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Abandon de poste et motif grave

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 14 juin 2021, R.G. 20/481/A

Mis en ligne le lundi 31 janvier 2022


Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), 14 juin 2021, R.G. 20/481/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 14 juin 2021, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), après avoir rappelé que les retenues sur rémunération sont limitativement énumérées par l’article 23 de la loi du 12 avril 1965, examine les conditions d’un abandon de poste sous l’angle d’un motif grave.

Les faits

Un chauffeur de poids lourds, au service d’une société commerciale, se voit notifier un avertissement au motif d’absence injustifiée. L’employeur y signale que la journée correspondante sera déduite de son salaire. La chose se représente ultérieurement à quatre reprises. Il est en fin de compte licencié pour « abandon de poste », au motif qu’il avait « rompu volontairement et unilatéralement le contrat de travail, sans respecter la période de préavis légale ». La société considère en conséquence qu’elle n’est tenue ni à la remise d’un préavis ni au paiement de l’indemnité correspondante.

Le jour du licenciement, le travailleur envoie un certificat médical le couvrant pour une période de trois semaines. Son organisation syndicale intervient ultérieurement, exposant que celui-ci avait tenté d’informer l’employeur la veille (un dimanche), étant souffrant, et que le certificat a été remis en mains propres et dans le délai légal le lendemain. Le syndicat conteste également l’abandon d’emploi. Une indemnité compensatoire de préavis de huit semaines est réclamée.

Aucune suite n’est réservée à cette demande. Un poste supplémentaire est ajouté à la réclamation du travailleur, étant le remboursement d’un montant de 300 euros retenu par l’employeur sur la rémunération antérieure.

Une procédure est engagée devant le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), vu l’absence de suite réservée par la société aux demandes de l’organisation syndicale.

La décision du tribunal

Le tribunal examine en premier lieu la question de la retenue sur la rémunération, rappelant l’article 20, 3°, de la loi du 3 juillet 1978, qui fait obligation à l’employeur de payer la rémunération aux conditions, au temps et au lieu convenus. Il rappelle également que la rémunération constitue la contrepartie du travail fourni. L’exception d’inexécution (article 1184 du Code civil) peut être invoquée par l’employeur, qui est fondé à ne pas payer la rémunération en l’absence d’exécution des prestations du travailleur, ainsi notamment en cas de grève, de détention préventive ou d’absence injustifiée (le jugement renvoyant à E. PIRET, « Obligations propres à l’employeur », Guide social permanent, Partie I – Livre I, Titre III, Chapitre II, 3-10, p. 803 – m-à-j. 2009).

Le tribunal donne ensuite la liste des retenues pouvant être effectuées sur la rémunération du travailleur et rappelle qu’en vertu de l’article 163, 1°, c), du Code pénal social, le fait pour l’employeur d’effectuer des retenues sur la rémunération sans respecter les conditions de l’article 23, 3°, de la loi du 12 avril 1965 constitue une infraction pénale.

En l’espèce, la somme retenue l’a été au motif de « perte de rentabilité pour la société de ne pas avoir démarré sans prévenir ».

Cette retenue est illégale. En cas d’inexécution contractuelle, la période correspondante doit être expressément mentionnée sur les fiches de rémunération, et ce afin de permettre au travailleur de vérifier les montants soustraits. En outre, la rémunération qui n’est pas proméritée doit être déterminée avec précision et ne peut être fixée forfaitairement, sous peine de devoir être considérée comme des dommages et intérêts.

En l’espèce, le montant forfaitaire est retenu par l’employeur au titre d’indemnisation pour un prétendu préjudice, dont le tribunal fait grief à la société de ne pas établir la réalité et encore moins le montant. Il y a violation de l’article 23.

Des arriérés de rémunération sont également réclamés à d’autres chefs et le tribunal ordonne sur cette question la réouverture des débats, aux fins d’être plus amplement éclairé.

Reste la question de l’abandon de poste, sur lequel le tribunal considère qu’il est une modalité du licenciement pour motif grave. Il en vérifie dès lors la légalité eu égard aux conditions de l’article 35. Il renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 11 avril 2011 (C. trav. Mons, 11 avril 2011, R.G. 2008/AM/21.401), qui a jugé que, confronté à un éventuel abandon de poste, l’employeur doit, dans un premier temps, s’assurer de la réalité de celui-ci et des raisons du manquement avant de pouvoir qualifier le comportement du travailleur concerné de motif grave.

Pour le tribunal, le travailleur doit être mis en demeure de justifier son absence dans les plus brefs délais et il doit également être averti que toute prolongation de l’absence sans justification sera considérée comme un motif grave. Il s’agit d’une mesure de précaution élémentaire avant d’appliquer la sanction la plus sévère qui soit dans le cadre des relations de travail (8e feuillet).

Dans un arrêt du 19 novembre 2012 (C. trav. Mons, 19 novembre 2012, R.G. 2011/AM/463, qui renvoie à C. trav. Liège, 4 novembre 2002, Ors., janvier 2003, p. 26), la Cour du travail de Mons a poursuivi le raisonnement : ce n’est qu’à défaut de réaction du travailleur que l’employeur peut procéder au licenciement pour motif grave et fonder celui-ci à la fois sur l’absence injustifiée et sur l’insubordination, qui a consisté à ne pas réagir à la demande de justification.

Pour le tribunal, il s’agit en l’espèce d’un licenciement pour motif grave, même si le terme ne figure pas expressément dans la lettre de rupture.

L’abandon de poste n’est pas établi, dans la mesure où, le premier jour de l’incapacité de travail, celle-ci a été dûment justifiée. Le tribunal fait encore grief à la société de ne pas produire de règlement de travail qui contiendrait des modalités particulières à respecter en cas d’incapacité de travail. Aussi, les conditions de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 n’étant pas remplies, le tribunal fait droit à la demande d’indemnité compensatoire de préavis.

Intérêt de la décision

Ce jugement rendu par le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons) rappelle que les retenues sur rémunération sont limitativement énumérées à l’article 23 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération et que le Code pénal social a érigé en infraction pénale le fait pour l’employeur d’effectuer des retenues sur la rémunération sans respecter ces conditions. La question se pose plus particulièrement pour les indemnités et dédommagements dus en exécution de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978.

En l’espèce, le procédé était pour le moins cavalier, l’employeur retenant un montant forfaitaire pour « perte de rentabilité ». Une telle position ne peut bien sûr qu’être condamnée.

Une autre particularité est l’analyse de l’abandon de poste sous l’angle du motif grave. Cette qualification pourrait être sujette à caution, dans la mesure où la société avait constaté que le travailleur avait « rompu volontairement et unilatéralement le contrat de travail », étant qu’elle lui imputait – à lui – la rupture.

Sur la question de savoir si la lettre de licenciement notifié sur pied de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 doit reprendre le terme « motif grave », l’on peut renvoyer très utilement à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 19 mai 2021 (C. trav. Bruxelles, 19 mai 2021, R.G. 2019/AB/24 – précédemment commenté). La cour du travail y a longuement examiné les mentions légales requises par l’article 35 et, parmi celles-ci, ne figure pas l’exigence de la mention de « motif grave ».


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