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Réorganisation du travail et raisons économiques

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 6 mai 2021, R.G. 19/1.018/A

Mis en ligne le lundi 31 janvier 2022


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 6 mai 2021, R.G. 19/1.018/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 6 mai 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) examine un motif de réorganisation invoqué à la base du licenciement d’une travailleuse de l’Horeca, cette réorganisation étant justifiée pour des motifs économiques liés à une diminution du chiffre d’affaires et à un manque de travail. Le tribunal rappelle que, dans le cadre de la C.C.T. n° 109, il n’effectue pas un contrôle d’opportunité.

Les faits

Une employée d’hôtel est licenciée moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Elle prestait comme serveuse, son contrat prévoyant cependant qu’elle devrait, selon les nécessités de l’entreprise, accomplir d’autres tâches accessoires ou connexes à ses attributions principales.

Le licenciement est motivé par une réorganisation de l’équipe du travail. Les motifs concrets sont demandés et la société précise que la réorganisation de l’équipe est due à des raisons économiques faisant suite à une baisse d’activité et un manque de travail. Des informations complémentaires sont demandées quant à la réorganisation vantée. La société ne répond pas immédiatement. Suite à des précisions données par l’employée quant au volume de travail, elle fait valoir qu’elle avait effectivement eu à un moment donné une augmentation tout à fait occasionnelle mais que celle-ci n’avait pas duré, une baisse de travail considérable devant être constatée.

L’employée saisit le tribunal du travail aux fins d’obtenir une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable. Dans le cadre de l’instruction de la cause, une comparution personnelle des parties a eu lieu. Dans le cadre de celle-ci, la société a été représentée par sa directrice, celle-ci étant cependant entrée en fonction après le licenciement.

Les parties reviennent vers le tribunal afin qu’il tranche le fond.

Position des parties

Pour la demanderesse, les motifs sont fallacieux.

Elle fait valoir que la société travaille avec du personnel engagé à durée déterminée et que, si ceci n’était pas le cas, le personnel bénéficiant d’un contrat à durée indéterminée garderait son poste. Elle considère également que le paiement de l’indemnité compensatoire de préavis (douze semaines) indique que la situation financière de la société n’est pas mauvaise. Elle dépose encore des offres d’emploi datant de cinq mois après le licenciement, offres en vue d’occuper la même fonction et pour la même durée qu’elle.

Elle plaide qu’en réalité, il s’agit d’un licenciement représailles, vu qu’elle avait sollicité une modification d’horaire qui n’a pas été acceptée, ainsi que d’autres adaptations (prestation de moins de dimanches, vu qu’elle avait la charge d’enfants).

Pour la société, il y a un seul motif, qui est la réorganisation de ses équipes nécessitée par les mauvais résultats économiques. La baisse des chiffres est démontrée par des documents comptables, et notamment celle du bar-restaurant où l’intéressée était affectée.

Elle plaide avoir dû, en conséquence, réduire ses coûts salariaux.

Elle réfute encore des arguments de fait quant à la possibilité de remplir l’hôtel lors de grands événements régionaux.

Sur le maintien en place de travailleurs à durée déterminée, la société considère que ceci est dû à leur polyvalence (ce qui n’était pas le cas de la demanderesse).

Enfin, elle expose avoir payé l’indemnité plutôt que demandé de prester un préavis, vu le risque de suspension de celui-ci en cas de périodes d’incapacité et conteste toute manœuvre de représailles.

La décision du tribunal

Après un rappel des règles principales sur la question, le tribunal analyse la situation en fait.

Ayant constaté la diminution des « ventes » à raison de 10% par rapport à l’année précédente, le tribunal estime que, face à une baisse de rentrées, un employeur normal et raisonnable peut procéder au licenciement de travailleurs et qu’il lui appartient alors de déterminer lesquels il licencie.

Pour ce qui est du maintien en place de travailleurs à durée déterminée ou du réengagement d’une travailleuse qui avait démissionné, il conclut avec l’employeur que le motif est la polyvalence de ceux-ci ou la possession de compétences particulières (ainsi le travail en cuisine).

Le tribunal souligne que, dans le secteur de l’Horeca, les besoins peuvent très vite fluctuer en nombre et varier en termes de compétences. Il distingue également le secteur de l’hôtellerie de celui de la restauration, l’activité des deux n’allant pas nécessairement de pair.

Sur la rupture, il rappelle que l’employeur est libre de faire prester le préavis ou de payer l’indemnité compensatoire de préavis et considère que le choix de l’employeur est en l’espèce justifié.

Il appuie également la position de l’employeur en ce qui concerne la fréquentation de la clientèle. Celle-ci peut être fluctuante, ce qui ne garantit pas des rentrées constantes.

Enfin, sur le motif de représailles, il rappelle qu’il appartient à la demanderesse d’apporter la preuve de ce qu’elle avance. Or, ses allégations ne sont nullement confortées par d’autres éléments, celle-ci se bornant à affirmer qu’elles avaient un caractère légitime. Le lien avec le licenciement n’est nullement établi.

Il n’est dès lors pas fait droit à la demande.

Intérêt de la décision

Ce jugement aborde la question du motif du licenciement dans le cadre de la C.C.T. n° 109, dans l’hypothèse où sont uniquement invoquées les nécessités de l’entreprise.

Même si le contrôle judiciaire est un contrôle marginal, le tribunal reprend l’ensemble des points de l’argumentation de la partie demanderesse et, en parallèle, les objections de l’employeur défendeur.

L’examen du motif passe, en premier lieu, par le constat des chiffres de « ventes », avec un comparatif sur l’année précédant le licenciement. L’intéressée a été licenciée fin décembre 2018 et seule est prise en compte l’année 2017. Les chiffres font apparaître une diminution de 10% d’une année sur l’autre et est retenu ici essentiellement le poste relatif au bar-restaurant, étant la division de l’entreprise où elle était occupée.

L’on notera que le tribunal n’a pas retenu que l’employeur pouvait commettre une faute contractuelle en privilégiant le personnel engagé à durée déterminée par rapport à celui bénéficiant d’un contrat à durée indéterminée, dans la mesure où l’examen des compétences, et notamment de la polyvalence, faisait apparaître le bien-fondé de ce type d’engagement.

Il a également rappelé qu’il effectue un contrôle marginal, qui n’est pas un contrôle d’opportunité. L’on peut, sur la question, renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 24 février 2020 (C. trav. Bruxelles, 24 février 2020, R.G. 2017/AB/592), qui a retenu que seul le caractère manifestement déraisonnable du licenciement peut être contrôlé par le juge et non l’opportunité de la gestion de l’employeur. En l’espèce, les difficultés économiques et financières rencontrées par la société justifiaient que celle-ci repense sa stratégie commerciale et l’adapte aux besoins résultant de l’évolution de l’ensemble même du secteur Horeca à Bruxelles. Dès lors, le licenciement du travailleur, occupé en qualité de commis de bar, n’était ni manifestement déraisonnable ni abusif.

Sur le plan de la preuve, il semble qu’aient été déposés en l’espèce des documents fiables. Cette question est cruciale et, à cet égard, la Cour du travail de Liège a rendu un arrêt le 12 février 2020 (C. trav. Liège, div. Liège, 12 février 2020, R.G. 2018/AL/781 – précédemment commenté), où elle a considéré que, lorsque l’employeur invoque un des trois motifs visés par l’article 8 de la C.C.T. n°109 pour justifier un licenciement, la cour doit exercer un contrôle strict de la réalité de ce motif (au contraire du contrôle de proportionnalité, qui est marginal). En l’espèce, l’employeur invoquait les nécessités de fonctionnement de l’entreprise en se basant sur une étude unilatérale qui n’était en réalité que le soutien méthodologique de son choix mais ne justifiait pas de la nécessité de le poser. Son argumentation était très générale et théorique, et ne se rattachait aucunement à des données concrètes de l’entreprise, ni à aucune comparaison référenciée, alors que la travailleuse soulignait et démontrait sur la base des pièces produites que le contexte économique de l’entreprise était particulièrement positif au regard des chiffres et des rapports de gestion.

Enfin, quant au libellé des motifs concrets, celui-ci doit, comme on le sait, être suffisant pour que le travailleur puisse comprendre les motifs du licenciement et juger de l’opportunité d’introduire une procédure en justice. En l’occurrence, sont invoquées non seulement une réorganisation, mais également des précisions quant à celle-ci, étant que cette réorganisation touchait l’équipe de travail où la demanderesse était occupée, et ce pour des raisons économiques dues à une baisse d’activité et un manque de travail.

Relevons à cet égard les exigences de précision retenues en jurisprudence. Sur la question, l’on peut encore renvoyer à un jugement du Tribunal du travail de Liège (division Liège) du 18 mai 2021 (Trib. trav. Liège, div. Liège, 18 mai 2021, R.G. 19/3.392/A) : les raisons financières et difficultés économiques vantées devant le juge, mais non citées dans la lettre de rupture, ne peuvent se déduire du seul terme « restructuration » mentionné, de manière abstraite et théorique, dans celle-ci et sur le C4 remis au travailleur, qui ne peut ainsi se faire une idée suffisamment précise du motif de son licenciement.


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