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La lettre de licenciement sur pied de l’article 35 L.C.T. doit-elle reprendre le terme « motif grave » ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 mai 2021, R.G. 2019/AB/24

Mis en ligne le mardi 11 janvier 2022


Cour du travail de Bruxelles, 19 mai 2021, R.G. 2019/AB/24

Terra Laboris

Dans un arrêt du 19 mai 2021, la Cour du travail de Bruxelles a jugé que l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ne contient pas l’exigence de la mention « motif grave » dans la lettre de licenciement, les exigences de précision requises concernant le motif lui-même.

Les faits

Un ouvrier a été engagé en mai 2008 par une société d’ambulances. L’engagement est verbal.

Il a reçu un avertissement en novembre 2016 pour des propos qualifiés d’« intolérables » tenus sur Facebook à propos de son supérieur hiérarchique. Un deuxième avertissement, qualifié de « dernier », lui a été adressé quelques jours plus tard, suite à un refus de travail.

Des échanges interviennent au sein de l’entreprise au sujet des propos tenus.

En fin de compte, l’intéressé est licencié sans préavis ni indemnité.

La lettre de licenciement lui reproche d’avoir utilisé un langage grossier ainsi que des menaces et d’avoir montré un manque de respect vis-à-vis de son responsable. Le courrier se termine par les termes suivants : « Considérez les lettres recommandées que vous avez déjà reçu, nous estimons que tous ces manquements sont d’une nature telle qu’ils rendent immédiatement et définitivement impossible toute collaboration ultérieure entre vous et l’employeur et qu’ils justifient une rupture immédiate du contrat sans préavis ni indemnités (…) » (sic.)

Suite à cette rupture, une indemnité compensatoire de préavis est réclamée par le conseil du travailleur et les motifs concrets du licenciement sont demandés, conformément à la C.C.T. n° 109.

Dans son courrier en réponse, la société précise que « dans la lettre de licenciement portant résiliation pour motifs graves et avec effet immédiat du contrat de travail que nous avions conclu, nous vous avons en effet exposé très concrètement les raisons et motifs qui étaient à l’origine de votre licenciement. Par la présente, nous ne pouvons donc que reconfirmer les raisons et motifs qui ont été exposés dans cette lettre ».

Le travailleur introduit une procédure devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui statue par jugement du 11 octobre 2018. Il condamne la société à payer l’indemnité compensatoire de préavis ainsi qu’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.

Appel est interjeté par la société.

La décision de la cour

La cour reprend longuement les règles qui gouvernent le licenciement pour motif grave, étant les règles habituelles énoncées à l’article 35 L.C.T. Elle précise que les motifs graves doivent, selon la Cour de cassation, être exprimés dans la lettre de congé de manière d’une part à permettre à la partie qui a reçu le congé de connaître avec exactitude les faits qui lui sont reprochés et d’autre part au juge d’apprécier la gravité du motif allégué dans la lettre et de vérifier s’il s’identifie avec ceux invoqués devant lui. Référence est faite à plusieurs arrêts, dont celui du 24 mars 1980 (Cass., 24 mars 1980, Pas., 1980, I, p. 900)). Elle précise encore que l’écrit peut être complété par une référence à d’autres éléments, tout en maintenant la condition fondamentale que cet ensemble permette d’apprécier avec certitude et précision les motifs justifiant le congé.

Elle reprend un arrêt du 16 décembre 1970 (Cass., 16 décembre 1970, Pas., 1971, I, p. 369), où le pourvoi reprochait à la sentence rendue par le Conseil de prud’hommes d’appel de Mons d’avoir admis comme suffisamment précise une lettre de licenciement qui faisait référence « aux événements de ce matin ». Pour la Cour de cassation, cette lettre se réfère sans ambiguïté à une enquête de police qui a mis en lumière les faits imputés à la travailleuse, cette référence permettant au juge d’apprécier la réalité et la gravité des motifs invoqués. Renvoi est fait ici à une étude de jurisprudence (B. PATERNOSTRE, Recueil de jurisprudence. Le motif grave, Wolters Kluwer, 2014, pp. 192 et s.).

La cour souligne que la jurisprudence appréhende au cas par cas l’exigence de précision du motif grave, étant de déterminer s’il a été décrit d’une manière suffisamment précise.

En l’espèce, la lettre notifie au travailleur son licenciement sans préavis ni indemnité.

S’ajoute un point supplémentaire, étant que la lettre fait également référence à un « avertissement » en début de lettre. Pour la cour, il s’agit d’une erreur matérielle qui n’en modifie pas la portée et l’absence de mention expresse du terme « motif grave » n’est pas de nature à invalider le licenciement pour motif grave, l’article 35 L.C.T. n’exigeant pas que cette mention figure expressément dans la lettre pour qu’un employeur puisse licencier un travailleur sur la base de cette disposition sans préavis ni indemnité.

Pour la cour, le motif est identifié : il s’agit d’avoir contacté à une date déterminée son responsable d’une manière intolérable en utilisant un langage grossier et des menaces et d’avoir montré un manque de respect envers un responsable régional ainsi qu’envers ses collègues sur le terrain. Si le second grief est peu précis (étant de savoir s’il s’agit d’un autre grief survenu à un autre moment ou, au contraire, une répétition du motif exprimé au titre du grief précédent), il ressort des éléments du dossier que la lettre de congé est suffisamment précise pour permettre au travailleur de connaître le motif reproché et à la cour d’apprécier la gravité du motif allégué dans celle-ci et de vérifier s’il s’identifie avec celui invoqué devant elle.

Elle examine deux mails produits par la société illustrant le grief identifié dans le temps. Une faute est retenue, mais elle n’a pas, pour la cour, le caractère d’un motif grave au sens légal, et ce même si existent des avertissements antérieurs auxquels il est fait référence dans la lettre de congé. Ceux-ci se situent pour l’un d’entre eux six mois avant le licenciement et beaucoup plus tôt pour deux autres.

La cour examine, à l’occasion de cette appréciation des fautes commises, des attestations ne respectant pas les formes prescrites par l’article 961/2 du Code judiciaire. Elle rappelle que cette disposition a été introduite dans le Code judiciaire par une loi du 16 juillet 2012, dont le but est d’éviter la lourdeur et la lenteur excessives des procédures judiciaires avec convocation de témoins. Il est admis quant à la valeur probante de ces attestations qu’il appartient au juge d’apprécier souverainement celle-ci en tenant compte de tous les éléments utiles à leur crédibilité. Les formalités prévues par la disposition n’étant pas prescrites à peine de nullité, l’absence d’une mention requise n’empêche pas le juge de recevoir ces attestations, pourvu qu’il indique les raisons pour lesquelles il les estime malgré tout crédibles alors qu’elles ne remplissent pas toutes les conditions posées. La cour rappelle également que ce principe se retrouve désormais aux articles 8.4, alinéa 4, et 8.5 du Code civil.

Elle relève en l’espèce que ces attestations sont dactylographiées et qu’en outre les formes prescrites ne sont pas respectées (absence de carte d’identité et de précision relative au domicile). Les faits qu’elles relatent ne sont dès lors nullement prouvés et la cour décide de ne pas en tenir compte dans l’appréciation de la gravité du motif.

Enfin, sur le licenciement manifestement déraisonnable, elle rejette la demande de sanction civile de deux semaines de rémunération, vu l’article 2, § 4, de la C.C.T. n° 109, qui dispose qu’elle ne s’applique pas lorsque l’article 35 L.C.T. est invoqué, et ce puisqu’il est déjà exigé de l’employeur qu’il énonce avec précision les motifs justifiant sa décision. Quant au fond, la cour conclut que le licenciement n’est pas manifestement déraisonnable, retenant une faute du travailleur dans les termes utilisés envers son responsable.

Intérêt de la décision

C’est sans conteste la question de la mention « licenciement pour motif grave » qui doit être relevée dans cette décision.

La cour conclut que, si la loi exige pour ce mode de licenciement un certain formalisme, cette mention n’est pas exigée par l’article 35 L.C.T. Le licenciement a, en l’espèce ce caractère, l’employeur ayant d’une part précisé qu’il licenciait sans préavis et sans indemnité et d’autre part invoqué de manière suffisamment précise les motifs à l’appui de sa décision (en tout cas un des motifs).

Si cette conclusion peut surprendre, elle est néanmoins conforme aux exigences de précision figurant à la disposition légale, les débats relatifs aux mentions que doit contenir la lettre recommandée concernant essentiellement la précision des motifs eux-mêmes (et non l’énonciation de leur nature de « motif grave »).

La cour a rappelé les interprétations différentes faites au niveau des juges du fond quant au respect de cette exigence de précision, certaines décisions se montrant strictes alors que d’autres étant plus souples lorsqu’il s’agit d’apprécier la description des motifs.

Relevons qu’il a ainsi été jugé par la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 28 mars 2017, R.G. 2016/AM/92) qu’une énonciation de griefs ne comportant aucune indication de date ni d’identité des personnes concernées par les manquements constatés ne permet pas de situer, même approximativement, les faits dans le temps et dans l’espace ni d’en apprécier la gravité, tant pour le juge que pour le destinataire de la notification, laquelle ne satisfait dès lors pas à l’exigence de précision des motifs. Le congé est, en conséquence, irrégulier.

La même cour avait précédemment considéré que s’il n’est pas nécessaire que la notification mentionne le lieu où s’est produit l’événement allégué, ni qu’elle précise la date à laquelle il s’est produit ou a été porté à la connaissance de l’auteur du congé, il reste que les faits doivent être qualifiés de telle manière que le travailleur puisse connaître ce qui lui est reproché sans équivoque possible et soit en mesure de se défendre en justifiant son attitude et/ou en apportant la preuve contraire et que, par ailleurs, le juge puisse vérifier si les faits invoqués présentent le caractère de gravité requis pour justifier la rupture immédiate des relations de travail. Il ne peut être suppléé à l’imprécision de la notification par des témoignages (C. trav. Mons, 12 avril 2016, R.G. 2015/AM/315).

Enfin, pour la Cour du travail de Bruxelles, la précision des motifs imposée à l’auteur de la rupture ne doit pas être portée à un niveau tel qu’elle excéderait le double objectif qui est le sien, étant, d’une part, de permettre à la partie qui se voit notifier un motif grave d’être informée des causes de la rupture et, d’autre part, de mettre le juge à même d’apprécier la réalité de leur gravité ainsi que de vérifier si les motifs invoqués devant lui s’identifient à ceux énoncés dans la notification. Si elle ne peut être réduite à l’énoncé vague d’un comportement général, la description des faits ne doit donc pas rentrer dans les moindres détails, ni comprendre une argumentation complète destinée à les établir et justifier leur gravité, cette double démonstration devant, elle, être apportée dans le cadre du débat judiciaire (C. trav. Bruxelles, 29 septembre 2015, R.G. 2013/AB/983).


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