Terralaboris asbl

Réduction de cotisations de sécurité sociale pour nouveaux engagements et mission du secrétariat social

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 juin 2021, R.G. 2019/AB/55

Mis en ligne le mardi 15 mars 2022


Cour du travail de Bruxelles, 23 juin 2021, R.G. 2019/AB/55

Terra Laboris

Dans un arrêt du 23 juin 2021, la Cour du travail de Bruxelles retient dans l’espèce qui lui est soumise l’existence d’une unité technique d’exploitation et l’absence de création d’emploi effective. Elle conclut par ailleurs à l’absence de responsabilité du secrétariat social dans le cadre de l’exécution du mandat exercé au profit de la société.

Les faits

Une société familiale a été créée en 2015, avec pour objet social des activités de vente de glaces. Il s’agit de vente au comptoir et non d’un restaurant qui sert des repas à table. Les fondateurs, époux, sont par ailleurs associés et gérants d’une autre société créée en 2001, avec le même objet social, mais celle-ci exploite un restaurant à l’adresse de son siège. La première est enregistrée sous le code relatif à la restauration à service restreint et la seconde en tant que restauration à service complet.

Un contrôle a eu lieu en mai 2016 au restaurant. En ce qui concerne les personnes occupées, la gérante expose que, le jour du contrôle, elle avait deux personnes « en test », test non rémunéré. Elle explique ne pas avoir fait de déclaration comme « extra », car elle « n’avait pas le temps » et précise avoir engagé les deux personnes ultérieurement, soit quelques jours après le contrôle, et ce en vue du service dans la seconde société que le couple était en train d’ouvrir. Elle explique encore avoir au total engagé cinq travailleurs, dont certains ont été transférés de la première société à la seconde. Dans le même temps, celle-ci a sollicité – et obtenu – le bénéfice de réductions groupe cible « premiers engagements ».

L’année suivante, soit en mai 2017, l’O.N.S.S. lui notifie que ces réductions ont été accordées à tort. La motivation se réfère à l’article 344 de la loi-programme du 24 décembre 2002 et l’O.N.S.S. donne des précisions supplémentaires quant à la définition de la même unité technique d’exploitation. Les critères donnés par l’Office sont qu’il y a lieu d’examiner si les entités en cause sont liées par au moins une personne commune, qui peut être le chef d’entreprise, un travailleur, mais aussi toute autre personne quelle que soit sa qualité. Il y a également lieu de vérifier si elles ont une base socio-économique commune et il donne des exemples (lieu, activités, matériel et clientèle). Les éléments de fait pointés par l’Office sont relatifs au personnel transféré, à l’identité (ou, à tout le moins, à la complémentarité) des activités et au lieu. Vu l’absence d’augmentation d’effectif, l’O.N.S.S. considère que les six premiers travailleurs qui ont été engagés doivent être considérés comme des remplacements de travailleurs occupés dans les quatre trimestres précédents dans la même unité technique d’exploitation.

La société effectue le paiement des cotisations sociales mais introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 3 janvier 2019, le tribunal a conclu à l’existence d’un lien économique entre les deux sociétés (identité des gérants). Il considère que le fait que deux travailleurs aient été mis à l’essai au restaurant pour ensuite être occupés dans l’autre société confirme ce lien économique et social, ainsi que les activités exercées. La distance qui sépare les sièges (onze kilomètres) n’est pas de nature à rompre tout lien entre elles, eu égard aux constatations faites.

La société ayant fait valoir une erreur commise par son secrétariat social, l’Office considère qu’il s’agit d’un élément qui vient encore renforcer l’existence des liens entre les deux entités.

L’appel

La société interjette appel. Elle demande à pouvoir bénéficier des réductions groupe cible et sollicite la condamnation de l’O.N.S.S. au remboursement des paiements effectués.

Elle assigne également le secrétariat social devant le Tribunal de l’entreprise de Bruxelles en vue d’entendre prononcer sa condamnation à un montant de 10.000 euros au titre de dommages et intérêts, et ce provisionnellement.

Le secrétariat social forme intervention volontaire devant la cour du travail et sollicite que celle-ci constate qu’il n’a commis aucune erreur.

L’Office, pour sa part, sollicite la confirmation du jugement.

La décision de la cour

Dans un premier temps, la cour procède à un rappel du mécanisme légal tel qu’organisé par les articles 342 à 345 de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002. Ceci passe par la notion d’unité technique d’exploitation, notion spécifique à la matière.

Sur cette première question, elle fait le constat de l’identité des gérants et de la similarité des activités, qui se situent toutes deux dans le secteur de la restauration et font appel à un même savoir-faire. Elle relève également une gestion unifiée du personnel des deux entités, ce qui amène à la conclusion que celles-ci sont socialement et économiquement interdépendantes.

L’unité technique d’exploitation ayant été retenue, la cour procède à l’examen de la question de la création d’emploi supplémentaire. Ceci passe également par un rappel de la jurisprudence en la matière, dont un arrêt de la Cour du travail de Liège du 16 février 2021 (C. trav. Liège, 16 février 2021, R.G. 2018/AL/515), qui a rappelé que l’effectif comptabilisé durant la période de référence doit être comparé et qu’il y a lieu de démontrer une création d’emploi. Cette comparaison doit être faite entre la consistance du personnel de l’unité technique d’exploitation au moment de l’entrée en service du nouvel engagé d’une part et le nombre maximal de personnel qui a été occupé dans celle-ci au cours des quatre trimestres avant l’engagement de l’autre. Ce n’est que si la consistance du personnel est augmentée que la réduction peut être accordée. La Cour du travail de Bruxelles renvoie sur cette question à l’arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 2019 (Cass., 13 mai 2019, n° S.18.0039.N).

Les éléments de fait, dont les listes de travailleurs et des tableaux comparatifs déposés par l’O.N.S.S., indiquent qu’aucun des engagements du premier au sixième travailleur ne constitue une création d’emploi. La société ne démontre dès lors pas qu’elle peut bénéficier desdites réductions.

Quant à la demande d’intervention volontaire de Securex, la cour retient, dans un premier temps, que le secrétariat social justifie d’un intérêt suffisant à intervenir de façon conservatoire. Elle examine dès lors les griefs de la société, griefs qui se fondent sur un manque d’informations et d’assistance lors de l’exécution de sa mission légale de secrétariat social. La société estime que Securex aurait dû lui conseiller d’établir son siège social ailleurs que là où se situait déjà celui de la première société. Ce fait était connu du secrétariat social et celui-ci n’ignorait pas davantage que l’appelante escomptait obtenir des réductions de cotisations sociales.

La cour ne retient pas d’erreur dans le chef du secrétariat social, exposant qu’il n’appartenait pas à celui-ci de conseiller à la société d’établir artificiellement son siège social à tel endroit plutôt qu’à tel autre, et ce afin de créer une apparence d’absence d’unité technique d’exploitation et de ne pas attirer l’attention de l’O.N.S.S. sur les liens sociaux et économiques bien réels que les deux sociétés entretiennent, indépendamment de leur siège commun (13e feuillet). C’est la société qui était la plus à-même d’apprécier les éléments de la cause. La cour souligne par ailleurs que, dans le document d’affiliation, elle a répondu « non » à la question de savoir si l’entreprise appartenait à une unité technique d’exploitation. En outre, elle n’a à aucun moment sollicité un conseil à ce sujet.

La conclusion de la cour est que, dès lors qu’il y a une interdépendance sociale et économique et que l’unité technique d’exploitation est ainsi constatée, rien ne peut être reproché au secrétariat social dans le cadre de l’exécution de sa mission.

Intérêt de la décision

La jurisprudence relative à l’application de la loi-programme du 24 décembre 2002 est abondante. La Cour de cassation est intervenue sur la notion de création d’emploi dans un arrêt du 13 mai 2019 (Cass., 13 mai 2019, n° S.18.0039.N – précédemment commenté). Elle y enseigne qu’il ressort de l’article 344 de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002 qu’un nouvel engagement ne donne pas lieu aux réductions de cotisations lorsqu’il ne va pas de pair avec une création réelle d’emploi. Pour déterminer si le nouvel engagé remplace un travailleur qui était actif dans la même unité technique d’exploitation au cours des quatre trimestres précédant l’engagement, il y a lieu de faire une comparaison entre la consistance du personnel de cette unité technique au moment de l’entrée en service du nouvel engagé et le nombre maximal de personnel occupé dans cette unité technique dans le cours des quatre trimestres précédant cet engagement. Dès lors que la cour du travail n’a pas pris en compte l’augmentation du personnel, mais uniquement le volume de travail effectué par les travailleurs, elle ne justifie pas sa décision en droit.

Par ailleurs, elle avait précisé, dans un précédent arrêt en date du 29 avril 2013 (Cass., 29 avril 2013, n° S.12.0096.N), que, pour l’application de l’article 344 de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002 autorisant l’octroi temporaire d’une réduction groupe-cible des cotisations de sécurité sociale, il faut examiner à la lumière des critères socio-économiques s’il y a unité technique d’exploitation. La circonstance qu’un travailleur licencié est engagé quelques mois plus tard par un autre employeur n’empêche pas qu’il y a lieu de prendre ce travailleur en compte lors de l’examen de l’éventuelle existence du lien social recherché.

L’on notera que les éléments retenus par l’O.N.S.S. dans la présente espèce aux fins d’identifier s’il y a ou non interdépendance sur le plan social et économique sont ceux généralement retenus dans la jurisprudence (lieu d’exercice des activités, identité, similarité ou complémentarité de celles-ci, identité en tout ou en partie du matériel et, de même, pour la clientèle).

Si ces critères sont généralement explorés, il est admis qu’ils ne doivent pas être réunis, les juridictions du travail considérant qu’ils ne doivent pas être rencontrés cumulativement. Sur cette question, l’on peut renvoyer à un jugement du Tribunal du travail du Hainaut du 9 février 2021 (Trib. trav. Hainaut, div. Tournai, 9 février 2021, R.G. 18/749/A).

L’on aura enfin noté que la mise en cause du secrétariat social a été infructueuse, aucune erreur n’ayant pu être pointée dans le chef de celui-ci dans le cadre de l’exécution de son mandat. C’est au contraire à la société de s’assurer, comme l’a relevé la cour, de l’exactitude des données qui sont transmises. La cour a encore souligné qu’en dehors du mandat, le secrétariat social n’a pas été interpellé sur une consultation précise quant à la question faisant l’objet de sa mise en cause judiciaire ultérieure.


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