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Ressortissants de pays tiers et droit à l’égalité de traitement

Commentaire de C.J.U.E. (Gr. Ch.), 2 septembre 2021, Aff. n° C-350/20 (O.D. e.a. c/ ISTITUTO NAZIONALE DELLA PREVIDENZA SOCIALE), EU:C:2021:659

Mis en ligne le lundi 31 janvier 2022


Cour de Justice de l’Union européenne (Grande Chambre), 2 septembre 2021, Aff. n° C-350/20 (O.D. e.a. c/ ISTITUTO NAZIONALE DELLA PREVIDENZA SOCIALE), EU:C:2021:659

Terra Laboris

Dans un arrêt rendu en Grande Chambre le 2 septembre 2021, la Cour de Justice confirme le droit pour les ressortissants des pays tiers titulaires d’un permis unique de bénéficier des mêmes prestations de sécurité sociale que les résidents de longue durée. Elle conclut à la non-conformité de la législation italienne au droit de l’Union.

Les faits

Des ressortissants de pays tiers en séjour légal en Italie, titulaires d’un permis unique de travail, se sont vu refuser l’allocation de naissance au motif qu’ils ne sont pas titulaires du statut de résident de longue durée. Les recours introduits ont abouti devant les juridictions de fond, celles-ci appliquant le principe d’égalité de traitement énoncé à l’article 12, § 1er, sous e), de la Directive n° 2011/98 (Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un Etat membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un Etat membre).

La Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) a été saisie de plusieurs pourvois introduits contre des arrêts de cours d’appel et a conclu à la violation de plusieurs dispositions de la Constitution lus en combinaison avec les articles 20, 21, 24, 33 et 34 de la Charte. Elle a saisi la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle) de questions de constitutionnalité de la loi transposant la Directive n° 2011/98, la loi italienne subordonnant l’octroi de l’allocation de naissance aux ressortissants de pays tiers à la condition d’être titulaires du statut de résident de longue durée.

La Cour constitutionnelle a été interrogée par la Cour de cassation non seulement sur l’allocation de naissance mais également sur l’allocation de maternité. Elle a saisi la Cour de Justice

La Cour constitutionnelle expose qu’elle est compétente pour connaître de la contrariété éventuelle de dispositions nationales avec les droits et les principes de la Charte des droits fondamentaux. Elle considère que les droits et les principes constitutionnels mentionnés par la Cour de cassation et ceux consacrés par la Charte (ainsi que ceux issus du droit dérivé) sont indissociablement liés, qu’ils se complètent et sont en harmonie et que l’interdiction des discriminations arbitraires et la protection de la maternité et de l’enfance (garanties contenues dans la Constitution italienne) doivent être interprétées à la lumière des indications contraignantes du droit de l’Union. Elle souligne que, lorsque le régime de permis unique a été institué, la République italienne n’a pas fait expressément usage de la faculté d’introduire des dérogations, tel que prévu à la Directive n° 2011/98.

Pour ce qui est de l’allocation de naissance, elle souligne que celle-ci présente des aspects qui n’ont pas été soumis à la Cour dans le cadre de questions précédentes relatives aux prestations familiales. Si, en Italie, l’octroi de l’allocation est lié à des critères objectifs définis par la loi et si elle figure parmi les prestations de sécurité sociale, elle a une pluralité de fonctions qui fait qu’elle ne peut pas nécessairement être qualifiée de prestation familiale.

En effet, il s’agit d’une prime qui vise à encourager la natalité. Elle tendrait également à soutenir les ménages en situation économique précaire et à assurer aux mineurs les soins essentiels. Elle est actuellement comprise comme une mesure de prévoyance universelle, son montant ayant évolué et étant modulé en fonction de divers seuils de revenus.

Pour l’allocation de maternité, la Cour constitutionnelle demande si elle doit être incluse dans les prestations garanties à l’article 34 de la Charte, et ce à la lumière du droit dérivé.

Elle interroge dès lors la Cour de Justice sur l’interprétation des dispositions du droit européen qui ont une incidence sur la réponse qu’elle doit donner aux questions posées par la Cour de cassation.

La question préjudicielle

Celle-ci porte sur le point de savoir si l’article 34 de la Charte inclut, dans son champ d’application, l’allocation de naissance et l’allocation de maternité en vertu de l’article 3, § 1er, sous b) et j), du Règlement n° 883/2004 (celui-ci étant actuellement le règlement visé à l’article 12, § 1er, sous e), de la Directive n° 2011/98) et, en conséquence, si le droit de l’Union s’oppose à une législation nationale qui n’étend pas aux étrangers titulaires d’un permis unique le bénéfice de ces mesures de prévoyance alors qu’elles sont accordées aux étrangers résidents de longue durée.

La procédure devant la Cour constitutionnelle

La Cour constitutionnelle a demandé le bénéfice de la procédure accélérée, vu l’ampleur du contentieux devant les juridictions italiennes et le risque de voir surgir de nombreux renvois préjudiciels devant la Cour. La Cour de Justice a considéré que cette situation n’est pas susceptible en tant que telle de constituer une circonstance exceptionnelle de nature à justifier le recours à une procédure accélérée. N’est pas davantage de nature à le faire le besoin d’unifier la jurisprudence nationale divergente.

L’affaire a dès lors été renvoyée devant la Grande chambre.

La décision de la Cour de Justice

La Cour tranche une question de recevabilité, celle-ci se posant pour l’allocation de maternité, et répond par l’affirmative : la question relative à cette allocation est recevable.

Sur le fond, elle rappelle que l’article 12, § 1er, sous e), de la Directive n° 2011/98 concrétise le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale prévu à l’article 34, §§ 1er et 2, de la Charte. Cet article 12 s’applique aux ressortissants de pays tiers admis dans un Etat membre aux fins d’y travailler conformément au droit de l’Union ou au droit national, mais également à ceux qui y sont admis à d’autres fins que le travail conformément au droit de l’Union ou au droit national, qui sont autorisés à travailler et qui sont titulaires d’un titre de séjour conformément au Règlement n° 1030/2002.

L’égalité de traitement n’est dès lors pas limitée aux titulaires d’un permis unique de travail mais vaut également pour les titulaires d’un permis de séjour à d’autres fins que l’emploi et qui sont autorisés à travailler dans l’Etat membre d’accueil. Elle vaut par ailleurs pour les prestations de sécurité sociale au sens du Règlement n° 883/2004. Il faut dès lors vérifier si l’allocation de naissance et l’allocation de maternité constituent de telles prestations.

La distinction doit se faire sur la base des éléments constitutifs de chacune (finalité et conditions d’octroi notamment) et non sur la base de la qualification par la législation nationale. Est une prestation de sécurité sociale au sens du droit de l’Union celle qui est octroyée en-dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, dont les bénéficiaires sont identifiés sur la base d’une situation légalement définie et qui, par ailleurs, se rapporte à l’un des risques énumérés expressément à l’article 3, § 1er, du Règlement n° 883/2004.

La Cour insiste sur la définition des « prestations familiales » au sens du Règlement, étant qu’il s’agit de toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille, à l’exclusion des avances sur pensions alimentaires et des allocations spéciales de naissance ou d’adoption visées à l’Annexe 1 du Règlement.

Examinant les conditions d’octroi de l’allocation de naissance italienne, la Cour constate que cette prestation est accordée automatiquement aux ménages répondant à certains critères objectifs légalement définis, en-dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels du demandeur. Elle pointe notamment la circonstance qu’actuellement, l’allocation de naissance est octroyée indépendamment du niveau de ressources du ménage, même si le montant effectif est calculé en substance sur la base de cet indicateur. Par ailleurs, il s’agit d’une somme d’argent versée mensuellement et qui vise notamment à contribuer aux frais résultant de la naissance ou de l’adoption. C’est une prestation en espèces qui va alléger les charges découlant de l’entretien d’un enfant nouvellement né ou adopté. Il s’agit donc d’une prestation familiale et son double caractère (contribution aux frais et prime d’encouragement à la natalité) est sans incidence.

Par ailleurs, la Cour constate que l’allocation de maternité est octroyée pour tout enfant né ou adopté ou pour tout mineur placé en vue de son adoption. Elle est destinée aux femmes résidant en Italie, ressortissantes italiennes ou bénéficiaires de la citoyenneté européenne, ou titulaires du statut de résident de longue durée (à la condition de ne pas bénéficier d’une indemnité de maternité liée à une relation de travail et que les ressources du ménage ne soient pas supérieures à un certain montant).

Cette allocation de maternité doit également être comprise comme une prestation de sécurité sociale, au même titre que l’allocation de naissance. Elles font dès lors toutes deux partie des prestations relevant des branches de la sécurité sociale pour lesquelles les ressortissants de pays tiers visés à l’article 3, § 1er, sous b) et c), de la Directive n° 2011/98 bénéficient du droit à l’égalité de traitement prévu par l’article 12.

Elle souligne enfin que la République italienne n’a pas fait usage de la faculté de limiter l’égalité de traitement, ainsi que celui-ci est autorisé à l’article 12, § 2, sous b), de la Directive. Elle conclut dès lors à la non-conformité de la législation nationale à l’article 12, § 1er, sous e), de la Directive. Cette disposition s’oppose à une réglementation nationale qui exclut du bénéfice des deux allocations les ressortissants de pays tiers visés à l’article 3, § 1er, sous b) et c), de la Directive n° 2011/98.

Intérêt de la décision

La Cour de Justice est intervenue à diverses reprises à propos de l’octroi des prestations de sécurité sociale aux ressortissants de pays tiers.

Relevons tout d’abord un arrêt du 21 juin 2017 (C.J.U.E., 21 juin 2017, Aff. n° C-449/16, DEL ROSARIO MARTINEZ SILVA c/ ISTITUTO NAZIONALE DELLA PREVIDENZA SOCIALE et COMUNE DI GENOVA, EU:C:2017:485), dans lequel la Cour de Justice rappelle que les Etats membres peuvent, dans les conditions fixées par le Règlement, déroger au principe de l’égalité de traitement pour les ressortissants des pays tiers dans les conditions qu’il fixe. Dans la mesure où il n’a pas été fait usage de cette possibilité, les prestations de sécurité sociale doivent être accordées à ceux-ci. Il s’agissait également d’une situation où l’intéressée n’avait pas de permis de séjour de résident de longue durée. La Cour a rappelé qu’en vertu de la Directive n° 2011/98 (article 12, § 2, sous b)), les Etats peuvent limiter les droits conférés par cette Directive aux travailleurs issus de pays tiers sauf si ceux-ci occupent un emploi (ou l’ont occupé) pendant une période minimale de six mois et sont inscrits comme chômeurs

Par ailleurs, dans un arrêt du 25 novembre 2020 (C.J.U.E., 25 novembre 2020, Aff. n° C-303/19 (ISTITUTO NAZIONALE DELLA PREVIDENZA SOCIALE (INPS) c/ VR), EU:C:2020:958), la Cour a statué dans une autre affaire italienne à propos du refus de l’allocation « en faveur des ménages ». Elle a conclu qu’il s’agit d’une prestation de sécurité sociale qui relève du champ d’application de l’article 11, § 1er, sous d), de la Directive (qui inclut, dans le droit à l’égalité de traitement, les matières de la sécurité sociale, de l’aide sociale et de la protection sociale telles que définies par la législation nationale). Elle a encore précisé que ne constitue pas une justification satisfaisante le fait que ces personnes seraient dans une situation différente en raison de leurs liens respectifs avec l’Etat membre, cette justification étant contraire à l’objectif de la Directive, qui impose une égalité de traitement dans le domaine de la sécurité sociale.

La spécificité de l’arrêt du 2 septembre 2021 porte sur deux autres allocations, étant l’allocation de naissance et l’allocation de maternité, dont le juge national avait relevé qu’elles remplissaient toutes les conditions exigées pour recevoir cette qualification.


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