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Licenciement par un employeur public : un petit rappel des règles applicables

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 8 juillet 2021, R.G. 20/172/A

Mis en ligne le lundi 28 février 2022


Tribunal du travail de Liège (division Dinant), 8 juillet 2021, R.G. 20/172/A

Terra Laboris

Par jugement du 8 juillet 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) examine les effets de la requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée sur les obligations de l’employeur public suite à la rupture.

Les faits

Une bénéficiaire du droit à l’intégration sociale accordé sous forme d’un revenu d’intégration sociale a, dans le courant de l’année 2018, la possibilité de signer un contrat avec une institution, et ce dans le cadre de l’article 60, § 7, de la loi organique des C.P.A.S. Une convention de collaboration est conclue.

Après quelque temps, l’intéressée est déclarée définitivement inapte, ne pouvant porter de charges ni travailler le week-end non plus que dans un contexte de charge psychosociale. Le contrat est dès lors rompu pour force majeure médicale.

Quelque temps plus tard, une nouvelle opportunité se présente, un hôpital de la région souhaitant faire travailler des personnes dans le cadre du même régime de l’article 60, § 7, de la loi. L’intéressée est retenue, et ce pour deux contrats de travail à durée déterminée de trois mois, suivis en principe d’un contrat à durée déterminée de douze mois, afin de retrouver ses droits sociaux. Le premier contrat est signé. Trois mois plus tard, le C.P.A.S. est informé de la cohabitation de l’intéressée avec un tiers qui perçoit des revenus. Le projet d’insertion est néanmoins poursuivi, le droit à l’intégration sociale prenant ainsi la forme d’un travail. Le deuxième contrat est à ce moment en cours.

Les journées d’absence étant cependant nombreuses (celles-ci étant couplées à des difficultés relationnelles sur le lieu du travail), c’est un contrat de trois mois qui a finalement été conclu par la suite (et non douze mois, comme initialement avancé). Les absences restant nombreuses, le C.P.A.S. décide, à l’issue de la période couverte par le dernier contrat, de retirer le droit à l’intégration sociale sous forme de travail.

Un échange de correspondance intervient ultérieurement, aux fins de tenter de reclasser l’intéressée.

Un nouveau contrat sera signé en mars 2021, soit bien plus tard (et sans lien avec les précédents). Entre-temps, celle-ci a introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) le 12 mai 2020 en paiement de diverses sommes (une indemnité compensatoire de préavis et une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, avec une demande subsidiaire de dommages et intérêts). Elle maintient, dans la suite de la procédure, ses chefs de demande relatifs à la rupture (indemnité compensatoire de préavis et diverses indemnités : discrimination, licenciement manifestement déraisonnable, abus de droit).

La décision du tribunal

Le tribunal examine la nature du contrat « article 60 ». C’est un contrat régi par la loi du 3 juillet 1978, présentant cependant comme particularité que sa durée est limitée au temps nécessaire pour ouvrir le droit aux prestations sociales (stage) et prévoyant des conditions de rémunération spécifiques, nécessaires à l’ouverture de ces droits.

En l’espèce, le tribunal constate que le premier contrat qui devait être conclu entre les parties devait être un contrat à durée déterminée de trois mois mais qu’il n’a pas été signé avant le début des prestations. Il s’agit dès lors d’un contrat à durée indéterminée. Une indemnité de rupture est due et le tribunal constate que son montant n’est pas contesté.

Il examine ensuite la question de la discrimination, l’intéressée considérant avoir été licenciée en contravention avec l’interdiction de rompre pour un critère protégé, étant l’état de santé actuel ou futur. Celle-ci souligne en effet qu’elle a toujours donné satisfaction et n’a jamais fait l’objet d’évaluation ou de remarques négatives. Par ailleurs, son poste n’a pas été supprimé mais aurait été attribué à une autre employée. Elle sollicite le paiement de l’indemnité forfaitaire prévue à l’article 18 de la loi.

Pour le C.P.A.S., par contre, le tribunal note que ce ne sont pas les incapacités de l’intéressée qui ont entraîné le non-renouvellement de son contrat à durée déterminée mais les conséquences de ses absences quant à l’organisation du travail. Il s’agissait d’un emploi de technicienne de surface dans un hôpital et l’institution fait valoir la désorganisation du service, précisément eu égard au confinement imposé à l’époque et aux exigences toutes particulières d’hygiène ainsi que les mesures nouvelles prises pour ralentir la propagation du Covid-19. En outre, l’intéressée ne donnait pas satisfaction dans son travail.

Le tribunal considère que la demanderesse n’établit pas à suffisance de droit les éléments permettant de présumer l’existence d’une discrimination. Il est prévu dans la convention tripartite de mise à disposition qu’il peut être mis prématurément fin à celle-ci dans diverses hypothèses. Il retient ici qu’ont été pointées des difficultés à assumer un temps plein ainsi que des difficultés relationnelles. Il relève également que rien dans la convention n’impose de conclure un contrat à durée indéterminée plutôt qu’un contrat à durée déterminée et que celui-ci se prête d’ailleurs mieux à l’objectif poursuivi, puisque ce type de contrat est nécessairement limité dans le temps. Ce chef de demande est dès lors rejeté.

Le jugement aborde dès lors la demande d’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable. Il s’agit d’un licenciement intervenu dans le secteur public. Le tribunal rappelle ici le rapport entre la protection contre un licenciement manifestement déraisonnable dans le secteur privé et le comportement que doit adopter un employeur du secteur public sur la question, étant que, suite à l’enseignement de la Cour constitutionnelle (C. const., 30 juin 2016, n° 101/2016), l’appréciation du comportement de ce dernier passe par les règles de l’abus de droit.

Le tribunal reprend diverses décisions de jurisprudence qui sont intervenues sur cette appréciation dans ce cadre. Pour lui, si la notion d’abus de droit de licencier est distincte du licenciement manifestement déraisonnable, l’appréciation tant de la faute que du dommage doit se faire conformément au droit commun et non par analogie aux articles 8 et 9 de la C.C.T. n° 109.

Il examine cependant la notion de licenciement manifestement déraisonnable au sens de ce texte, rappelant également qu’il permet au travailleur de demander la réparation de son dommage réel conformément aux dispositions du Code civil. Renvoyant aux textes internationaux (article 30 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et article 24 de la Charte sociale européenne révisée), le tribunal reprend les évolutions jurisprudentielles et doctrinales sur le motif du licenciement. Il rappelle que celui-ci doit être légitime, valable et raisonnable.

Le motif ne peut être critiqué en l’espèce, et ce pour la simple raison que la convention a été requalifiée rétroactivement de contrat à durée indéterminée. L’employeur n’a fait que constater, à l’issue de la période couverte par le contrat, l’expiration du terme. Il ne s’agit pas d’un licenciement à proprement parler et, a fortiori, la rupture ne peut constituer un licenciement manifestement déraisonnable.

Vient, enfin, l’examen du chef de demande lié à l’absence d’audition et le tribunal juge ici – après un nouveau rappel théorique des débats sur la question – que, si le défaut d’audition ne peut être considéré comme « automatiquement fautif », à défaut de disposition contraignante sur la question, il faut constater ici encore qu’il y a eu requalification du contrat et que l’obligation d’entendre la travailleuse à l’issue d’un contrat à durée déterminée ne peut être exigée. Ce chef de demande n’est pas davantage fondé.

Intérêt de la décision

L’on peut pointer, dans ce jugement, une double problématique qui fait débat. Elle est liée à la qualité de l’employeur, qui est un employeur public et qui ne peut de ce fait se voir appliquer les règles de la C.C.T. n° 109.Des décisions sont déjà intervenues, bien évidemment, sur la solution à réserver au contrôle du motif de licenciement dans une telle hypothèse, et ce eu égard aux positions déjà arrêtées par les hautes juridictions. Celles-ci ont trait à la fois au contrôle du motif (et donc à la question de la motivation formelle) et à l’obligation d’audition.

Un arrêt décisif de la Cour de cassation a été rendu le 12 octobre 2015 (Cass., 12 octobre 2015, n° S.13.0026.N – précédemment commenté). Dans celui-ci, la Cour de cassation a jugé que, si une autorité administrative décide de mettre un terme au contrat de travail d’un agent contractuel, elle n’est pas tenue de motiver formellement le licenciement. La réglementation relative à la rupture des contrats de travail à durée indéterminée n’impose par ailleurs pas à l’employeur d’entendre le travailleur avant de procéder à son licenciement. Les travailleurs contractuels au service des communes sont soumis à l’article 1er, 2e alinéa, de la loi sur les contrats de travail et il ne peut y être fait exception sur la base du principe général de droit de bonne administration.

Sur la motivation formelle, la Cour constitutionnelle a jugé dans son arrêt du 5 juillet 2018 (C. const., 5 juillet 2018, n° 84/2018) que, dans l’interprétation selon laquelle elle ne s’applique pas au licenciement des contractuels de la fonction publique, la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution (combinés avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme).

La jurisprudence des juges du fond est évidemment importante, puisqu’il s’agit de concilier les droits fondamentaux du travailleur contractuel lors de la rupture du contrat de travail avec les obligations qui peuvent être raisonnablement imposées à l’employeur.

Relevons notamment deux décisions du Tribunal du travail de Liège.

  • Par jugement du 19 janvier 2021 (Trib. trav. Liège, div. Liège, 19 janvier 2021, R.G. 19/1.941/A), le tribunal a jugé que l’arrêt n° 84/2018 de la Cour constitutionnelle ne concernant que l’obligation de motiver l’acte même de licenciement n’exclut pas qu’une faute soit reconnue dans le chef d’un employeur public s’il refuse, sur interpellation du travailleur, de lui fournir les motifs de son licenciement ou une information complémentaire quant au motif vague repris dans la lettre de licenciement et le C4. Il appartient ainsi aux juridictions du travail d’apprécier s’il s’est comporté comme un employeur normal et prudent et si cette absence d’information est de nature à nuire aux droits de l’intéressé en l’empêchant d’apprécier utilement les chances de succès de son action en justice.
  • Par jugement du 20 avril 2021 (Trib. trav. Liège (div. Dinant), 20 avril 2020, R.G. 18/438/A – précédemment commenté), ce tribunal reprend la position de la jurisprudence récente qui s’est développée à partir des enseignements de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 30 juin 2016 (C. const., 30 juin 2016, n° 101/2016), étant qu’il faut comparer le comportement d’un employeur du secteur public à celui attendu de l’employeur normalement prudent et diligent du secteur privé, avec renvoi à l’article 8 de la C.C.T. n° 109.

La question de la mesure dans laquelle les règles de la C.C.T. n° 109 doivent inspirer le juge lors du licenciement d’un travailleur contractuel du secteur public est également débattue. Peut utilement contribuer au débat l’arrêt rendu par le Cour du travail de Mons le 9 avril 2019 (C. trav. Mons, 9 avril 2019, RG. 2018/AM/125), qui a jugé que le fait que la Cour constitutionnelle ait – constatation faite de la lacune existant à leur détriment – invité les juridictions du travail à garantir sans discrimination, en application du droit commun des obligations, les droits de tous les travailleurs du secteur public en cas de licenciement manifestement déraisonnable, en s’inspirant, le cas échéant, de la C.C.T. n° 109, ne peut constituer un fondement pour une application pure et simple de celle-ci aux intéressés. Ainsi est-il exclu de leur accorder, à titre d’indemnisation, l’indemnité forfaitaire dont elle prévoit le paiement.


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