semaine, et ce la nuit, cet établissement étant confronté à un taux important de contamination de ses résidents ainsi que de son personnel.

L’ONEm lui a notifié, en date du 4 août 2020, une décision l’informant de son exclusion du bénéfice des allocations d’interruption de carrière, et ce pour une période de sept semaines. Cette décision fait suite à l’occupation en cause.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail et, dans le cadre de celui-ci, l’ONEm formule une demande reconventionnelle tendant au remboursement des allocations perçues.

La décision du tribunal

Le tribunal commence par annuler la décision rendue, et ce pour défaut de motivation. Il relève que, lors de son audition, l’intéressée avait fait valoir divers arguments et que ceux-ci n’ont pas été pris en compte.

Ayant annulé la décision administrative, il poursuit en rappelant qu’il lui appartient dans cette hypothèse de se substituer à l’ONEm dans l’analyse du droit de l’intéressée aux allocations d’interruption.

Il en vient ainsi à l’étude de la réglementation sur la question.

L’arrêté royal concernant le droit à l’interruption de carrière des membres du personnel de l’enseignement (ainsi que de ceux des centres psycho-médico-sociaux) date du 12 août 1991. Son article 7 dispose que le droit aux allocations se perd à partir du jour où le membre du personnel entame une activité rémunérée quelconque, élargit une activité accessoire existante ou exerce une activité indépendante plus longtemps que permis par la réglementation.

Le tribunal note cependant que des exceptions à cette règle ont été admises dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 et il renvoie à l’arrêté de pouvoirs spéciaux n° 14 du 27 avril 2020. Celui-ci est entré en vigueur le 1er avril 2020 et dispose en son article 9 que le travailleur bénéficiant des dispositions de la loi du 22 janvier 1985 contenant les dispositions sociales peut, pendant la durée pour laquelle il a interrompu ou réduit ses prestations, être occupé temporairement pour un autre employeur qui appartient à un secteur dit « vital ». Des formalités sont à respecter en ce qui concerne le contrat de travail (écrit et mention d’une date de fin – celle-ci ne pouvant être ultérieure à celle de fin d’effet du chapitre correspondant de l’arrêté royal) et l’avertissement à l’ONEm. La notion de « secteur vital » est précisée dans une annexe à l’arrêté lui-même, étant également prévu que cette liste peut être étendue par arrêté délibéré en Conseil des ministres.

Pour ce qui est des secteurs visés, il s’agit des commissions paritaires n° 144 (agriculture), 145 (entreprises horticoles), 146 (entreprises forestières) et 322 (entreprises intérimaires et services de proximité). Cette liste n’a pas été étendue, aucune autre mesure n’ayant été décidée.

Un autre arrêté royal a cependant été pris concomitamment, s’agissant de celui du 23 avril 1920, assouplissant temporairement les conditions dans lesquelles les chômeurs, avec ou sans complément d’entreprise, peuvent être occupés dans des secteurs vitaux. Cette mesure a permis au chômeur de travailler dans un secteur jugé vital tout en conservant le droit à ses allocations, celles-ci étant cependant réduites à 25%. Dans les secteurs visés, figurent ceux de l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux ci-dessus, mais aucune extension n’a par ailleurs été prévue.

Le tribunal relève encore qu’une loi est entrée en vigueur le 1er octobre 2020, étant la loi du 20 décembre 2020 portant des mesures de soutien temporaires en raison de la pandémie du COVID-19. Celle-ci a autorisé le cumul (partiel) d’allocations d’interruption de carrière avec une activité salariée exercée dans le secteur des soins de santé.

Il résulte de tout ceci que la possibilité de travailler en maintenant le droit aux allocations d’interruption n’existait pas pour l’intéressée à l’époque visée. Le tribunal dit ne pas s’expliquer – à l’instar d’ailleurs de l’auditorat du travail – que le secteur des soins de santé n’ait pas été repris dans la liste des secteurs considérés comme vitaux.

Le tribunal renvoie à l’avis de l’auditorat selon lequel les dispositions visées seraient sources de deux discriminations, la première visant un traitement distinct de travailleurs se trouvant dans une situation identique (ceux qui prestent dans les secteurs autorisés et ceux qui prestent dans le secteur des soins de santé) et la seconde visant un traitement distinct des travailleurs du secteur de la santé avant et après la date du 1er octobre 2020.

Si le tribunal ne manque pas de relever le caractère injuste des mesures prises par le Gouvernement, il considère cependant ne pas être juge en opportunité des mesures décidées par celui-ci, non plus que de leur caractère discriminatoire.

Il note également que l’intéressée n’avait de son côté pas rempli l’obligation légale à sa charge, étant d’informer l’ONEm de son occupation, de telle sorte que, dans la présente espèce, il estime ne pas devoir poser à la Cour constitutionnelle une question proposée par l’auditorat, dans la mesure où l’issue du litige serait inchangée, vu le non-respect de cette formalité.

Les allocations doivent dès lors être remboursées, mais la travailleuse peut démontrer sa bonne foi aux fins de limiter la récupération. Renvoyant à un arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 juin 2018 (C. const., 7 juin 2018, n° 71/2018), où celle-ci a jugé que la loi du 22 janvier 1985 devrait être considérée comme illégale si elle ne prévoyait pas un mécanisme similaire à l’article 169 de l’arrêté royal organique chômage, le tribunal fait application de cette disposition. Il relève la bonne foi de l’intéressée, celle-ci ayant eu la conviction, vu les termes d’une circulaire envoyée par la ministre de l’enseignement, qu’elle agissait en toute légalité et souligne qu’à l’époque les médias relayaient les appels du Gouvernement à la solidarité.

Sur les quarante-quatre allocations dont le remboursement est réclamé, le tribunal en retient dès lors sept…, soit un montant de 23,46 euros, rappelant également que l’article 22, § 2, de la Charte de l’assuré social permet à l’institution de sécurité sociale de renoncer à la récupération.

Intérêt de la décision

Le tribunal rappelle ici la position particulièrement délicate des bénéficiaires d’une allocation d’interruption de carrière avant la loi du 20 décembre 2020 portant des mesures de soutien temporaires en raison de la pandémie du COVID-19.

Comme il le rappelle judicieusement, la situation de l’intéressée, enseignante et bénéficiaire d’allocations dans le cadre de l’arrêté royal du 12 août 1991, n’était couverte par aucun texte, pour ce qui est du maintien de son droit aux allocations.

Partant du constat qu’un élément de fait de l’espèce devait nécessairement aboutir au rejet du recours, le tribunal a estimé qu’il n’y avait pas lieu de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.

Il a cependant, en application de la jurisprudence de cette même cour, considéré qu’il y a lieu d’appliquer, pour ce qui est de la récupération, la règle de l’article 169 de l’arrêté royal organique, comme s’il s’agissait d’une récupération d’allocations de chômage dans le régime général.

L’on notera, sur la question de la limitation de la récupération, un jugement rendu par le Tribunal du travail du Hainaut (Trib. trav. Hainaut, div. Mouscron, 18 juin 2021, R.G. 19/701/A). Dans cette affaire, qui concerne un membre d’une administration, dont le régime d’interruption de carrière est régi par l’arrêté royal du 7 mai 1999, le tribunal a admis que l’obligation de rembourser les indemnités indûment perçues s’inspire du régime applicable en matière d’allocations de chômage, dans la mesure où l’indu à rembourser peut également être limité dans l’hypothèse où le travailleur démontre sa bonne foi. Le tribunal a conclu qu’il peut être renvoyé sur cette notion à la jurisprudence dégagée dans le cadre de l’assurance chômage.

Dans la présente espèce, le Tribunal du travail de Liège (division Namur) renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 juin 2018 (C. const., 7 juin 2018, n° 71/2018). Dans cette importante décision, la Cour constitutionnelle a considéré que la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’elle ne contient aucune disposition relative à la limitation de la répétition des allocations d’interruption de carrière payées indûment. Les allocations d’interruption de carrière et les allocations de chômage sont en effet suffisamment comparables en ce qui concerne le régime applicable à la prescription et à la limitation de la récupération de l’indu, puisque celui qui vaut pour les allocations de chômage a été rendu partiellement applicable par le législateur aux allocations d’interruption. Les bénéficiaires des allocations comparées se trouvent, au regard de l’importance des allocations pour eux, dans des situations qui ne sont pas essentiellement différentes. En outre, la circonstance que les allocations compensent la perte involontaire et à durée indéterminée d’un emploi rémunéré ou qu’elles compensent la perte temporaire du revenu professionnel du bénéficiaire ne présente pas de rapport avec l’objectif d’équité qui justifie que l’ampleur du remboursement des sommes perçues indûment puisse être limitée dans certains cas.


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