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Calcul de la rente d’accident du travail dans le secteur public

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 19 octobre 2021, R.G. 20/3.217/A

Mis en ligne le lundi 28 février 2022


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 19 octobre 2021, R.G. 20/3.217/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 19 octobre 2021, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles vient confirmer, avec la jurisprudence récente, que l’article 13 de la loi du 3 juillet 1967 (non-indexation des rentes inférieures à 16%) a pour seule vocation d’instaurer l’indexation des rentes pour l’avenir. Cette disposition ne s’oppose pas à l’indexation initiale du montant de la rente à la date de l’accident, qui s’impose comme telle et indépendamment de toute indexation ou non-indexation ultérieure.

Objet du litige

Une fonctionnaire fédérale avait été victime d’un accident sur le chemin du travail le 30 août 2016. Les séquelles de l’accident ont été fixées par le MEDEX, qui a notamment retenu une incapacité permanente de 15%. L’autorité a fait une proposition de rente. Celle-ci est calculée sur une rémunération de base de 18.373 euros, la rente annuelle étant de l’ordre de 2.756 euros. La rémunération est désindexée. L’intéressée conteste ce fait.

Un arrêté ministériel est pris le 19 juin 2020, fixant les éléments de la réparation sur ces bases.

Une procédure est introduite, avec pour seul objet la question de la rémunération de base à prendre en compte.

Position des parties devant le tribunal

Initialement, la demanderesse sollicitait l’indexation de la rémunération de base. Elle a abandonné cette prétention, demandant que ce soit la rente qui soit indexée, et ce à partir de l’index en vigueur au jour de l’accident.

En substance, elle plaide que la désindexation de la rémunération prévue à l’article 14, § 2, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 doit être neutralisée compte tenu de la ratio legis de la législation applicable aux accidents du travail dans le secteur public. La désindexation de la rémunération n’est pas prévue pour limiter la rente mais pour la comparer au plafond de l’article 4, § 1er, de la loi du 3 juillet 1967 et, une fois obtenue, la rente doit être réindexée selon l’indice en vigueur à la date de l’accident.

Pour l’Etat belge, par contre, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande, la position de la demanderesse étant contraire aux textes. Selon ceux-ci, lorsque l’accident s’est produit après le 30 juin 1962, la rente doit être calculée sur la base de la rémunération annuelle dont bénéficiait la victime au moment de l’accident, laquelle ne comprend pas de majoration due à la liaison aux fluctuations de l’index. Aucune disposition légale n’impose par ailleurs de réindexer la rente en fonction du coefficient en vigueur à la date de l’accident.

La décision du tribunal

Le tribunal juge essentiellement en droit, faisant une analyse particulièrement fouillée des textes.

Il reprend en premier lieu les spécificités de la loi du 3 juillet 1967 relatives à la rémunération de base. L’article 4, § 1er, de celle-ci dispose que la rente est établie sur la base de la rémunération annuelle à laquelle la victime a droit au moment de l’accident et qu’elle est proportionnelle au pourcentage d’incapacité de travail qui lui est reconnu. Lorsqu’elle dépasse un certain plafond, elle n’est prise en considération qu’à concurrence de celui-ci. Ce plafond est celui en vigueur au moment de la consolidation.

Le tribunal souligne que, contrairement au système en vigueur dans le secteur privé, le plafond dans le secteur public n’est pas indexé, mais qu’il peut faire l’objet d’une modification par arrêté royal à l’occasion d’une revalorisation générale des traitements dans le secteur public. Actuellement, ce plafond est, depuis 2005, de 24.332,08 euros.

Il passe ensuite à l’examen de décisions rendues par les hautes cours. En premier lieu, il rappelle que la Cour constitutionnelle a rendu le 21 janvier 2016 un arrêt (C. const., 21 janvier 2016, n° 9/2016), dans lequel elle a conclu à l’absence d’inconstitutionnalité de ce mécanisme, au motif que les deux systèmes (privé et public) reposent sur une logique interne propre. Le tribunal renvoie à la doctrine (R. JANVIER, Les accidents du travail dans le secteur public, La Charte, 2017, n° 573) ainsi qu’à diverses décisions de jurisprudence, dont un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 5 mars 2018 (C. trav. Bruxelles, 5 mars 2018, R.G. 2017/AB/471).

Renvoi est également fait à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 2011 (Cass., 14 mars 2011, n° S.09.0099.F), dont le tribunal reprend l’extrait selon lequel « lorsque la rémunération annuelle a été adaptée à l’évolution de l’indice des prix à la consommation, elle doit être divisée par le coefficient représentant le rang du dernier indice-pivot antérieur à l’accident (…) pour la comparer au plafond légal applicable à la date de la consolidation ».

Dans son arrêt du 5 mars 2018 (ci-dessus), la Cour du travail de Bruxelles a ainsi rappelé que l’effet de la mesure est d’assurer la cohérence entre la détermination de la rémunération de base et le système de plafonnement de celle-ci. Retenir pour rémunération de base la rémunération indexée aurait pour effet pervers d’atteindre plus rapidement le plafond, qui est plus bas notamment parce qu’il n’est pas indexé.

Les arrêtés royaux ont repris cette règle. Ainsi, dans celui du 24 janvier 1969, il s’agit de l’article 14, § 2, et le tribunal rappelle ici encore un autre arrêt de la Cour constitutionnelle, étant celui du 4 décembre 2014 (C. const., 4 décembre 2014, n° 178/2014), qui a souligné le lien entre la non-indexation de la base de calcul de la rente et cette disposition.

Pour le tribunal, cependant, au-delà de la question de la non-indexation, ou plus exactement de la désindexation de la rémunération de base, se pose la question de l’indexation de la rente elle-même. Il faut se reporter ici à l’article 13 de la loi du 3 juillet 1967, qui règle la question : les rentes, les indemnités additionnelles, les allocations d’aggravation et les allocations de décès suivent les fluctuations de l’indice des prix à la consommation du Royaume de certaines dépenses dans le secteur public. Cette règle ne vaut pas pour les rentes réparant une incapacité permanente de moins de 16% (le tribunal rappelant que la même règle existe dans le secteur privé, en application de l’article 27bis de la loi du 10 avril 1971). Et celui-ci de constater que les bénéficiaires de telles rentes sont doublement pénalisés, vu d’une part le calcul de la rente sur la rémunération désindexée et d’autre part l’absence d’indexation du montant de la rente elle-même.

Il en vient ainsi à l’examen de la question tel qu’il avait été fait par la Cour du travail de Liège dans un arrêt du 18 juin 2018 (C. trav. Liège, div. Liège, 18 juin 2018, R.G. 2015/AL/463 et 2017/AL/60), qui a soulevé la discrimination existante et dans lequel la cour a écarté l’article 14, § 2, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969.

Il souligne la réponse qui a par ailleurs été donnée par la Cour du travail de Bruxelles dans son arrêt du 5 mars 2018, celle-ci ayant considéré que la cohérence exige qu’à la désindexation de la rémunération de base de la victime à la date de l’accident réponde l’indexation de la rente jusqu’à cette même date. Cette décision s’appuyait, comme le rappelle le tribunal, sur les conclusions de M. le Procureur général J.-F. LECLERCQ avant l’arrêt de cassation du 14 mars 2011 ci-dessus.

Reprenant la genèse de la loi, le tribunal constate que la non-indexation des rentes inférieures à 16% a été insérée dans la loi du 3 juillet 1967 par une loi du 30 mars 1994 portant des dispositions sociales. Cette règle n’existait dès lors pas lorsque fut adopté l’arrêté royal du 24 janvier 1969. Le Rapport au Roi précédant cet arrêté royal établit un lien entre l’indexation de la rente et la désindexation de la rémunération de base, le tribunal soulignant qu’il y est clairement affirmé, à propos de l’article 14 de l’arrêté royal, que, pour les accidents survenus à partir du 1er juillet 1962, c’est la rente et non plus la rémunération annuelle qui est liée aux fluctuations de l’index. Il en ressort que l’indexation de la rente faisait effectivement partie du système d’indemnisation mis en place à l’origine dans le secteur public et que celle-ci servait clairement à compenser la désindexation de la rémunération de base.

Quant à l’article 13 de la loi du 3 juillet 1967, il a, selon les travaux préparatoires, vocation à instaurer l’indexation des rentes pour l’avenir, la doctrine (R. JANVIER, ci-dessus) relevant d’ailleurs que cette indexation prend cours à partir de la date de consolidation.

En conclusion, pour le tribunal, il serait contraire à la ratio legis de l’article 13 de considérer que celui-ci s’oppose en outre à l’indexation initiale du montant de la rente à la date de l’accident, qui s’impose comme telle et indépendamment de toute indexation ou non-indexation ultérieure.

Le tribunal adopte dès lors la solution retenue par la Cour du travail de Bruxelles dans son arrêt du 5 mars 2018 : l’article 13, alinéa 2, de la loi ne s’applique qu’après que le montant de la rente a été correctement déterminé, à savoir qu’il a été fixé en fonction de la rémunération désindexée à la date de l’accident du travail et qu’il a été réindexé à la même date.

Il fait dès lors droit à la demande.

Intérêt de la décision

La question de l’indexation/désindexation de la rémunération de base et de la rente dans le secteur public a donné lieu à de la jurisprudence importante ces dernières années.

Le tribunal rappelle que la Cour constitutionnelle a été saisie et qu’elle a conclu à l’absence de violation de la Constitution dans l’existence de deux systèmes de calcul de la rémunération de base dans le secteur public et dans le secteur privé. Pour la Cour constitutionnelle (motivation qu’elle reprend régulièrement dans ce type de contentieux relatif à la comparaison entre les deux secteurs), il n’y a pas inconstitutionnalité, au motif que les deux systèmes reposent sur une logique interne propre.

Deux arrêts importants ont été rendus par les Cours du travail de Bruxelles et de Liège. Ceux-ci sont repris dans les développements faits par le tribunal. Si la motivation de ces deux décisions est distincte, ils ont tous deux abouti à la conclusion de l’indexation de la rente.

L’ensemble de la jurisprudence rencontrée conclut de la sorte, que ce soit dans le cadre de l’arrêté royal du 24 janvier 1969, dans celui du 30 mars 2001 (PJPol), ou encore dans celui du 13 juillet 1970.

Un important apport doctrinal sur la question est bien évidemment celui de Mme Ria JANVIER (R. JANVIER, Les accidents du travail dans le secteur public, La Charte, 2017).

L’on notera encore le renvoi fait par le tribunal du travail dans ce jugement aux conclusions de M. le Procureur général J.-F. LECLERCQ avant l’arrêt de cassation du 14 mars 2011, qui a précisé que le mécanisme d’indexation revient à multiplier la prestation à sa valeur au moment de l’entrée en vigueur de l’indice-pivot par un coefficient déterminé (coefficient égal à 1,02 multiplié par le nombre d’indices-pivots ayant été atteints depuis cette entrée en vigueur).

Pour le Procureur général, l’arrêté royal du 24 janvier 1969 ne précise pas les modalités de la désindexation et la référence à l’indice général des prix de détail du Royaume de l’époque est peu claire. Il est cependant logique de considérer que la désindexation doit se faire en fonction de l’évolution du même indice que celui utilisé pour l’indexation de la rente. Il précise encore que, dans la mesure où la rémunération de base et la rente évoluent sur la base du même indice-pivot et dans des sens opposés, la désindexation de la rémunération est en principe neutralisée par l’indexation de la rente. La désindexation de la rémunération de base est toutefois un élément important car c’est au regard de cette rémunération désindexée qu’il faut vérifier si le plafond est dépassé.


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