Terralaboris asbl

Bénéficiaire de la protection subsidiaire et allocations aux personnes handicapées

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 juin 2021, R.G. 2018/AB/744

Mis en ligne le lundi 28 février 2022


Cour du travail de Bruxelles, 21 juin 2021, R.G. 2018/AB/744

Terra Laboris

Dans une décision du 21 juin 2021, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 22 juin 2020, qui permet aux bénéficiaires de la protection subsidiaire de recevoir la même assistance sociale nécessaire que celle qui est prévue pour les Belges.

Les faits

Un ressortissant syrien, bénéficiant de la protection subsidiaire, vit en Belgique aves ses enfants majeurs, disposant du statut de réfugié.

Il introduit, le 10 février 2016, une demande d’allocations aux personnes handicapées. La réduction de sa capacité de gain à un tiers a été admise, ainsi qu’une réduction d’autonomie de cinq points. L’allocation d’intégration lui a ainsi été refusée au motif qu’il ne remplissait pas les conditions médicales. Il a cependant pu obtenir l’allocation de remplacement de revenus.

Une révision d’office est entamée le 8 novembre 2016 au motif que la décision d’octroi est entachée d’irrégularité ou d’erreur matérielle. Lui est ainsi signifié qu’il ne pouvait bénéficier des allocations au motif de la condition de nationalité (article 4 de la loi du 27 février 1987 et arrêté royal du 17 juillet 2016).

En décembre 2020, l’intéressé a obtenu une carte d’identité d’étranger (type C).

Entre-temps, il a introduit un recours contre la décision du 8 novembre 2016 et celui-ci a abouti à un jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles du 29 juin 2018 (Trib. trav. fr. Bruxelles, 29 juin 2018, R.G. 17/226/A). Le tribunal a condamné l’Etat belge à octroyer l’allocation de remplacement de revenus au taux barémique de la catégorie C tel que prévu dans la première décision. Cette condamnation a un effet rétroactif au 1er décembre 2016, l’allocation devant être majorée des intérêts au taux légal ainsi que des intérêts judiciaires. Le tribunal a également désigné un expert sur la question de l’allocation d’intégration.

L’Etat belge interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’Etat belge maintient sa position, selon laquelle l’allocation de remplacement de revenus n’est pas due, non plus que l’allocation d’intégration, et ce pour le motif de départ. A titre subsidiaire, il demande le renvoi de l’affaire au rôle, dans l’attente d’un arrêt de la Cour de cassation.

Quant à l’intimé, il sollicite la confirmation du jugement dans toutes ses dispositions. L’expertise judiciaire ayant été conduite entre-temps, il en demande l’entérinement, son droit à l’allocation d’intégration ayant été reconnu (catégorie 2). Il sollicite également le bénéfice des avantages sociaux et fiscaux. A titre subsidiaire, il propose qu’une question soit posée à la Cour constitutionnelle, lui demandant de vérifier la conformité de l’article 4 de la loi du 27 février 1987 aux articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 8 et 14 de la C.E.D.H. et l’article 34 de la Charte des droits fondamentaux, en ce qu’ils ne prévoient pas l’octroi d’allocations aux personnes handicapées à des personnes bénéficiant de la protection subsidiaire. Il fait valoir que celles-ci se trouvent dans une situation comparable à celle des personnes bénéficiant du statut de réfugié.

La décision de la cour

Sur les principes, après le rappel des dispositions de droit interne, la cour reprend les termes de la Directive n° 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection. Celle-ci définit la protection internationale en son article 2 et le statut conféré par celle-ci, qui est la reconnaissance par un Etat membre d’un ressortissant d’un pays tiers ou d’un apatride en tant que personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire.

Elle souligne que la Directive n° 2003/109 concernant l’octroi du statut de résident de longue durée dans un Etat membre (abrogée par la précédente) faisait déjà référence au concept de « prestations essentielles » repris dans la Directive actuelle en disposant qu’en matière d’aide sociale et de protection sociale, les Etats membres peuvent limiter l’égalité de traitement à celles-ci.

Dans son arrêt KAMBERAJ (C.J.U.E., 24 avril 2012, Kamberaj c/ ISTITUTO PER L’EDILIZIA SOCIALE DELLA PROVINCIA AUTONOMA DI BOLZANO e.a., EU:C:2012:233), la Cour de Justice s’est prononcée sur cette question de limitation aux prestations essentielles. La cour reprend de longs extraits de cette décision, et notamment le considérant 90, qui a défini le sens et la portée de la notion : ceux-ci doivent être recherchés en tenant compte du contexte dans lequel s’inscrit la disposition qui confère ce droit et de l’objectif poursuivi par la Directive, à savoir l’intégration des ressortissants de pays tiers qui ont résidé légalement et durablement dans les Etats membres.

Ces derniers peuvent limiter l’égalité de traitement dont bénéficient les titulaires du statut accordé par la Directive, à l’exception des prestations d’aide sociale ou de protection sociale octroyées par les autorités publiques, que ce soit au niveau national, régional ou local, qui contribuent à permettre à l’individu de faire face à ses besoins élémentaires, tels que la nourriture, le logement et la santé (considérant 91).

La cour rappelle que, dans le cadre de la Directive n° 2011/95/CE, les Etats membres avaient jusqu’au 21 décembre 2013 pour rendre leur législation (au sens large) conforme aux dispositions pertinentes de la Directive.

Dans un arrêt plus récent (C.J.U.E., 21 novembre 2018, Aff. n° C-713/17, AYUBI c/ BEZIRKSHAUPTMANNSCHAFT LINZ-LAND, EU:C:2018:929), la Cour de Justice a reprécisé certains principes, qui, pour la cour du travail, s’appliquent par analogie aux personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire. Parmi les extraits de cet arrêt repris par la cour du travail, figure le considérant 40, selon lequel il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice que, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation et à une application de la réglementation nationale conformes aux exigences du droit de l’Union, les juridictions nationales et les organes de l’administration ont l’obligation d’appliquer intégralement le droit de l’Union et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire du droit interne (la Cour de Justice renvoyant ici à C.J.U.E., 7 septembre 2017, Aff. n° C-174/16, H. c/ LAND BERLIN, EU:C:2017:637).

La cour examine dès lors les éléments de l’espèce à la lumière de cet enseignement. Elle constate que l’intimé renvoie notamment à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rendu sur la question (C. trav. Bruxelles, 15 avril 2019, R.G. 2018/AB/223), dans des circonstances de fait proches de l’espèce à trancher. La conclusion de la cour a, comme le rappelle l’arrêt commenté, été confirmée dans un autre arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 8 juin 2020, R.G. 2019/AB/195) et approuvée par la Cour de cassation (Cass., 22 juin 2020, n° S.18.0086.F).

Dans la mesure où l’intéressé sollicite le bénéfice des prestations sur la base de son statut de protection subsidiaire (qui rentre dans la notion de protection internationale), ceci revient, pour la cour, à se demander si les allocations aux personnes handicapées constituent une assistance sociale au sens de l’article 29.1 de la Directive. En cas de réponse positive, il faut vérifier si la Belgique a fait usage de la possibilité de déroger à la règle en limitant aux prestations essentielles l’assistance sociale accordée à ses bénéficiaires et, le cas échéant, si les allocations aux personnes handicapées répondent à cette notion.

La cour conclut rapidement par l’affirmative : en tant que bénéficiaire de la protection subsidiaire, l’intéressé a en principe droit aux allocations de la même manière que les ressortissants belges, sans que l’Etat belge puisse opposer la condition de nationalité. Ce que l’Etat devrait démontrer est soit qu’il a dérogé à la règle, soit que les allocations aux personnes handicapées ne rentrent pas dans la notion de prestations essentielles, ce qu’il ne fait pas.

Elle conclut que l’article 4 de la loi du 27 février 1987 contrevient à l’article 29 de la Directive n° 2011/95/UE. L’intéressé est dès lors en droit de revendiquer le bénéfice des allocations en cause, puisqu’il réunit les conditions médicales et de revenus.

Intérêt de la décision

La question tranchée par la cour du travail est importante et l’abondance de la jurisprudence tant de la Cour de Justice qu’interne sur la question en démontre l’intérêt.

Le débat a été clos, en principe, suite à l’arrêt du 22 juin 2020 de la Cour de cassation (Cass., 22 juin 2020, n° S.18.0086.F – précédemment commenté). Celle-ci a conclu que, le législateur n’ayant transposé que partiellement, à la date du 21 décembre 2013, l’article 29, § 1er, et n’ayant exprimé ni par cette transposition partielle, ni dans les travaux préparatoires, ni autrement qu’il entendait se prévaloir de la dérogation, les bénéficiaires de la protection subsidiaire doivent recevoir la même assistance sociale nécessaire que celle qui est prévue pour les Belges. En concluant de la sorte, la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau), dont la décision était soumise à la censure de la Cour de cassation, n’a violé ni l’article 288, alinéa 3, T.F.U.E. ni aucune autre disposition sur lesquelles s’appuyait le pourvoi.


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