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C.C.T. n° 109 : qu’entend-on par « motifs concrets » ?

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 1er juin 2021, R.G. 20/1.548/A

Mis en ligne le mardi 15 février 2022


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 1er juin 2021, R.G. 20/1.548/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 1er juin 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) conclut, sur la question de la communication des motifs concrets de licenciement, que la motivation doit être effective et concrète mais ne doit pas pour autant exiger des faits précis, une appréciation générale du comportement du travailleur suffisant, pour autant qu’elle permette à celui-ci de se rendre compte globalement de ce qui lui est reproché et qu’il puisse articuler adéquatement sa demande d’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.

Les faits

Une éducatrice, occupée dans un centre d’accueil pour enfants gravement handicapés, est victime d’un accident du travail en septembre 2017, ayant été frappée par un enfant violent. Suite à cet incident, l’intéressée développera, selon ses explications, des difficultés professionnelles.

Elle reçoit un avertissement en octobre 2018, portant essentiellement sur son comportement (débordements, manque de contenance, manque de confiance, etc.). Il est insisté sur l’incidence de ce comportement sur les enfants, en attente de stabilité et de sérénité. A sa demande, l’intéressée est alors entendue par le conseil d’administration et d’autres collègues. Les difficultés liées aux fonctions sont discutées, avec des recherches de solutions et d’évaluation d’outils destinés à faire diminuer la violence au sein de l’institution.

Un deuxième courrier d’avertissement lui est cependant envoyé en février 2019, l’employeur se disant inquiet, vu l’incapacité de l’intéressée à prendre en charge les enfants de son secteur. Il lui est demandé de se mobiliser professionnellement, étant encore précisé que, si de nettes et rapides améliorations ne devaient pas intervenir, il devrait être envisagé d’interrompre la collaboration pour garantir une prise en charge de qualité des enfants.

Ayant été en incapacité de travail dès la réception de cet avertissement, et ce pour une durée de trois mois et demi, l’éducatrice répondra pendant son absence, réexposant ses griefs (perpétuelle remise en question de ses pratiques, changement de poste, etc.). Elle y confirme son souhait de poursuivre son travail après la fin de la période d’incapacité.

Une nouvelle rencontre a lieu à la fin de cette période, dont un compte rendu très détaillé est fait par le conseil d’administration dans un procès-verbal. Il lui est demandé de prolonger son « écartement » pendant quelques semaines afin que le travail puisse reprendre dans un climat serein. Le médecin-traitant refuse cependant la prolongation de l’incapacité. Les modalités de retour au travail sont alors discutées, avec un changement d’affectation et une réévaluation huit mois plus tard. Elle accepte les propositions.

Plusieurs réunions ont lieu au niveau des organes de l’institution. L’intéressée souhaitant discuter la proposition faite précédemment et le personnel faisant part de son inquiétude quant à la reprise du travail, le conseil d’administration prend alors la décision de revoir sa position. Il vote (à bulletin secret) et une très large majorité se prononce pour la rupture du contrat.

L’éducatrice est ainsi licenciée, moyennant paiement d’une indemnité de rupture.

Ayant demandé à connaître les motifs concrets du licenciement, elle reçoit ceux-ci, essentiellement liés à son attitude (rigidité, manque de respect envers les partenaires et la direction, mise à mal du dispositif thérapeutique, inadéquation lors de l’exercice de sa fonction pour le traitement d’enfants et d’adolescents à lourde symptomatologie, etc.).

Une procédure est introduite.

La décision du tribunal

Le tribunal est saisi de différents postes, étant relatifs au calcul de l’indemnité de rupture, à un remboursement de frais, au paiement d’heures supplémentaires, à l’amende civile prévue par la C.C.T. n° 109, ainsi qu’à l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable et à une réparation pour discrimination sur la base de l’état de santé.

Certains postes sont purement factuels et ne méritent pas d’être développés.

La question de l’amende civile est abordée par le tribunal par le renvoi à de la jurisprudence, s’agissant en l’espèce d’une motivation assez sommaire. Il cite un jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles du 7 décembre 2016 (Trib. trav. fr. Bruxelles, 7 décembre 2016, R.G. 15/1.281/A), qui a admis une motivation assez sommaire et peu circonstanciée, relevant cependant que celle-ci ne peut pas être abstraite et doit présenter un lien perceptible avec le licenciement. Pour le tribunal, ce n’est pas à ce stade qu’il faut examiner si les motifs sont réels, cette obligation devant seulement permettre au travailleur de juger du caractère déraisonnable ou arbitraire du licenciement et d’apprécier la pertinence d’une contestation judiciaire. Le même tribunal a également jugé (Trib. trav. fr. Bruxelles, 15 juin 2016, R.G. 15/3.374/A) que les motifs doivent être suffisamment décrits, ce qui implique une description soit des fautes éventuelles, soit de l’inaptitude du travailleur, soit encore des nécessités de fonctionnement en des termes suffisamment précis.

Le Tribunal du travail de Liège confirme souscrire à cette jurisprudence : la motivation doit être effective et concrète, mais il n’est pas exigé de rentrer dans de longs développements.

Sur l’indemnité de la C.C.T. n° 109, un renvoi est également fait à la doctrine et la jurisprudence, en ce compris pour la question de la proportionnalité : le licenciement doit être proportionné aux circonstances de la cause, raisonnables et légitimes.

Le tribunal souligne en l’espèce que l’employeur a négligé de respecter la symétrie des attentions (étant le concept de gestion des ressources humaines qui veut que la qualité des relations que l’entreprise entretient avec sa clientèle soit la même que celle qu’elle entretient avec ses collaborateurs). Le contexte est un contexte de souffrance au travail et il fait grief à l’institution de ne pas avoir pris du tout la mesure de celle-ci et de s’être contentée d’évoquer de façon totalement abstraite des difficultés - tout en restant par ailleurs en défaut de donner un exemple concret de comportement inadéquat dans le chef de l’éducatrice.

Il précise qu’il ne suffit pas d’évoquer – et d’exiger de ses travailleurs – la bienveillance, encore faut-il la pratiquer, et que, si la travailleuse doit faire preuve de bienveillance à l’égard de son employeur, de ses collègues et des enfants de l’institution, elle doit également être l’objet de cette même bienveillance. Est également reproché un déséquilibre entre les remontrances importantes faites et l’absence de réponse adéquate aux demandes de l’intéressée lorsque celle-ci s’est enquise des conditions de sa reprise.

Enfin, le tribunal stigmatise la décision de l’employeur de l’inciter à rester en congé de maladie, soulignant que l’incapacité de travail n’est pas un outil de gestion des relations de travail compliquées.

Il fait droit à la demande d’indemnité et alloue à ce titre quatorze semaines de rémunération.

Il déboute cependant la demanderesse du chef de demande relatif à une réparation pour discrimination sur la base de l’état de santé, constatant que celui-ci n’est ni directement ni indirectement en lien avec le licenciement ou un traitement défavorable, aucune crainte quant à l’état de santé passé, actuel ou futur n’existant.

Intérêt de la décision

Au-delà de l’appréciation des éléments de fait dans le cadre du contrôle du motif du licenciement, ce jugement du Tribunal du travail de Liège prend position sur la question de l’amende civile, dont les conditions de débition sont discutées, lorsque, comme en l’espèce, l’employeur a donné, dans sa réponse à la demande de communication des motifs concrets, une réponse apparemment peu satisfaisante. Étaient visés une attitude symétrique rigide, une confiance insuffisante ainsi qu’un manque de respect, la mise à mal du dispositif thérapeutique, une incapacité dans le chef de l’intéressée à se remettre en question et une inadéquation dans l’exercice de sa fonction pour le traitement d’enfants à lourde symptomatologie.

La question est de savoir si une telle motivation est suffisante au sens de l’article 7 de la C.C.T. n° 109.

La volonté des partenaires sociaux a été, comme on le sait, de permettre à ce stade (préliminaire à la procédure judiciaire) de déterminer, dans le chef du travailleur, quels sont les griefs ayant conduit à la rupture et de décider si une procédure en justice est, sur la base de ceux-ci, raisonnable.

La convention collective exige que les motifs soient concrets, mais l’étendue de cette exigence est débattue. Il est en tout cas admis qu’il faut vérifier si des motifs ont été communiqués et s’ils correspondent à trois conditions, étant (i) qu’ils excluent les formules stéréotypées et des motifs vagues, (ii) qu’il s’agit de motifs non abstraits ou non théoriques et (iii) qu’ils impliquent l’existence d’un motif réel. Il s’agit de la signification du terme « aperçu » figurant dans la convention collective.

Dès lors que de tels motifs sont donnés, l’obligation de communication est respectée. Ce n’est que dans un stade ultérieur que la réalité des motifs fait l’objet d’un contrôle judiciaire, étant de vérifier s’il s’agit de motifs admissibles au sens de l’article 7 de la C.C.T.

L’amende civile n’est dès lors pas due lorsque le motif donné reste peu circonstancié.

Il est évident, cependant, que moins le motif est précis, moins la concordance entre le motif communiqué et celui qui sera développé ultérieurement peut être vérifiée. A notre estime, la motivation par trop sommaire ne correspond pas à la volonté des partenaires sociaux, ceux-ci ayant souhaité resserrer le débat judiciaire sur l’existence d’un motif réel et ayant imposé, afin de faciliter ce contrôle, que le motif soit annoncé préalablement à l’introduction de la procédure.

L’on peut revenir ici sur le motif de ‘restructuration’ ou de ‘réorganisation’, qui est généralement rejeté s’il n’est pas explicité.


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