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Droit aux allocations de chômage et Règlement n° 883/2004

Commentaire de C.J.U.E., 30 septembre 2021, Aff. n° C-285/20 (K c/ RAAD VAN BESTUUR VAN HET UITVOERINGSINSTITUUT WERKNEMERSVERZEKERINGEN), EU:C:2021:785

Mis en ligne le mardi 15 février 2022


Cour de Justice de l’Union européenne, 30 septembre 2021, Aff. n° C-285/20 (K c/ RAAD VAN BESTUUR VAN HET UITVOERINGSINSTITUUT WERKNEMERSVERZEKERINGEN), EU:C:2021:785

Terra Laboris

Dans un arrêt du 30 septembre 2021, la Cour de Justice de l’Union européenne donne l’interprétation à réserver à l’article 65, paragraphes 2 et 5, du Règlement n° 883/2004 quant à la condition de l’exercice d’une activité salariée : y est assimilée la situation d’un arrêt de travail pour cause de maladie donnant lieu à l’octroi de prestations de maladie, dans la mesure où celles-ci sont, sur le plan national, assimilées à l’exercice d’une telle activité salariée.

Les faits

Un ressortissant turc émigre aux Pays-Bas en 1979 et y travaille jusqu’en 2015. Il a, depuis 2005, résidé avec sa famille en Allemagne. Après la fin de son occupation aux Pays-Bas, il est engagé en Allemagne le 1er mai 2015. Il tombe en incapacité de travail et bénéficie d’une prestation de maladie.

Il revient aux Pays-Bas en février 2016 et demande sa radiation du registre de la population en Allemagne. Il est alors licencié par son employeur allemand quelques jours plus tard.

Il subit ensuite une intervention chirurgicale en Allemagne et y séjourne quelques jours. Il sollicite alors son inscription au registre de la population aux Pays-Bas. Un mois plus tard, l’institution allemande compétente estime qu’il est de nouveau apte à exercer un travail adapté à son état de santé. Le versement de la prestation maladie cesse.

Il introduit directement une demande de prestations de chômage auprès de l’institution néerlandaise. Celle-ci estime qu’elle n’est pas compétente pour se prononcer sur le droit de ce dernier aux prestations de chômage.

Un recours est introduit et la décision est confirmée, l’institution néerlandaise considérant que l’Etat membre compétent est la République fédérale d’Allemagne, étant le dernier Etat d’emploi. En effet, avant son arrêt de travail, le requérant exerçait de manière effective une activité salariée en Allemagne et il n’était pas travailleur frontalier.

Un recours judiciaire est introduit devant le Rechtbank Overijssel (Tribunal d’Overijssel, Pays-Bas). Celui-ci déboute l’intéressé au motif qu’il n’a pas droit à une prestation de chômage aux Pays-Bas, sur la base de l’article 65 du Règlement n° 883/2004.

Appel est interjeté devant le Centrale Raad van Beroep (cour d’appel en matière de sécurité sociale et de fonction publique, Pays-Bas), qui constate que l’intéressé résidait et travaillait en Allemagne lorsqu’il tomba en arrêt de travail en octobre 2015 et qu’il y perçut des prestations de maladie jusqu’en avril 2016, date à laquelle il s’est trouvé en chômage complet. Le transfert de résidence vers les Pays-Bas étant intervenu entre temps, l’intéressé résidait dans un Etat membre autre que l’Etat membre compétent au sens de l’article 1er, sous q) et s), du Règlement n° 883/2004, étant l’Allemagne.

Pour le juge de renvoi, la question est de savoir si l’article 65, paragraphes 2 et 5, du Règlement n° 883/2004 s’applique à une situation dans laquelle, avant d’être en chômage complet, l’intéressé n’exerçait pas d’activité salariée de manière effective dans l’Etat membre compétent, mais était en arrêt de travail pour cause de maladie et percevait à ce titre une prestation de maladie versée par cet Etat.

Pour la juridiction de renvoi, une telle situation doit être considérée comme comparable à l’exercice d’une activité salariée et il convient dès lors de répondre par l’affirmative. Le Règlement n° 883/2004 (article 11) assimile le bénéfice d’une prestation de maladie à l’exercice d’une activité salariée et considère qu’il faut appliquer cette assimilation également pour l’article 65, paragraphes 2 et 5. Cette interprétation est logique et cohérente, s’agissant de la notion d’exercice d’une activité salariée.

Elle renvoie également à la jurisprudence de la Cour dans le cadre du Règlement (CEE) n° 1408/71, selon laquelle le seul élément pertinent est la circonstance que la personne concernée réside dans un Etat membre autre que celui à la législation duquel elle était assujettie au cours de son dernier emploi. Dans un arrêt BERGEMANN (C.J.U.E., 22 septembre 1988, Aff. n° C-236/87, BERGEMANN c/ BUNDESANSTALT FÜR ARBEIT, EU:C:1988:443), la Cour aurait, selon le juge national, reconnu que cette disposition s’applique à une personne dont la relation de travail est maintenue en vertu d’un congé et qui n’exerce donc pas son activité de manière effective.

Deux questions sont dès lors posées à la Cour de Justice.

Les questions préjudicielles

La première question porte sur l’article 65, paragraphes 2 et 5, du Règlement n° 883/2004, étant de savoir s’il doit être interprété en ce sens qu’une personne en chômage complet, qui a transféré sa résidence dans un autre Etat membre pendant qu’elle percevait une prestation au sens de l’article 11, § 2, du même Règlement dans l’Etat compétent ou avant la fin de sa relation de travail, a droit à une prestation de chômage en vertu de la législation de l’Etat membre dans lequel elle réside.

La seconde question est de savoir si les raisons (par exemple d’ordre familial) pour lesquelles ce chômeur a transféré sa résidence dans un Etat membre autre que l’Etat membre compétent ont une incidence à cet égard.

La décision de la Cour

La Cour répond successivement à l’une et l’autre question.

Elle considère que, pour apporter à la juridiction de renvoi une réponse utile, il faut déterminer si les termes « au cours de sa dernière activité salariée » figurant à l’article 65, paragraphes 2 et 5, visent exclusivement l’exercice effectif d’une activité ou se rapportent également à une situation dans laquelle cette personne n’exerce pas de manière effective d’activité salariée mais perçoit des prestations de maladie.

Les termes « au cours de sa dernière activité salariée » doivent être interprétés à la lumière de l’article 1er, sous a), du Règlement. Cet article définit la notion d’« activité salariée », étant qu’il s’agit d’une activité ou une situation assimilée qui est considérée comme telle pour l’application de la législation de sécurité sociale de l’Etat membre dans lequel cette activité ou la situation assimilée se produit. Dès lors, s’il y a arrêt de travail pour cause de maladie et que la personne concernée perçoit des prestations de maladie versées par cet Etat membre, elle peut être considérée comme étant dans une situation juridique comparable à celle dans laquelle se trouve une personne qui exerce une activité salariée. Elle peut dès lors relever du champ d’application de l’article 65, paragraphes 2 et 5, du Règlement si, au sens du droit national, le bénéfice des prestations versées est assimilé à l’exercice d’une activité salariée.

La réponse de la Cour est dès lors que la disposition doit être interprétée en ce sens qu’elle s’applique à une situation comme en l’espèce, où, avant d’être en chômage complet, la personne concernée était dans un Etat membre autre et n’exerçait pas d’activité salariée mais était en arrêt de travail pour cause de maladie et percevait à ce titre des prestations de maladie. La réserve mise par la Cour est que les prestations de maladie doivent être assimilées, selon le droit national, à l’exercice d’une activité salariée.

Sur la seconde question, que la Cour examine brièvement, sa conclusion est que l’article 65, paragraphes 2 et 5, doit être interprété en ce sens que les raisons, notamment d’ordre familial, pour lesquelles la personne concernée a transféré sa résidence dans un Etat membre autre que l’Etat compétent n’ont pas à être prises en compte aux fins de l’application de cette disposition. En effet, il ne ressort pas de son libellé que les motifs du transfert aient une quelconque importance à cet égard et, par ailleurs, s’il fallait interpréter cette disposition comme ne s’appliquant qu’aux personnes ayant transféré leur résidence pour certaines raisons (ainsi des raisons familiales), le champ d’application de celle-ci serait ainsi limité et la recherche d’un emploi dans l’Etat membre de résidence (où ces personnes sont présumées bénéficier des conditions les plus favorables à la recherche d’un nouvel emploi) serait rendue plus difficile. Une telle interprétation serait dès lors contraire à l’objectif de la disposition.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de Justice précise ce qu’il faut entendre par les termes « au cours de sa dernière activité salariée » figurant à l’article 65, paragraphes 2 et 5, du Règlement n° 883/2004.

La Cour y a précisé que, contrairement à ce qui était soutenu par le juge de renvoi, il n’y a pas lieu d’interpréter cette notion au regard de l’article 11, § 2, du même Règlement (relatif à la détermination de la législation applicable), dès lors qu’il ressort du libellé de cette disposition qu’elle s’applique aux fins du titre II du même Règlement (visant cette législation applicable) et non l’article 65, qui figure dans le titre III (relatif aux dispositions particulières applicables aux différentes catégories de prestations).

La Cour de Justice a, dans sa réponse aux questions préjudicielles, conclu assez logiquement qu’il n’y a pas lieu de viser uniquement l’activité effectivement exercée, étant également couverte la situation d’un arrêt de travail pour cause de maladie où le travailleur perçoit à ce titre des prestations de sécurité sociale correspondantes. Il s’agit d’une situation juridique comparable. Le critère est cependant de vérifier si l’octroi de ces prestations de maladie est assimilé en droit national à l’exercice d’une activité salariée.

Par ailleurs, l’on notera que la Cour a encore relevé que l’article 65 ne limite nullement les motifs du transfert de la résidence d’une personne, soulignant par ailleurs qu’il n’y a pas lieu de restreindre le champ d’application de cette disposition, ce qui ne pourrait que rendre plus difficile, pour les personnes concernées, la recherche d’un emploi.


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