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Discrimination à l’embauche sur la base de la maternité

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 juin 2021, R.G. 2018/AB/695

Mis en ligne le lundi 14 février 2022


Cour du travail de Bruxelles, 30 juin 2021, R.G. 2018/AB/695

Terra Laboris

Dans un arrêt du 30 juin 2021, la Cour du travail de Bruxelles rappelle le mécanisme légal sanctionnant une discrimination à l’embauche, en l’occurrence intervenue sur la base de la maternité, et alloue une indemnité forfaitaire de trois mois de rémunération, au motif que le refus d’embauche serait également intervenu en l’absence de la discrimination prohibée.

Les faits

Un cabinet de kinésithérapie recrute, en avril 2015, des candidat(e)s pour un poste de secrétaire médical(e) à temps plein. Pour ce, il s’adresse à Actiris.

L’offre d’emploi détaille les tâches à accomplir, étant essentiellement relatives à l’organisation du secrétariat, à des travaux d’encodage, à la rédaction de procès-verbaux, etc.

Une candidate se présente et, dans sa lettre de motivation, elle précise avoir travaillé dans le domaine administratif d’un hôpital (réceptionniste). Elle détaille également ses compétences (informatiques, sens des responsabilités, etc.). Après son interview, elle reçoit un courrier l’informant que sa candidature n’est pas retenue. La lettre précise le motif, étant que « (…) votre rôle de maman doit primer sur votre carrière et nous recherchons une personne libre de tout engagement familial et flexible dans les horaires de travail ».

L’intéressée manifeste sa déception très rapidement et conteste le refus d’embauche, non pour une question de compétences mais pour des motifs liés à sa vie privée.

L’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes est saisi et dénonce une discrimination directe à l’embauche.

Celle-ci est contestée par la société, qui fait valoir que la moitié de son personnel est féminin et que sa gérante s’est « toujours battue pour l’égalité hommes/femmes ». Est également précisé que, lors de l’entretien, l’intéressée avait clairement annoncé que sa priorité de vie était ses trois enfants, dont deux jumeaux en âge d’entrer en maternelle, et qu’il y avait une incompatibilité entre les contingences de la vie familiale de l’intéressée, absorbée par ses enfants en bas âge, et les nécessités de la fonction, le personnel administratif pouvant être amené à prester tard le soir et à subir des modifications d’horaires.

L’employée maintient qu’il y a eu discrimination à l’embauche et une procédure est introduite. Entre-temps, la société a engagé une employée avec un enfant en bas âge. Son contrat de travail précise que la durée journalière des prestations est de neuf heures à dix-sept heures trente, celle-ci pouvant être amenée à devoir être disponible en-dehors de cette plage horaire.

Le jugement du tribunal du travail

Par jugement du 23 avril 2018, le tribunal a déclaré les demandes non fondées. Il a condamné l’intéressée et l’Institut aux dépens de l’instance.

Appel est interjeté par ceux-ci.

La décision de la cour

Le rappel des principes effectué par la cour est important. Il s’agit d’examiner la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre les discriminations entre les femmes et les hommes, dont la cour rappelle qu’elle a pour objectif de créer dans les matières qu’elle couvre un cadre général pour lutter contre la discrimination sur la base du sexe, cette loi transposant notamment la Directive n° 76/07 du Conseil du 9 février 1976.

La cour rappelle qu’en vertu de l’article 4, § 1er, de la loi, une distinction directe fondée sur la grossesse, l’accouchement et la maternité est assimilée à une distinction directe fondée sur le sexe.

La loi a voulu protéger initialement uniquement la maternité et non la paternité, ce qui est intervenu par une loi du 4 février 2020 seulement, un paragraphe 4 ayant été intégré dans la loi, selon lequel une distinction directe fondée sur la paternité ou la co-maternité est assimilée à une distinction directe fondée sur le sexe.

Elle rappelle encore que les discriminations (directes ou indirectes) fondées sur le sexe sont interdites dans les relations de travail et en particulier en ce qui concerne l’accès à l’emploi. Des distinctions directes peuvent cependant être admises mais ne peuvent être justifiées que sur la base d’une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

La cour rappelle longuement les travaux parlementaires sur cette question, ceux-ci soulignant qu’en tant que règle d’exception, la règle des exigences professionnelles essentielles et déterminantes doit être appliquée avec parcimonie et uniquement pour les exigences professionnelles qui sont strictement nécessaires afin d’exercer les activités en cause. Une liste est donnée des justifications admises comme objectifs légitimes pour l’édiction d’exigences professionnelles essentielles et déterminantes (visant la protection de la vie privée, le respect de la sensibilité du patient, la sécurité publique et le maintien de la force de combat).

Les travaux parlementaires précisent que la liste de ces exigences professionnelles essentielles et déterminantes est fermée. Ainsi, la volonté de répondre à la préférence discriminatoire des clients ou d’autres travailleurs n’est pas acceptée comme objectif légitime. Il est en outre nécessaire de contrôler si l’exigence professionnelle essentielle et déterminante est proportionnée à l’objectif légitime. Le contrôle de proportionnalité exigé par le droit européen comprend un contrôle du caractère approprié et nécessaire de l’exigence professionnelle vis-à-vis de l’objectif poursuivi.

En droit interne, un arrêté royal est intervenu le 8 février 1979, précisant les cas dans lesquels il peut être fait mention du sexe dans les conditions d’accès à un emploi ou une activité professionnelle. Une liste est donnée (acteurs, actrices, mannequins, modèles, etc., ou encore les personnes engagées dans des emplois ou activités qui s’exercent à l’étranger, dans des pays tiers aux Etats membres de l’Union européenne et où les lois et coutumes imposent qu’ils soient exercés par des personnes d’un sexe déterminé).

Sur le plan du mécanisme probatoire, existe une présomption d’existence d’une discrimination fondée sur le sexe dès que la personne qui s’estime victime de celle-ci (ou l’Institut, ou encore un groupement d’intérêts) invoque des faits permettant de la supposer. Il incombe alors au défendeur de prouver qu’il n’y a pas eu discrimination. Il peut s’agir d’éléments qui révèlent une certaine récurrence de traitements défavorables ou qui font apparaître que la situation de la victime du traitement plus défavorable est comparable avec la situation de la personne de référence.

La cour revient également sur l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 12 février 2009 (C. const., 12 février 2009, n° 17/2009) sur la question de la preuve, la Cour y ayant précisé que la victime doit démontrer que le défendeur a posé des actes ou a donné des instructions qui pourraient, de prime abord, être discriminatoires. La charge de la preuve incombe dès lors en premier à la victime.

Dans son arrêt COLEMAN (C.J.U.E., 17 juillet 2008, Aff. n° C-303/06, COLEMAN c/ ATTRIDGE LAW et LAW, EU:C:2008:415), la Cour de Justice a rappelé sa jurisprudence, étant que, dès que de tels faits sont établis, la mise en œuvre effective du principe de l’égalité de traitement exige que la charge de la preuve pèse sur la partie défenderesse, qui doit prouver qu’il n’y a pas eu de violation de ce principe, celle-ci pouvant ainsi prouver par toute voie de droit notamment que la politique de recrutement est établie sur des facteurs étrangers à toute discrimination. Ainsi, en matière d’orientation sexuelle, si la partie défenderesse entend renverser la présomption, elle ne doit pas établir qu’elle a engagé par le passé des personnes d’une orientation sexuelle déterminée, ceci étant susceptible de porter atteinte au droit au respect de la vie privée. L’absence de discrimination peut être établie à partir d’un faisceau d’indices concordants (C.J.U.E., 25 avril 2013, Aff. n° C-81/12, ASOCIAŢIA ACCEPT c/ CONSILIUL NAŢIONAL PENTRU COMBATEREA DISCRIMINĂRII, EU:C:2013:275).

En l’espèce, la cour considère que l’intéressée rapporte la preuve d’un fait qui permet de présumer qu’elle a été victime d’une discrimination directe liée à la maternité. Celle-ci est dès lors une discrimination directe fondée sur le sexe.

La société doit dès lors établir qu’elle n’a pas discriminé l’intéressée en raison de sa maternité. A cet égard, l’absence d’élément intentionnel est indifférente. Il peut y avoir une discrimination même si l’employeur n’a pas consciemment l’intention de la pratiquer.

De même, la politique d’embauche n’est pas suffisante pour contredire la présomption légale et le recours à des prestataires de services indépendants n’est pas un point susceptible de confirmer l’absence de discrimination, le fait de conclure des contrats de prestation de services avec des kinésithérapeutes femmes étant ainsi indifférent pour juger si la pratique d’embauche d’un travailleur salarié repose sur des facteurs étrangers à toute discrimination fondée sur la maternité. Ne renverse pas non plus celle-ci l’embauche, sept mois plus tard, d’une femme ayant un enfant en bas âge.

Par ailleurs, la société invoquant d’autres motifs que la maternité (manque de flexibilité et de disponibilité), la cour rappelle qu’elle a la charge de la preuve de ceux-ci. En outre, ceci confirme que la maternité a été l’un des critères à l’origine du refus. Si plusieurs motifs existaient, le fait que l’un de ceux-ci ait été la maternité suffit à conclure à l’existence de la discrimination directe prohibée par la loi.

La présomption n’étant pas renversée, la cour fait droit à la demande. Constatant que l’intéressée a opté pour l’indemnisation forfaitaire – celle-ci pouvant être de six ou de trois mois –, la cour retient que la société établit à suffisance que le refus d’embauche aurait également eu lieu en l’absence de discrimination liée à la maternité et alloue l’équivalent de trois mois de rémunération.

Intérêt de la décision

L’espèce tranchée par la Cour du travail dans cet arrêt du 30 juin 2021 contient plusieurs enseignements.

Au niveau de la discrimination à l’embauche, discrimination sur la base du sexe, la cour rappelle que constitue, en vertu du texte légal, d’office une telle discrimination une distinction directe opérée en fonction de la grossesse, de l’accouchement et de la maternité (auxquelles on peut ajouter l’allaitement, l’adoption, la procréation médicalement assistée, la paternité et la co-maternité (loi du 4 février 2020 modifiant la loi du 10 mai 2007 en ce qui concerne l’interdiction de discrimination relative à la paternité ou à la co-maternité, la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes).

Le mécanisme de la preuve, commun à l’ensemble des dispositifs anti-discrimination, est rigoureusement appliqué, étant que la partie demanderesse est tenue d’apporter la preuve de faits déterminés et que, une fois ceux-ci avérés, c’est à la partie défenderesse d’apporter la preuve de l’absence de comportement discriminatoire.

Est également appliquée la règle selon laquelle, en cas de pluralité de motifs, dont certains non discriminatoires, l’existence d’un motif prohibé (à la base du fait reproché) implique néanmoins la discrimination.

Enfin, sur le plan de la sanction, il est rappelé que celle-ci, dans son volet forfaitaire, peut être de six ou de trois mois, en vertu de l’article 23, § 2, 2°, de la loi du 10 mai 2007, le montant de trois mois étant celui à retenir lorsque, même en l’absence de discrimination, le refus d’embauche (en l’espèce) aurait également eu lieu.

Relevons encore, sur cette dernière disposition et sur la sanction qu’elle contient, que, dans un arrêt du 11 mai 2020 (Cass., 11 mai 2020, n° S.18.0094.N), la Cour de cassation a jugé qu’il ressort des articles 23 et 25, § 2, de la loi « genre » que l’indemnité forfaitaire de l’article 23, § 2, 2°, est applicable uniquement lorsque la procédure est dirigée contre l’employeur. Dans tous les autres cas, c’est l’indemnité de l’article 23, § 2, 1°, qui s’applique.


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