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Sanction disciplinaire : étendue du contrôle judiciaire par le tribunal du travail

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Huy), 9 juin 2021, R.G. 20/81/A

Mis en ligne le mardi 15 février 2022


Tribunal du travail de Liège (division Huy), 9 juin 2021, R.G. 20/81/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 9 juin 2021, le Tribunal du travail de Liège (division de Huy) rappelle que l’étendue du contrôle judiciaire en matière de sanction disciplinaire comporte la question de la proportionnalité de la pénalité infligée par rapport au manquement reproché.

Les faits

Un ouvrier communal prestant comme cantonnier et chauffeur de bus est convoqué en août 2019 aux fins de s’expliquer sur des faits survenus quelques jours auparavant. Il aurait commis des écarts de langage envers un enfant récalcitrant au moment d’entrer dans son véhicule.

L’organisation syndicale à laquelle il est affilié prend rapidement contact après cette entrevue avec les autorités communales, s’étonnant de la convocation (convocation verbale et ne précisant pas la possibilité d’être assisté ou représenté par son syndicat), considérant l’audition caduque. Elle sollicite qu’elle soit classée sans suite. Elle reconnaît, au nom de son affilié, des propos maladroits, mais conteste d’autres griefs (consommation d’alcool notamment).

Un dossier disciplinaire sera instruit pour manquements professionnels et l’intéressé est alors entendu par le Collège communal, ayant été dûment informé de la procédure. Au cours de l’audition, le représentant syndical demande, s’agissant d’un contexte particulier et de l’absence d’antécédents, qu’aucune sanction ne soit retenue.

Le Collège prend cependant la décision de le sanctionner disciplinairement et lui inflige une amende équivalant à quatre heures de rémunération. La décision est motivée, précisant notamment que les sanctions disciplinaires applicables au personnel contractuel sont visées à l’article 32 du règlement de travail, celles-ci pouvant être un avertissement, une amende, une mise à pied ou une rétrogradation.

La décision du Collège est notifiée et elle est contestée en justice par une requête introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Huy).

Position des parties devant le tribunal

Le demandeur conteste la régularité de la procédure, considérant que la procédure disciplinaire prévue aux articles 17 et suivants de la loi du 8 avril 1965 relative aux règlements de travail n’est pas applicable aux agents contractuels des services publics et qu’il y a lieu de se référer aux principes généraux de droit. Sur le fond, il nie la gravité des faits, admettant des « propos inadéquats » et ayant fait amende honorable à cet égard. Il conteste encore l’application d’une sanction de niveau 2.

Quant à l’administration communale, elle revient sur la procédure administrative, considérant que les droits de l’intéressé n’ont pas été préjudiciés, le premier entretien n’ayant pas le caractère d’audition au sens légal. Sur le fond, il y a des manquements avérés et la sanction est considérée comme mineure et proportionnée aux faits. La Commune plaide également que le tribunal est sans compétence pour apprécier la hauteur de la sanction, celle-ci relevant du pouvoir discrétionnaire de l’employeur.

La décision du tribunal

Le tribunal vérifie dans un premier temps sa compétence, constatant que le contrat de travail est soumis à la loi du 3 juillet 1978 et que le travailleur reconnaît dans celui-ci avoir reçu une copie du règlement de travail et en accepter les clauses et conditions. Le tribunal est dès lors compétent pour connaître des sanctions disciplinaires prévues au règlement de travail, quand bien même l’employeur serait une administration.

Il vérifie ensuite l’étendue de contrôle judiciaire. Celui-ci porte sur la régularité de la procédure et sur la vérification de l’existence des faits. Le juge doit également examiner si la sanction prise est proportionnelle à la gravité du comportement. Rappelant un arrêt de la Cour du travail de Liège du 22 avril 1993 (C. trav. Liège, 22 avril 1993, J.L.M.B., 1993, p. 1388), le tribunal souligne en effet que les juridictions du travail doivent veiller à l’application du principe de proportionnalité et examiner si la sanction infligée est en rapport avec la gravité et la faute commise.

Un deuxième renvoi est fait, cette fois à la Cour du travail de Bruxelles dans un arrêt récent (C. trav. Bruxelles, 11 septembre 2018, R.G. 2016/AB/689), selon laquelle le fait de restreindre le rôle des juridictions du travail en la matière à la simple vérification du respect des règles de procédure, de l’existence matérielle des faits et de la légalité du manquement et de la pénalité, sans cependant pouvoir exercer un contrôle de proportionnalité, se heurte au fondement contractuel du droit disciplinaire dans le secteur privé. Dans le cadre de son contrôle de légalité, la juridiction peut exercer un contrôle de proportionnalité avec, au besoin, le droit d’annuler la sanction infligée.

Le tribunal ajoute que le juge n’exerce cependant pas en l’espèce un pouvoir de substitution. Il n’a pas le pouvoir d’estimer que c’est à tort qu’une procédure disciplinaire a été mise en branle et qu’une sanction a été infligée. Au-delà de l’existence des faits sanctionnés, il doit cependant vérifier si la sanction est adéquate et si l’employeur – même l’employeur public – n’a pas commis de faute, notamment dans la tenue de cette procédure disciplinaire, mais aussi dans l’appréciation de la sanction retenue.

En l’espèce, il considère que la procédure a été régulière tant au regard des droits de défense que du délai raisonnable. La question du règlement de travail et de son applicabilité en l’espèce est ensuite développée, dans la mesure où le demandeur considère que les articles 17 et suivants de la loi du 8 avril 1965 ne s’appliquent pas aux agents contractuels des services publics.

Le tribunal rappelle que les communes se sont vu imposer l’obligation d’édicter un règlement de travail par la loi du 18 décembre 2002 modifiant la loi du 8 avril 1965 instituant les règlements de travail. Son article 8 dispose qu’est inséré dans la loi du 8 avril 1965 un article 19bis, selon lequel les articles 16 à 19 de la même loi ne sont pas applicables aux services publics, qui, avant l’entrée en vigueur de cet article, ne tombaient pas dans le champ d’application de la loi. Les travaux préparatoires expliquent que, pour les personnes travaillant dans un service public qui, avant l’entrée en vigueur de la loi, n’était pas dans le champ d’application de celle-ci, ne sont pas visées par les pénalités des articles 16 à 19. Cependant, ceci n’empêche pas que le règlement de travail d’un service public, conformément à l’article 6, 6°, de la loi du 8 avril 1965, doit bien mentionner les pénalités, le montant et la destination des amendes ainsi que les manquements qu’elles sanctionnent (Ch., doc. 50 2031-2001/2002:001 ; Proposition de loi Doc. 2031-2002/2003:002 notamment). Le tribunal constate que ces dispositions (articles 16 à 18) ne visent que les obligations purement matérielles et administratives (notification, etc.).

Quant aux faits reprochés, il ressort du dossier que deux d’entre eux sont établis et admis par l’intéressé. Le troisième ne l’est pas.

Le tribunal procède en conséquence au contrôle de proportionnalité. Sur les pénalités, il rappelle que seules celles qui figurent au règlement de travail peuvent être infligées. En l’espèce, les manquements sanctionnables sont énumérés de manière non exhaustive, au contraire des sanctions applicables, au nombre de quatre, celles-ci étant fixées selon un ordre croissant de sévérité. L’intéressé n’ayant pas d’antécédents disciplinaires depuis son engagement et eu égard aux circonstances de fait entourant les fautes reprochées, le tribunal conclut que la sanction est disproportionnée. Il annule dès lors la décision du Collège.

Intérêt de la décision

La question des sanctions disciplinaires prévues au règlement de travail fait peu l’objet de décisions en jurisprudence.

S’est posée à diverses reprises cependant la question de la compétence des juridictions du travail pour connaître de telles sanctions ainsi que celle de l’étendue du contrôle judiciaire.

Dans l’arrêt du 11 septembre 2018 repris dans le jugement (C. trav. Bruxelles, 11 septembre 2018, R.G. 2016/AB/689 – précédemment commenté), la Cour du travail de Bruxelles a effectivement considéré que le travailleur à qui une sanction disciplinaire a été infligée a le droit de la contester devant les juridictions du travail, par application de l’article 6-1 de la C.E.D.H. ou, tout simplement, en vertu de l’article 578, 1°, du Code judiciaire. Il ne doit, pour ce faire, pas nécessairement avoir épuisé au préalable les recours ouverts au sein de l’entreprise. La tendance qui entend restreindre le rôle que les juridictions du travail peuvent jouer en la matière à la vérification du respect des règles de procédure, de l’existence matérielle des faits et de la légalité du manquement et de la pénalité, sans pouvoir exercer un contrôle de proportionnalité, se heurte au fondement contractuel du droit disciplinaire dans le secteur privé. Ce contrôle de légalité permet bel et bien à la juridiction saisie d’exercer un contrôle de proportionnalité, avec, au besoin, le droit d’annuler la sanction infligée.

Dans cette décision, il s’agissait d’un éducateur au service d’une institution d’enseignement accueillant des enfants et adolescents souffrant de handicap mental ou de troubles comportementaux. L’intéressé avait été appelé pour maîtriser un enfant très violent et lui avait bloqué le bras. Suite à l’intervention des parents, qui avaient emmené le jeune au service des urgences, l’éducateur avait contesté tout acte de violence et une sanction avait été prise. La cour du travail s’était référée à la doctrine de M. DALLEMAGNE (M. DALLEMAGNE, « Les sanctions disciplinaires dans le secteur privé », Le droit du travail dans tous ses secteurs, Anthémis, 2008, pp. 47 et 48), doctrine qui avait rappelé la possibilité de contester une telle sanction devant les juridictions du travail, et ce par application de l’article 6-1 de la C.E.D.H. ou même, en droit interne, en vertu de l’article 578, 1°, du Code judiciaire.

Le jugement commenté rappelle encore l’apport de la loi du 18 décembre 2002 modifiant la loi du 8 avril 1965 instituant les règlements de travail, qui a imposé aux services publics l’obligation d’édicter un règlement de travail, ceux-ci n’y étant pas tenus auparavant. Si certaines dispositions de la loi ne leur sont pas applicables (étant essentiellement relatives à la notification des pénalités, ainsi qu’à l’inscription de celles-ci dans un registre), les pénalités elles-mêmes, leur montant et la destination des amendes ainsi que les manquements qu’elle sanctionne doivent pour ces services publics également figurer dans le règlement de travail.


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