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Travaux d’aménagement du domicile de la personne handicapée : intervention de l’AViQ

Commentaire de C. trav. Liège (div. Neufchâteau), 8 septembre 2021, R.G. 2019/AU/49

Mis en ligne le mardi 15 mars 2022


Cour du travail de Liège (division Neufchâteau), 8 septembre 2021, R.G. 2019/AU/49

Terra Laboris

Dans un arrêt du 8 septembre 2021, la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation quant à la réglementation wallonne prévoyant les conditions de prise en charge par l’AViQ des travaux d’aménagement du domicile de la personne handicapée.

Les faits

Une personne est atteinte de sclérose en plaques, qui implique des troubles moteurs au niveau des membres inférieurs et des parésies au niveau des membres supérieurs.

En 2017 elle a introduit une demande aux fins d’obtenir une intervention dans divers aménagements de son domicile (où elle vit avec son époux et ses trois enfants). L’AViQ lui notifie une décision de refus, s’agissant d’une demande d’intervention pour la construction d’une annexe. L’AViQ rappelle les conditions d’accès à l’aide individuelle à l’intégration telles que prévues par l’article 786 du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé. En bref, ces conditions sont que les frais doivent être encourus en raison du handicap (un lien de causalité devant être établi), qu’ils doivent constituer des dépenses supplémentaires à celles qu’une personne valide encourt dans des circonstances identiques (obligation d’existence d’un surcoût par rapport à une personne sans handicap) et qu’ils soient jugés nécessaires aux activités de la personne handicapée et/ou à sa participation à sa vie en société.

Pour l’AViQ, manque la condition du lien entre l’aménagement sollicité et le handicap. Ceci implique que le coût de l’annexe en cause ne représente pas un supplément par rapport à celui qu’encourt une personne valide dans les mêmes circonstances.

Une décision ultérieure intervient, admettant la prise en charge d’aménagements (élargissement de deux portes).

L’intéressée saisit le tribunal du travail, qui ordonne une descente sur les lieux, au domicile de la demanderesse.

Les parties ont reconclu après cette mesure d’instruction et, le 10 septembre 2019, le tribunal considère la demande partiellement fondée, l’intervention étant limitée à celle à accorder pour l’installation d’une plateforme dans l’ancien salon occupé. Il y a refus de l’intervention sollicitée pour l’aide à la construction d’un garage et d’un sas.

L’AViQ a interjeté appel de cette décision.

Les parties ont défendu leur position respective devant la cour et le ministère public a rendu son avis.

L’avis du ministère public

Le ministère public a conclu au fondement de l’appel pour ce qui est de la demande relative à la construction d’une annexe, demandant que le jugement entrepris soit réformé sur le montant admis, qui a été limité au montant de l’intervention pour l’installation d’une plateforme. Sur l’appel incident de l’intéressée, il a également admis qu’il y avait lieu de réformer le jugement, qui avait invité l’AViQ à donner des précisions sur une question de correction d’un dénivelé des lieux (dénivelé entre la cuisine et la buanderie).

La décision de la cour

La cour fait un important rappel des principes en matière d’intervention dans les aménagements immobiliers en faveur des personnes souffrant d’un handicap, s’appliquant ici le Code wallon de l’action sociale et de la santé.

Elle reprend les dispositions applicables en 2017, la réglementation ayant été modifiée par un arrêté du Gouvernement wallon du 11 juin 2015, notamment pour ce qui est de l’aide individuelle à l’intégration. Rappel est fait de l’arrêt du Conseil d’Etat du 20 février 2019 (C. E., 20 février 2019, n° 243.760), qui a annulé cet arrêté du Gouvernement wallon mais a précisé que ses effets étaient maintenus jusqu’au 20 mai 2019, et ce eu égard aux nombreuses applications de portée individuelle dont les dispositions litigieuses avaient fait l’objet et tenant compte de la charge tant administrative que budgétaire qu’impliquerait un éventuel réexamen des demandes. Il s’agit dès lors bien des dispositions à appliquer en l’espèce.

Les articles 784 et suivants sont dès lors repris, avec les grilles d’intervention et les plafonds légaux, notamment.

La cour renvoie également à l’arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2015 (Cass., 16 mars 2015, n° S.14.0049.F), arrêt dans lequel a été confirmé que des frais nécessaires en raison de son handicap aux activités de la personne handicapée ou à sa participation à la vie en société ne sont pris en charge que s’ils excèdent ceux que devrait, dans les mêmes circonstances, exposer une personne valide.

Elle reprend les conclusions de M. l’Avocat général GENICOT, pour qui il faut une double condition pour justifier l’intervention de l’AViQ : non seulement la nécessité de travaux en raison du handicap, mais aussi un dépassement des dépenses que l’on pourrait définir comme excédant les limites de la norme habituellement admise par référence aux aménagements de même type pour une personne valide. Il précise que la nécessité des travaux en raison du handicap apparaît clairement comme une condition nécessaire mais non suffisante, le texte imposant de restreindre l’intervention à ce qui distingue un aménagement spécifiquement caractérisé et imposé par le handicap de ce qui est généralement prévu ou reconnu pour une personne valide.

La cour renvoie également à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 5 février 2018 (C. trav. Bruxelles, 5 février 2018, R.G. 2015/AB/824), pour qui la circonstance que les aménagements envisagés ne soient pas « hors norme » n’empêche pas qu’ils soient nécessaires en raison du handicap et qu’ils engendrent dès lors des frais supplémentaires à ceux qu’une personne valide encourt dans des circonstances identiques.

De même, examinant la question d’une installation de système de climatisation, la Cour du travail de Liège avait considéré, dans un arrêt du 9 mars 2016 (C. trav. Liège, div. Liège, 9 mars 2016, R.G. 2015/AL/279), que la climatisation envisagée, concernant l’ensemble du domicile, ne correspondait pas à une dépense de celles que toute personne peut raisonnablement envisager et que l’intervention sollicitée, à concurrence du surcoût qu’elle comporte par rapport à un système de ventilation ou de climatisation traditionnel pour une personne valide, est de nature à concerner des frais supplémentaires à ceux qu’une personne valide encourt dans des circonstances identiques (avec renvoi aux conclusions de M. l’Avocat général GENICOT).

En l’espèce, doivent ainsi être examinés quatre points, étant de savoir (i) si les frais sont rendus nécessaires en raison du handicap, (ii) s’ils vont favoriser les activités de la personne handicapée ou sa participation à la vie en société, (iii) s’il s’agit de frais supplémentaires à ceux qu’une personne valide encourt dans des circonstances identiques et (iv), dans l’hypothèse où plusieurs solutions équivalentes existent sur le plan de la fonctionnalité, si le montant de l’intervention équivaut au coût de la solution la moins onéreuse.

Un examen minutieux de ces conditions est effectué. La cour conclut rapidement que les trois premières conditions sont remplies.

Pour la quatrième, l’AViQ considère que l’intéressée n’a pas fait le choix de la voie la moins onéreuse. La cour rétorque que le critère est ici l’existence de plusieurs solutions équivalentes en termes de fonctionnalité et que l’AViQ ne démontre pas que les alternatives qu’elle propose auraient ce caractère. Pour la cour, les travaux liés à la création de l’annexe litigieuse en ce qui concerne le rez-de-chaussée constituent bien des travaux pour lesquels une intervention de l’AViQ se justifie. La cour admet également les travaux de rehaussement du garage.

Quant au montant de l’aide elle-même, la cour relève que le Code réglementaire contient une annexe à cet égard et que l’examen des dispositions applicables permet de conclure que l’intervention ne peut être calculée qu’au regard des travaux effectivement effectués et non par référence à d’autres aménagements, moins onéreux, qui pouvaient, le cas échéant, l’être (solution retenue par le tribunal, pour un des aménagements).

En l’occurrence, l’intéressée a satisfait à l’obligation de production de factures, confirmant ainsi la réalisation des travaux.

Reste cependant à déterminer la question du pourcentage de la prise en charge par l’intéressée elle-même et la cour ordonne une réouverture des débats sur ce point.

Intérêt de la décision

La Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) fait ici référence notamment à l’arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 5 février 2018 (R.G. 2015/AB/824 – précédemment commenté), dans lequel celle-ci statuait en tant que juridiction de renvoi après l’arrêt de principe de la Cour de cassation du 16 mars 2015, dans lequel la Cour suprême avait fixé la référence en matière de frais considérés comme nécessaires en raison du handicap : il s’agit des frais qui excèdent ceux que devrait, dans les mêmes circonstances, exposer une personne valide.

Dans cet arrêt du 16 mars 2015 (Cass., 16 mars 2015, n° S.14.0049.F – précédemment commenté), la Cour de cassation avait cassé un arrêt de la Cour du travail de Liège (section Namur) du 18 février 2014 (inédit). Elle y a opté, dans sa lecture du texte, pour une interprétation restrictive, étant que les frais nécessaires en raison du handicap aux activités de la personne handicapée ou à sa participation à la vie en société ne doivent être pris en charge que s’ils excèdent ceux que devrait, dans les mêmes circonstances, exposer une personne valide. La cour du travail avait relevé que deux interprétations étaient possibles de cette condition relative au coût des prestations demandées, le texte prévoyant qu’il y a lieu de tenir compte du « coût normal des prestations demandées et de leur coût supplémentaire à celui qu’une personne non handicapée encourt dans des situations identiques ». La cour du travail n’avait pas retenu la vision restrictive de l’AWIPH (à l’époque) eu égard à la finalité de l’intervention prévue par la législation, dont un des objectifs est le maintien de la personne handicapée à son domicile en l’adaptant à son handicap.


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