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Activité bénévole : quid en cas d’absence de déclaration à l’ONEm ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 juillet 2021, R.G. 2020/AB/74

Mis en ligne le lundi 28 février 2022


Cour du travail de Bruxelles, 5 juillet 2021, R.G. 2020/AB/74

Terra Laboris

Dans un arrêt du 5 juillet 2021, la Cour du travail de Bruxelles reprend sa jurisprudence sur la question : le chômeur n’est tenu de faire la déclaration prévue à l’article 45bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 que si l’activité projetée est incompatible avec les allocations de chômage.

Les faits

Une secrétaire dans une A.S.B.L., engagée à temps partiel depuis de nombreuses années, exerçait parallèlement une activité en qualité de travailleuse indépendante (cours de sport) et était également présidente et administratrice d’une autre A.S.B.L. (ayant pour objet la santé, l’expression artistique et la découverte culturelle, occupant également des enfants pendant leur temps libre).

Elle sollicite le bénéfice des allocations de chômage en décembre 2018. Elle a bénéficié à ce moment d’une indemnité de rupture d’un an. Sur le document C1, elle indique qu’elle exerce une activité accessoire (mais non comme indépendante) et qu’elle est administratrice de société. Sur le formulaire C1A, elle mentionne cependant exercer une activité accessoire comme travailleur indépendant, étant une activité de type sportif et une aide administrative, ceci du lundi au samedi avant sept heures et après dix-huit heures. Elle précisera ultérieurement, dans un nouveau C1A, que l’activité accessoire est exercée en tant qu’administratrice à titre gratuit (comptabilité). Elle ne donne pas d’autres précisions.

Après une audition par l’ONEm, elle fait l’objet d’une décision d’exclusion. Celle-ci est fondée sur les articles 44, 45 et 48 de l’arrêté royal organique au motif que, tout en sollicitant le bénéfice des allocations en tant que chômeur complet, l’intéressée exerce une activité de présidente et d’administratrice d’A.S.B.L. Il y a lieu, pour l’ONEm, de retenir qu’elle représente cette A.S.B.L. dans ses relations avec des tiers et qu’elle dispose des pouvoirs de gestion les plus étendus, en ce compris la gestion journalière. Il en découle que ces activités ne peuvent être exercées dans les plages autorisées (soit avant sept heures et après dix-huit heures), dans la mesure où elle représente l’association à tout moment vis-à-vis des tiers.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles.

La décision du tribunal

Le tribunal a retenu qu’il s’agit d’une association sans but lucratif et que, le mandat étant exercé à titre gratuit, il ne peut s’agir d’une activité non autorisée, dans la mesure où il n’est pas intégré dans le courant des échanges économiques de biens et de services. Cette activité, exercée pour compte de tiers, peut l’être pour autant que le but poursuivi ainsi que les activités de l’association elle-même restent compatibles avec sa forme juridique et ne soient pas de nature à entraîner un assujettissement à l’impôt des sociétés, ce qui aurait pour conséquence l’assujettissement du mandataire au statut social des travailleurs indépendants.

Le tribunal a rappelé que l’administrateur d’une A.S.B.L. qui exerce gratuitement son mandat est considéré comme un volontaire (avec référence à la doctrine de D. DUMONT et de D. CLAES, Le nouveau statut des bénévoles, Larcier, 2006, p. 39, ainsi qu’à celle de L. DEAR, « L’incidence sur le droit aux allocations de chômage de l’exercice d’un mandat d’administrateur à titre gratuit dans une société », Regards croisés sur la sécurité sociale, C.U.P., Anthémis, p. 933 – qui renvoie aux travaux préparatoires).

L’activité étant considérée comme une activité pour compte de tiers, il y a travail au sens de la réglementation chômage si le travailleur perçoit une rémunération ou un avantage matériel de nature à contribuer à sa subsistance ou à celle de sa famille. Ceci est présumé être le cas jusqu’à preuve du contraire.

Le tribunal a relevé qu’outre les activités d’administration de l’A.S.B.L., l’intéressée a déclaré donner des cours de fitness pour adultes (une à deux heures par semaine), le tribunal soulignant que cette activité est distincte de celle de mandataire de l’A.S.B.L. et qu’elle rentre effectivement dans les activités susceptibles d’être intégrées dans les échanges de biens et de services.

Il a encore souligné, avec renvoi à la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, 8 février 2013, R.G. 2009/AL/36.231), que l’activité bénévole n’est pas concernée par l’article 48 de l’arrêté royal.

L’intéressée n’ayant en l’espèce jamais déclaré cette activité bénévole, il a soulevé d’office la contrariété de la situation avec la réglementation chômage, qui est d’ordre public. Avant sa modification par l‘arrêté ministériel du 31 juillet 2006, l’article 18, § 2, de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 disposait que l’absence de déclaration préalable n’entraîne pas la perte du droit aux allocations lorsque sont simultanément réunies deux conditions, étant que l’activité est exercée comme un loisir et ne peut ainsi être intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services et que le chômeur prouve que cette activité ne lui a pas procuré une rémunération ou un avantage matériel. Ces conditions ne figurent plus dans le texte actuel de l’article 18.

En conséquence et eu égard aux termes de l’article 45bis, § 2, alinéa 4, de l’arrêté royal, le tribunal a considéré que, faute d’avoir préalablement déclaré son activité bénévole, le chômeur perd purement et simplement son droit aux allocations de chômage depuis le début de cette activité. Il a dès lors conclu que l’intéressée devait être exclue au cours de la période litigieuse et que l’exclusion se justifiait non en application des articles 44 et 45 ou 48 de l’arrêté royal mais eu égard au non-respect de l’article 45bis.

La décision de la cour

La cour a repris, en préambule, de très larges extraits du jugement du tribunal (résumés ci-dessus). Elle fait ensuite l’analyse des dispositions réglementaires.

Sur la question de l’activité bénévole, elle souligne que celle-ci est strictement réglementée depuis le 1er août 2006, un arrêté royal du 28 juillet ayant inséré, par son article 2, un article 45bis dans l’arrêté royal du 25 novembre 1991. C’est le texte applicable à ce jour. Il prévoit l’obligation d’une déclaration préalable écrite auprès du bureau de chômage, déclaration qui doit respecter certaines formes et mentions et qui peut être écartée si elle est contredite par des présomptions graves, précises et concordantes.

La cour renvoie à diverses décisions de sa jurisprudence (dont C. trav. Bruxelles, 3 avril 2019, R.G. 18/AB/235 et C. trav. Bruxelles, 14 février 2019, R.G. 2017/AB/1.071), où il a été jugé que, par dérogation aux articles 44, 45 et 46 de l’arrêté royal, le chômeur peut être amené à faire la déclaration prévue à l’article 45bis et solliciter une autorisation de travail bénévole. Il n’y est cependant tenu que si l’activité qu’il projette d’exercer est une activité incompatible avec les allocations de chômage au sens des articles 44 et 45. Selon la jurisprudence de la cour, s’il n’a pas fait cette déclaration, le chômeur peut encore démontrer que l’activité qu’il a exercée n’est pas une activité au sens de ces dispositions.

La cour confirme ainsi la possibilité pour celui-ci de renverser la présomption de l’article 45, alinéa 2, et ce en démontrant que son activité était totalement gratuite et qu’elle ne lui procurait aucune rémunération ou avantage matériel de nature à contribuer à sa subsistance ou à celle de sa famille. S’agissant d’une activité pour compte de tiers, l’activité d’administrateur et de président d’A.S.B.L. est ainsi présumée avoir procuré une rémunération ou un avantage matériel – présomption réfragable.

Ces principes sont donc à appliquer en l’espèce.

L’intéressée est ainsi autorisée à démontrer qu’elle n’a pas été rémunérée pour son mandat d’administratrice et de présidente. La cour considère que les pièces déposées sont insuffisantes à cet égard (attestation d’un expert-comptable, document préparatoire à une déclaration à l’I.P.P. et bilan d’une seule année). Il en découle que la présomption n’est pas renversée et que la simple mention dans les statuts de l’exercice à titre gratuit du mandat des administrateurs n’est pas suffisante. Dans la mesure où il y a absence de déclaration préalable, qui aurait permis à l’intéressée de déroger aux articles 44 et 45, les conditions d’octroi des allocations ne sont pas remplies.

Pour la cour, il importe dès lors peu de savoir si l’exercice du mandat d’administratrice comportait ou non la dispense de cours de fitness et si ces cours auraient ou non dû faire l’objet d’une demande d’autorisation dès lors que l’exercice du mandat est déjà en soi constitutif d’un travail incompatible avec le bénéfice des allocations.

Le jugement est ainsi confirmé, mais pour d’autres motifs.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles fait le point de l’articulation entre les articles 44, 45 et 48 de l’arrêté royal organique d’une part et l’article 45bis de l’autre.

L’article 45bis, qui règle la question du travail bénévole, a été introduit par un arrêté royal du 28 juillet 2006 et est venu complexifier les règles. L’on notera sur la question que, si la conclusion de la cour est que la décision administrative doit être confirmée, la juridiction donne une autre interprétation de l’article 45bis que le tribunal.

Dans les décisions citées, la Cour du travail de Bruxelles a également repris à l’appui de sa thèse un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, 8 février 2013, R.G. 2009/AL/31.236). Soulignons également la position de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 15 avril 2015, R.G. 2013/AM/31), selon laquelle il découle du libellé de l’article 45bis, § 2, alinéa 4, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ainsi que de la modification apportée à l’article 18 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991, lequel ne précise plus les conditions auxquelles l’absence de déclaration préalable n’entraîne pas la perte du droit aux allocations, que, faute d’avoir préalablement déclaré son activité bénévole, le chômeur perd purement et simplement son droit aux allocations depuis le début de cette activité. Cette absence de déclaration suffit, à elle seule, à justifier l’exclusion de l’intéressé, sans qu’il faille examiner si l’activité non déclarée était occasionnelle et gratuite. Cette position rejoint celle du tribunal dans le présent dossier. L’on peut encore ajouter, pour la Cour du travail de Liège, un arrêt récent (C. trav. Liège, div. Namur, 18 février 2021, R.G. 2019/AN/191 – précédemment commenté).

Le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a pour sa part rendu des jugements récents qui méritent d’être mentionnés.

Dans un jugement du 2 décembre 2020 (Trib. trav. fr. Bruxelles, 2 décembre 2020, R.G. 19/2.379/A), il a jugé que l’article 45bis. Cette disposition est une dérogation aux articles 44 et 45, c’est-à-dire qu’elle vise les activités qui sont en principe incompatibles avec les allocations de chômage en vertu de l’article 45. Une activité exercée pour compte de tiers mais dont la gratuité est démontrée n’est pas une activité interdite au sens de l’article 45. Cette activité ne doit dès lors pas satisfaire aux conditions de l’article 45bis. Le chômeur n’est tenu d’en faire la déclaration et de solliciter une autorisation de travail bénévole que si l’activité projetée est susceptible d’être une activité incompatible avec les allocations, et ce dans les conditions visées aux articles 44 et 45.

De même, dans un jugement du 6 mai 2020 (Trib. trav. fr. Bruxelles, 6 mai 2020, R.G. 19/2.472/A et 19/2.473/A), il a jugé que, dès lors qu’un bénéficiaire d’allocations de chômage n’a pas effectué de déclaration préalable quant à une activité bénévole qu’il exercerait au sein d’une A.S.B.L. et qu’il a ainsi contrevenu à l’article 45bis, § 1er, alinéa 1er, de l’arrêté royal organique et ne pouvait bénéficier du maintien des allocations de chômage sur la base de cette disposition, il est cependant admis que l’on doit également examiner sous l’angle de l’article 45 de l’arrêté royal s’il pouvait bénéficier d’allocations de chômage alors qu’il exerçait un mandat d’administrateur et (en l’espèce) de secrétaire de ladite A.S.B.L. Il convient ainsi de vérifier s’il renverse la présomption selon laquelle l’activité exercée (administrateur et secrétaire) ne lui a procuré aucune rémunération ou avantage matériel de nature à contribuer à sa subsistance.

La controverse jurisprudentielle persiste donc.


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