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Publicité donnée à un licenciement pour motif grave et abus de droit

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 28 juin 2021, R.G. 19/811/A

Mis en ligne le lundi 31 janvier 2022


Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), 28 juin 2021, R.G. 19/811/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 28 juin 2021, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons) alloue à un employé ayant occupé les fonctions de directeur-gérant d’une société de logement des dommages et intérêts pour préjudice matériel et moral suite à la publicité donnée dans la presse à son licenciement pour motif grave, motif grave qui s’avérera infondé.

Les faits

Ayant été convoquée par la Société Wallonne du Logement aux fins de rendre compte de divers problèmes (plaintes relatives à la rénovation, constat de diverses carences de gestion, etc.), une société de logement convoque, via son conseil d’administration, son directeur-gérant aux fins de s’expliquer sur divers points litigieux pour lesquels des explications sont demandées.

Après l’audition, l’intéressé est licencié pour motif grave, la lettre de licenciement étant très explicite et se référant à de nombreux points figurant dans la demande d’explications de la S.W.L.

Le motif grave est contesté et une procédure est introduite devant le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons).

Objet des demandes devant le tribunal

L’employé sollicite le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, à majorer d’une prime de fin d’année, ainsi que des dommages et intérêts pour licenciement abusif.

La société introduit une demande reconventionnelle portant sur un euro provisionnel en réparation d’une faute lourde (ou d’un dol) commise par l’intéressé dans l’exercice de ses fonctions, ainsi qu’un autre euro provisionnel pour procédure téméraire et vexatoire.

La décision du tribunal

Le tribunal fait un très long rappel des principes, reprenant les exigences légales en matière de notification du motif grave. Il aborde en premier lieu – les appliquant au cas d’espèce – les exigences de précision des motifs, rappelant que cette précision ne doit pas nécessairement résulter du seul écrit que constitue la lettre recommandée, mais que cette lettre peut être complétée par une référence à d’autres éléments, tout en remplissant la condition fondamentale que cet ensemble permette d’apprécier avec certitude et précision les motifs justifiant le congé. Il suit de ce formalisme que différents griefs sont imprécis et non situés dans le temps. Il n’y a pas dès lors pas lieu d’en tenir compte.

Pour ce qui est du respect du double délai de trois jours, le tribunal note que le licenciement est intervenu le lendemain de l’audition par le conseil d’administration et que les motifs sont contenus dans la lettre de congé. Les délais sont dès lors respectés.

Quant au fondement du motif grave, qui donne lieu également à des développements importants, le tribunal va conclure, dans son examen, que les faits retenus à l’origine du licenciement ne peuvent, ni isolément ni conjointement, être considérés comme à ce point fautifs qu’ils rendaient immédiatement et définitivement impossible toute collaboration professionnelle entre les parties. Il accorde dès lors l’indemnité compensatoire de préavis, réservant à statuer sur le montant définitif, ceci valant également pour la prime de fin d’année.

Pour ce qui est de la demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif, celle-ci se fonde sur l’existence d’un préjudice matériel et moral. Le tribunal rappelle à cet égard que l’employé doit établir l’existence d’une faute dans le chef de l’employeur et également un dommage spécifique ainsi qu’un lien de causalité.

En l’espèce, l’employé reproche à la société d’avoir donné à son licenciement une publicité qui lui est préjudiciable, l’impact médiatique de celui-ci et les critiques publiques émises à son encontre étant tels qu’il a subi un dommage moral important et qu’il se voit par ailleurs privé de toute possibilité de retrouver un emploi convenable. Ce préjudice excède celui résultant de la rupture du contrat de travail.

A l’appui de sa réclamation, l’intéressé produit des articles de presse, articles ayant paru dans des journaux et publiés sur des sites internet. Ceux-ci couvrent une période d’un mois et demi. Le tribunal reprend le contenu de ces articles, contenu qui se réfère à l’existence d’un licenciement pour motif grave, et ce vu que l’intéressé (dont le nom est donné) se serait rendu coupable de manquements dommageables en termes de gestion administrative et financière et de manquements concernant la gestion d’un litige en justice, dans lequel la société aurait été assignée et condamnée, suite à quoi l’intéressé aurait décidé d’interjeter appel « sans même avertir le conseil d’administration ». Lui est également reproché, publiquement, d’avoir donné des explications « trop évasives », de même que de contourner les règles (transfert d’un lot de sanitaires devant être installé dans un logement social vers une école communale) ainsi que d’autres griefs, dont l’utilisation de subsides à mauvais escient.

Le tribunal rappelle à cet égard que, si la publicité du licenciement d’un directeur se justifie en interne dans une société afin d’informer l’ensemble des travailleurs des modifications intervenant dans l’organigramme, il n’en va pas de même de la publicité d’un licenciement faite dans les médias. L’identité de l’intéressé a été dévoilée ainsi que le licenciement pour motif grave et les déclarations d’administrateurs de la société sont reprises. Les informations relatives au licenciement ne sont pas neutres. Elles constituent une publicité négative inutile. Celle-ci est constitutive d’abus de droit en ce qu’un employeur normalement prudent et diligent n’aurait pas porté de telles informations à la connaissance de la presse.

Référence est faite notamment à un jugement du Tribunal du travail de Nivelles du 17 janvier 1986 (Trib. trav. Nivelles, 17 janvier 1986, n° F-19860117-12, avec renvoi à www.juportal.be), qui a décidé que la publicité donnée au licenciement d’un employé ainsi que le contenu de la lettre de licenciement elle-même, de nature à laisser planer un doute sur l’honorabilité de l’intéressé ou, au moins, sur ses capacités professionnelles, rendent ce licenciement abusif.

L’existence d’un dommage matériel et moral est retenue, les publications en cause étant nuisibles lors de la recherche d’un nouvel emploi et les critiques quant à la qualité de son travail ayant été exposées « sur la place publique ».

Le tribunal fait en conséquence droit à ce chef de demande également.

Intérêt de la décision

L’affaire tranchée par le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons) est l’occasion de revenir sur le dommage spécial indemnisable en cas de rupture du contrat de travail.

Le dommage normal découlant de la rupture elle-même est en effet inclus dans l’indemnité compensatoire de préavis, tant en son aspect matériel que moral. Il convient donc, dans le cadre d’une procédure en abus de droit, de faire valoir un dommage distinct.

Le dommage matériel est celui directement lié à la perte de chance de retrouver un emploi eu égard à la publicité très négative faite quant aux capacités professionnelles de l’employé (employé supérieur en l’occurrence), dont la personnalité a été ciblée.

Le dommage matériel étant ainsi déterminé, doit s’y ajouter un volet moral, pour atteinte manifeste à l’honorabilité. L’indemnisation d’une telle atteinte est régulièrement admise en jurisprudence. Il a ainsi été jugé (C. trav. Mons, 25 septembre 2015, R.G. 2014/AM/307) que la mise en cause acharnée de l’honorabilité d’un employé est sans conteste génératrice d’un préjudice, à tout le moins d’ordre moral, dans le chef de la victime, lequel doit être distingué des conséquences du licenciement lui-même.

Dans un arrêt précédent, cette cour avait rappelé que le dommage requis n’est pas celui qui s’identifie avec les effets psychologiques résultant du congé car l’abus ne peut résulter des conséquences du licenciement mais bien des circonstances entourant celui-ci (C. trav. Mons, 15 mai 2013, R.G. 2007/AM/20.622).

Un dommage voisin de l’atteinte à l’honorabilité est celui de l’atteinte à la réputation professionnelle (point sur lequel il peut être renvoyé à C. trav. Bruxelles, 1er avril 2014, R.G. 2013/AB/140, qui a trait à une publicité interne).

Relevons enfin que d’’autres décisions retiennent le sentiment d’humiliation ou d’injustice (voir C. trav. Liège, 20 juin 2011, R.G. 2010/AL/531, notamment, où la faute consistait en l’absence d’audition et de respect des droits de défense).


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