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Octroi d’abonnements par une société éditrice de presse écrite à l’ensemble des travailleurs : cotisations de sécurité sociale ou non ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 mai 2021, R.G. 2019/AB/771

Mis en ligne le lundi 28 février 2022


Cour du travail de Bruxelles, 20 mai 2021, R.G. 2019/AB/771

Terra Laboris

Dans un arrêt du 20 mai 2021, la Cour du travail de Bruxelles retient que l’octroi à l’ensemble des travailleurs, indifféremment, d’un abonnement à un journal ne doit pas être considéré comme de la rémunération passible de cotisations de sécurité sociale, s’agissant en l’espèce d’un outil de travail permettant aux travailleurs d’effectuer le contrôle d’une part de la qualité du produit lui-même ainsi que, d’autre part, de la distribution.

Les faits

Une société, active dans le secteur des médias (édition de journaux), octroie à son personnel un abonnement gratuit à un journal, celui-ci étant délivré à leur domicile.

Au début des années 2010, l’O.N.S.S. avait notifié à une filiale de cette société qu’il y avait avantage en nature (s’agissant à l’époque d’utilisation privée de GSM d’entreprise, d’abonnements gratuits et d’annonces gratuites), ceci devant être considéré comme de la rémunération. Une régularisation était demandée pour la période du 1er trimestre 2008 jusqu’au 4e trimestre 2013 compris.

La même démarche fut entreprise en 2015 envers la société. La correction des cotisations pour la période considérée (4e trimestre 2010 – 3e trimestre 2014) porte sur un montant de l’ordre de 14.000 euros. Il s’agit ici uniquement des abonnements et des annonces gratuites.

Une nouvelle démarche intervint en 2017 concernant le caractère rémunératoire des abonnements à un journal, ceux-ci ne pouvant pour l’O.N.S.S. être considérés comme un instrument de travail essentiel. La régularisation des cotisations était également demandée et, ici, pour la période du 1er trimestre 2014 jusqu’au 4e trimestre 2016 compris, les cotisations correspondantes étant de l’ordre de 24.000 euros. Les montants furent payés sous réserve et une procédure fut introduite en restitution.

Par jugement du 12 septembre 2019, le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles a accueilli la demande, annulant la décision de l’Office. Celui-ci fut condamné à restituer les montants versés, à majorer des intérêts.

Il interjette appel.

La position des parties devant la cour

L’O.N.S.S. fait grief au tribunal d’avoir considéré que l’octroi à chaque travailleur d’un abonnement gratuit sans distinction peut être considéré comme un outil de travail sur lequel aucune cotisation de sécurité sociale ne doit être calculée. Il plaide que la conclusion du tribunal, qui est que chaque travailleur doit pouvoir suivre et évaluer au quotidien la production et la distribution du journal, est purement théorique, ceci n’étant pas le cas dans la réalité. Un journal du groupe ne peut être considéré comme un instrument de travail essentiel, mais constitue un avantage tarifaire au sens de l’article 19, § 2, 19°, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969. S’il n’y a pas de cotisations de sécurité sociale sur la réduction de prix inférieure à 30% du prix normal, la partie qui excède ce taux doit être considérée comme de la rémunération passible de cotisations.

La société considère pour sa part que l’envoi quotidien d’un journal à l’ensemble des travailleurs indépendamment de leur fonction ne constitue pas un avantage en nature mais un outil de travail au sens de la même disposition, en son 5°. Elle rappelle l’objectif d’amélioration de la qualité du produit fini. Il s’agit d’un contrôle à la fois peu coûteux et efficace, en première ligne, de la qualité du produit ainsi que du système de distribution et d’envoi par la poste.

La décision de la cour

La cour reprend l’article 19, § 2, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, qui énumère les indemnités qui ne sont pas à considérer comme de la rémunération. Il s’agit de restrictions à la notion elle-même telle que visée à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965.

Renvoyant à la doctrine (W. VAN EECKHOUTTE, « Begrip loon in de bijdrageregeling van de sociale zekerheid voor werknemers. Algemene beginselen », in R. JANVIER, G. VAN LIMBERGEN, A. VAN REGENMORTEL, Recht en sociale zekerheid. Het loonbegrip, Die Keure, Brugge, 2005, 3-123), la cour souligne que la distinction entre les outils de travail et les avantages tarifaires est importante dans la mesure où, en vertu de l’article 19, § 2, 5°, de l’arrêté royal, ne constituent pas de la rémunération passible de cotisations les avantages accordés sous la forme d’outils ou de vêtements de travail. Par contre, en vertu du même article (19°), la réduction à charge de l’employeur sur le prix normal des produits fabriqués ou vendus ou des services fournis par lui l’est également sous certaines conditions lorsque la réduction de prix dépasse 30% du prix normal, étant que le montant de la réduction qui dépasse ce taux est considéré comme de la rémunération. Si l’octroi d’un abonnement gratuit est à considérer comme un outil de travail, il n’y aura dès lors pas de cotisations de sécurité sociale, mais s’il s’agit de la réduction sur un produit fabriqué par l’employeur, il n’y a exonération que si la réduction ne dépasse pas 30% du prix normal.

Pour la cour, il s’agit ici d’un outil de travail et elle s’appuie, pour ce, sur différents éléments.

L’octroi de cet avantage à l’ensemble du personnel, afin qu’il puisse évaluer la qualité du travail ainsi que celui des collègues aux fins d’anticiper le degré de satisfaction du public, constitue une forme interne de contrôle de qualité et la cour souligne ici que celui-ci, organisé par l’entreprise elle-même, est plus direct, plus efficace et meilleur marché que s’il était effectué par des tiers.

L’octroi à l’ensemble du personnel est également une manière de vérifier efficacement l’aspect « distribution ». Elle souligne que, pour les abonnés, il est important d’avoir son journal à temps dans sa boîte aux lettres et qu’il peut ainsi être vérifié si les conditions de distribution et de logistique sont satisfaisantes. Il s’agit également d’un système de contrôle interne. La cour souligne que les travailleurs sont directement concernés par les questions de distribution et qu’ils peuvent ainsi, en cas de problème, en faire état auprès de l’employeur.

La cour rejette dès lors les critiques de l’O.N.S.S. quant à la conclusion du tribunal, soulignant qu’il ne s’agit nullement de « considérations purement théoriques ». La charge de la preuve est dans le camp de l’O.N.S.S. et celui-ci ne démontre nullement qu’il n’y a pas eu de système de « reporting » à l’employeur.

En conséquence, s’agissant d’un instrument de travail, l’avantage doit être totalement exclu de la notion de rémunération passible de cotisations de sécurité sociale.

La cour confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

L’octroi d’avantages au personnel est au cœur de ce débat, la cour ayant eu à départager les parties sur l’application de l’article 19, § 2, 5° ou 19°, de l’arrêté royal.

Ainsi qu’il a été rappelé dans l’arrêt, les avantages accordés sous la forme d’outils ou de vêtements de travail sont exclus en totalité de la notion de rémunération et aucune cotisation de sécurité sociale ne peut être exigée sur ceux-ci.

Par contre, la réduction à charge de l’employeur sur le prix normal des produits fabriqués ou vendus ou des services qu’il fournit ne l’est que dans certaines conditions. La première est que la quantité de produits vendus ou de services fournis à chaque travailleur ne dépasse pas la consommation normale du ménage dont il fait partie. Cette condition doit avoir été portée à la connaissance des travailleurs et l’employeur est tenu d’apporter cette preuve.

L’arrêté royal règle également la question du prix normal, qui est celui que le travailleur aurait dû payer en tant que consommateur s’il n’avait pas été occupé par l’employeur en cause. Les éléments justifiant le prix normal doivent être établis par l’employeur. Enfin, comme précisé dans l’arrêt, toute réduction de prix n’est pas exonérée de cotisations. Si elle dépasse 30% du montant du prix normal, l’excédent est en effet considéré comme de la rémunération. De même, lorsque le prix payé par le travailleur après réduction de prix est inférieur au prix de revient du produit ou du service, la différence entre le prix qui aura été payé par le travailleur et le prix de revient est également considérée comme de la rémunération et, ici, même si la réduction ne dépasse pas 30% du prix normal. L’employeur a également l’obligation de présenter les éléments justifiant le prix de revient.


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