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Mise en cause de la responsabilité du secrétariat social : examen de la convention avec l’employeur affilié

Mis en ligne le lundi 10 janvier 2022


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 28 mai 2021, R.G. 19/4.004/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 28 mai 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) conclut à l’absence de faute contractuelle dans le chef d’un secrétariat social, lui étant reprochée une faute dans sa mission d’information et de conseil : pour le tribunal, aucune obligation contractuelle du secrétariat social n’impose à ce dernier de fournir spontanément les informations juridiques personnalisées et liées à la gestion du personnel.

Les faits

Une employée – vendeuse – a signé quatre contrats à durée déterminée successifs, allant du 13 juillet 2016 au 31 décembre 2018 (dont l’un – le dernier – de 11,5 mois). Aucun préavis ne fut donné à l’employée. Le magasin où elle était occupée ferma le 31 janvier 2019. La vendeuse sollicite dès lors le paiement d’une indemnité de rupture, dont l’employeur ne conteste pas le principe mais uniquement le montant.

Une procédure est introduite et, dans le cadre de celle-ci, l’employeur appelle le secrétariat social en intervention forcée, sollicitant qu’il la garantisse de toutes sommes dues à l’intéressée. Il estime que le secrétariat social a commis une faute (contractuelle et extracontractuelle), qui lui a causé un dommage. Cette faute est intervenue dans le devoir d’information et de conseil du secrétariat social sur les conséquences de la conclusion successive de contrats de travail, alors que le magasin concerné fermait ses portes.

La décision du tribunal

Le tribunal règle en premier lieu la question relative à l’indemnité compensatoire de préavis : en cas de contrats à durée déterminée successifs, dont le dernier est requalifié en contrat à durée indéterminée, il y a rupture irrégulière donnant droit à l’indemnité de préavis (le tribunal renvoyant à Cass., 30 septembre 2013, n° S.12.0142.F). L’employeur est dès lors condamné à payer cette indemnité, à majorer des intérêts au taux légal.

Le tribunal consacre davantage de développements à la responsabilité du secrétariat social. Le secrétariat social est en effet un prestataire de services sociaux, qui, en vertu d’un agrément, perçoit des cotisations sociales de ses affiliés en vue de leur versement aux institutions chargées de la perception des cotisations. Dans ses missions, le secrétariat social a également une obligation d’information et de conseil relative à l’application de la législation sociale. Le tribunal rappelle que les obligations du secrétariat social s’apparentent tantôt à un mandat, tantôt à un contrat de services, ce qui est le cas lorsqu’il prépare les fiches de traitement et les documents sociaux ou lorsqu’il effectue des calculs de rémunération ou de durée de préavis.

Le secrétariat social, qui doit communiquer une information claire et précise à ses affiliés et calculer la rémunération des travailleurs, contracte envers ceux-ci une obligation de moyen, et ce sauf convention contraire (renvoi étant ici fait à C. trav. Mons, 18 décembre 2018, R.G. 2017/AM/906). La référence est dès lors ce qui pourrait être raisonnablement attendu d’un secrétariat social normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances.

Le tribunal rappelle que la responsabilité d’un secrétariat social peut être engagée en cas de mauvais conseil (renvoyant à C. trav. Liège, 6 mars 1997, J.T.T., 1998, p. 319) et que selon R. CAPART (R. CAPART, « La responsabilité civile et pénale du secrétariat social », J.-F. NEVEN et S. GILSON, La sécurité sociale des travailleurs salariés. Assujettissement, cotisations, sanctions, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 575), l’obligation d’information et de conseil n’est pas une obligation générale, mais constitue le corollaire d’un engagement contractuel, qui est d’informer correctement et de conseiller l’affilié lorsqu’apparaît une difficulté (ou qu’elle pourrait apparaître) à l’occasion de l’accomplissement du mandat contractuel ou des services dont il est chargé.

La faute est de nature contractuelle, étant une méconnaissance ou une violation d’une obligation découlant du contrat. En l’occurrence, le contrat qui a été signé est un contrat d’assistance socio-juridique par lequel le secrétariat social s’est engagé à offrir comme services (i) la consultation juridique, (ii) le management social (iii), l’assistance juridique pour le contentieux social et (iv) la documentation.

Le tribunal relève que l’annexe à ce contrat prévoit notamment des travaux et tâches à réaliser par le secrétariat social, à savoir des conseils juridiques de base tels que la détermination de la commission paritaire, l’application des barèmes, les contacts avec les organismes officiels, etc. Ces services sont prévus sans surfacturation, contrairement à d’autres (consultations juridiques dans le cadre d’un dossier spécifique relatives à un ou à plusieurs travailleurs).

Le contrat, en l’espèce, prévoit notamment une assistance juridique dans le cadre de la gestion individuelle du personnel, précisant que cette assistance est assurée sous la forme de consultations ou d’assistance en cas de conflit social. Il stipule que le gestionnaire assiste en priorité l’employeur dans le traitement d’avis spécifiques sur des questions faisant l’objet d’une liste, à savoir hypothèses de licenciement abusif ou pour motif grave, questions relatives aux risques psychosociaux, rédaction de contrats de travail spécifiques, questions de R.C.C. et d’autres formes de fin de carrière, ainsi que ce qui est relatif à la réduction du coût salarial. Le contrat précise que cette liste n’est pas limitative.

Le tribunal relève que, outre la mission légale qui est confiée au secrétariat social par l’article 27, alinéa 1er, de la loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale des travailleurs (qui est de remplir au nom et pour compte des affiliés les formalités auxquelles ceux-ci sont tenus en leur qualité d’employeur), il y a en l’espèce engagement contractuel de fournir des consultations juridiques à la demande de l’affilié. Ces prestations dans le cadre du contrat d’assistance juridique ne sont pas effectuées au nom et pour compte de l’employeur. Pour le tribunal, aucun reproche ne peut être fait en l’espèce au secrétariat social quant à sa mission légale et ses obligations de mandataire.

Plus précisément, se pose néanmoins la question de la faute reprochée par l’employeur, faute dans le cadre de la mission de conseil et d’information spécifique à la gestion du personnel. Le tribunal précise à cet égard que les consultations juridiques sont effectuées à la demande de l’employeur et qu’il appartient à celui-ci de consulter le gestionnaire de son dossier. L’employeur ne peut dès lors considérer que le secrétariat social avait une obligation de résultat et qu’il devait être proactif.

Il est constaté que, si quatre contrats de travail à durée à déterminée ont été conclus, ils n’ont pas tous été transmis au secrétariat social (à savoir le deuxième et le troisième). En outre, le dernier contrat (d’une durée non autorisée, à savoir du 17 janvier 2018 au 31 décembre 2018) a été transmis le dernier jour de prestation.

Une faute ne peut dès lors être retenue au moins pour deux motifs, étant que l’employeur n’a pas sollicité une consultation juridique et que le secrétariat social ne disposait pas de l’information nécessaire pour attirer spontanément son attention sur le problème du dernier contrat. Le tribunal relève encore qu’aucune obligation contractuelle du secrétariat social ne lui impose de fournir spontanément les informations juridiques personnalisées et liées à la gestion du personnel.

L’employeur faisant également état d’une faute extracontractuelle, le tribunal constate que sa responsabilité ne peut être engagée à ce titre que si la faute qui lui est imputée constitue un manquement au devoir général de diligence qui lui incombe et si, en sus, la faute a causé un dommage autre que celui qui est dû à la mauvaise exécution du contrat. Cet argument est également rejeté, aucun dommage distinct de celui invoqué dans le cadre de la mise en cause de la responsabilité contractuelle n’étant par ailleurs invoqué.

Intérêt de la décision

L’étendue des obligations du secrétariat social a régulièrement donné lieu à des contestations en justice. L’on peut renvoyer à un arrêt de la Cour d’appel de Mons du 18 décembre 2018 (Mons, 18 décembre 2018, R.G. 2017/RG/906), qui a jugé que, dans le cadre de ses missions, le secrétariat social doit notamment respecter une obligation d’information et de conseil à l’égard de ses affiliés. Cette obligation porte sur l’application de la loi sociale. Il a une obligation de prudence et de diligence, qui le contraint à veiller au respect de la législation sociale. Les obligations du secrétariat social tiennent tantôt à un mandat, tantôt à un contrat de services. Tel est le cas, pour ce dernier, de la préparation des fiches de traitement et des documents sociaux, ou encore du calcul des rémunérations ou des durées de préavis. L’obligation contractée est une obligation de moyen, pour ce qui est de l’information claire et précise à donner, ainsi que pour le calcul des rémunérations.

Il importe en effet de faire une distinction entre les missions générales du secrétariat social et des questions plus spécifiques ayant fait l’objet d’un mandat contractuel. Ainsi, dans un arrêt du 20 juin 2017 de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 20 juin 2017 2015/AB/423), il a été rappelé que la mission légale des secrétariats sociaux est de remplir au nom et pour le compte de leurs affiliés certaines formalités auxquelles ceux-ci sont tenus vu leur qualité d’employeur. Il s’agit de l’envoi à l’O.N.S.S. des déclarations justificatives du montant des cotisations sociales ainsi que du paiement de ces cotisations dans le délai légal. Au-delà de cette mission, l’employeur doit prouver qu’il a donné un mandat au secrétariat social, ainsi s’il s’agit de déterminer la catégorie professionnelle du travailleur. Si ce mandat était prouvé, sa responsabilité ne pourrait cependant être mise en cause en cas de faute qui serait la conséquence d’une information inexacte ou incomplète de l’employeur.


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