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Exposition au risque de contracter une maladie professionnelle

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. La Louvière), 6 mai 2021, R.G. 20/637/A

Mis en ligne le mardi 11 janvier 2022


Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière), 6 mai 2021, R.G. 20/637/A

Terra Laboris

Par jugement du 6 mai 2021, le Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière) rappelle la double preuve à charge de la victime qui entend obtenir l’indemnisation d’une maladie professionnelle dans le secteur privé : elle doit prouver être atteinte de la maladie et avoir été exposée au risque professionnel de la contracter. Dès qu’un commencement de preuve est apporté, le tribunal peut ordonner une expertise judiciaire.

Les faits

Un ouvrier introduit une demande de reconnaissance d’une maladie professionnelle (code 1.606.22). FEDRIS refuse de faire droit à la demande, au motif de l’absence d’exposition au risque de la maladie professionnelle pendant toute ou une partie de la période au cours de laquelle l’intéressé a appartenu à l’une des catégories de personnes visées à l’article 2 des lois coordonnées. Un recours est introduit devant le Tribunal du travail du Hainaut (div. La Louvière).

Position des parties devant le tribunal

Pour le demandeur, l’exposition au risque de la maladie professionnelle est établie et il estime que les critères retenus par l’Agence ne lient pas le juge et ne font en outre pas l’unanimité. Pour lui, même si le risque est minime, il constitue bien un risque professionnel au-delà de celui auquel est soumise la population en général. Il sollicite la désignation d’un expert.

FEDRIS s’y oppose, renvoyant à son enquête d’exposition auprès de l’employeur, qui a conclu que le travail n’a pas entraîné l’exposition requise (sur la base du score OCRA). En ce qui concerne le risque professionnel, FEDRIS rappelle que la charge de la preuve incombe à la partie demanderesse et que le constat d’un risque possible, probable, « non exclu » ou, de manière générale, tout doute quant à l’existence de celui-ci doit être assimilé à l’absence de démonstration du risque professionnel requis. Celui-ci n’est nullement établi en l’espèce.

La position du tribunal

Le tribunal fait, en premier lieu, un rappel des principes relatifs à l’indemnisation de la maladie professionnelle en rappelant l’article 32, §§ 1er et 2, des lois coordonnées ainsi que les exigences reprises dans la jurisprudence actuelle.

La définition du risque professionnel ne contient aucune indication de durée minimum voire d’intensité minimum, pas plus qu’elle ne contient de critères de diagnostics médicaux, d’évaluation ou de prévention notamment.

Le tribunal renvoie à des arrêts de la Cour du travail de Mons (dont C. trav. Mons, 27 janvier 2020, R.G. 2019/AM/18). Cette exposition doit être mesurée non par référence à des normes générales mais en considération de chaque cas particulier. Les critères à retenir sont la constitution du travailleur, la sensibilité de son organisme et son état antérieur (avec renvoi également à la jurisprudence de cette cour – dont C. trav. Mons, 27 janvier 2016, R.G. 2015/AM/79). Un rappel est également fait de la jurisprudence de la Cour du travail de Liège. Avec d’abord un bref renvoi à un arrêt du 21 mars 2016 (C. trav. Liège, 21 mars 2016, R.G. 2015/AL/255), selon lequel il faut toujours passer par une appréciation individualisée (les critères proposés par FEDRIS n’ayant qu’une valeur d’avis et ne liant pas le juge, hormis pour le critère relatif au groupe de personnes exposées).

Vient ensuite une longue reprise d’un arrêt de la Cour du travail de Liège du 28 juin 2019 (C. trav. Liège, 28 juin 2019, R.G. 2018/AL/224), qui a jugé que le critère d’exposition doit faire l’objet d’une double approche, à la fois collective (pour que soit vérifié si les critères qu’énonce l’article 32, alinéa 2, se trouvent ou non réunis dans le groupe professionnel concerné) et individuelle (pour que soit appréciée l’incidence qu’a eue sur l’organisme ou le psychisme de la victime en fonction de ses caractéristiques propres l’exposition qu’elle a subie dans l’exercice concret des gestes, mouvements, postures et comportements qu’implique l’accomplissement de sa profession). Cet arrêt consacre la règle de l’individualisation du risque (le tribunal renvoyant également à d’autres décisions de la même cour ainsi que de la Cour du travail de Mons, à savoir C. trav. Liège, 2 décembre 2019, R.G. 2019/AL/70 ; C. trav. Liège, 21 mars 2016, R.G. 2015/AL/255 ; C. trav. Mons, 6 mars 2018, R.G. 2017/AM/137 ; C. trav. Mons, 25 avril 2018, R.G. 2017/AM/215).

Sur le plan de la charge de la preuve, la victime doit prouver (i) qu’elle est atteinte par la maladie professionnelle invoquée et (ii) qu’elle a été exposée au risque de celle-ci. Il y a une présomption irréfragable du lien de causalité entre ces deux éléments.

Le tribunal décide, après avoir étudié les éléments de l’espèce, de désigner un expert, la preuve suffisante à charge de la victime ayant été apportée. Le jugement précise en effet à cet égard que l’expertise judiciaire se justifie dès lors que la partie qui la sollicite produit un commencement de preuve de la maladie ou de l’exposition au risque.

Elle fait un renvoi à une décision de la Cour du travail de Mons du 20 octobre 2014 (C. trav. Mons, 20 octobre 2014, R.G. 2011/AM/244), selon laquelle une demande d’expertise médicale ne peut être refusée au motif que la partie qui la réclame n’apporte pas la preuve formelle d’un fait que cette mesure d’instruction a pour objet d’établir grâce aux éléments médicaux que cette partie se propose de soumettre à l’expert.

Pour le tribunal, cette jurisprudence est transposable à l’établissement de toute maladie professionnelle.

En l’occurrence, il reprend les critères à vérifier selon le code visé, critères qui sont au nombre de trois et parmi lesquels ne figure pas le temps pendant lequel le travailleur maintient ses bras à une hauteur supérieure ou égale au plan des épaules.

Intérêt de la décision

Ce jugement réaffirme le principe actuellement admis de l’individualisation du risque et des critères devant être pris en compte aux fins de pouvoir conclure à l’exposition au risque de contracter la maladie professionnelle.

Relevons que, le même jour, deux autres jugements ont été rendus (Trib. trav. Hainaut, div. La Louvière, 6 mai 2021, R.G. 20/658/A et Trib. trav. Hainaut, div. La Louvière, 6 mai 2021, R.G. 20/612/A).

Les trois décisions reprennent les mêmes principes, que le tribunal adopte, dès lors, de manière catégorique comme devant guider la question de l’exposition au risque professionnel dans cette maladie de la liste.

Ceux-ci doivent valoir pour ce qui est de toutes les hypothèses de l’exposition au risque professionnel, vu la portée générale de l’article 32 des lois coordonnées.

Relevons enfin que la mesure d’instruction ordonnée est, dans chacune des affaires, confiée à un expert différent…


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