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Un contrat de travail à durée indéterminée peut-il être affecté d’un terme ?

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 28 avril 2021, R.G. 20/331/A

Mis en ligne le lundi 10 janvier 2022


Tribunal du travail de Liège (division Verviers), 28 avril 2021, R.G. 20/331/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 28 avril 2021, le tribunal du travail de Liège examine la licéité d’un contrat de travail à durée indéterminée affecté d’un terme (terme certain maximal).

Les faits

Une technicienne de surface a presté pour une clinique depuis septembre 2011. Elle a d’abord eu quatre contrats à durée déterminée s’étendant sur une période globale de près de deux ans. Ces contrats ont été suivis d’un contrat à durée indéterminée à temps partiel. Ce dernier contrat contient une clause spécifique stipulant que vu le projet de l’employeur de regrouper en un seul lieu trois sites hospitaliers, le contrat est conclu à durée indéterminée mais il est affecté d’un terme certain fixé au 30 septembre 2017, date prévue pour ledit regroupement.

Cette condition résolutoire est ainsi destinée à prendre effet quatre ans plus tard.

En cours de route, deux avenants sont conclus, le premier reportant la date de fin au 30 avril 2019 et le second au 31 décembre 2019. Il précise que « … pour des raisons indépendantes de la volonté de l’employeur, le déménagement envisagé ne sera effectif que dans le courant du mois de novembre ou décembre 2019. L’avenant précise que le contrat de travail, conclu pour une durée indéterminée, restera affecté d’un terme certain, celui-ci étant reporté au 31 décembre 2019, date postérieure au regroupement des équipes des trois établissements en cause et à l’ouverture au public de la nouvelle structure. La rupture est prévue à la date indiquée, et ce par l’effet de la survenance du terme.

Suite à la fin du contrat ainsi intervenu, l’intéressée réclame le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de 23 semaines, que l’employeur refuse de payer.

La procédure est dès lors introduite devant le Tribunal de travail de Liège (div. Verviers).

La décision du tribunal

Le tribunal reprend, dans un bref jugement, les règles relatives à la conclusion d’un contrat à durée indéterminée contenant un terme maximal.

Il rappelle que la Cour de cassation a admis qu’aucune disposition légale n’interdit à l’employeur et au travailleur de convenir que le contrat de travail qu’ils concluent ou qu’ils ont conclu pour une durée indéterminée sera affecté d’un terme certain auquel le contrat prendra fin s’il a été maintenu jusqu’alors. Le jugement renvoie ici à l’arrêt de la Cour de cassation du 6 avril 1998 (Cass., 6 avril 1998, S.97.0070.F).

Reprenant la doctrine de C. WANTIEZ (C. WANTIEZ, « Observations sous Cass., 23 septembre 1991 », J.T.T., 1991 page 483), il ajoute que ce terme inséré dans pareil contrat à durée indéterminée ne doit pas être constaté par écrit.

Il poursuit avec les commentaires de J. CLESSE et F. KEFER (J. CLESSE et F. KEFER, Manuel du droit du travail, 2018). Pour ces auteurs, il est difficile de distinguer, conceptuellement, le contrat à terme avec faculté de résiliation unilatérale anticipée et le contrat à durée indéterminée avec terme maximal.

Le tribunal reprend un extrait de leurs propos, ceux-ci étant relatifs à la position de la Cour de cassation sur la question. Ils constatent que celle-ci est revenue sur ce cas de figure où les parties signent un contrat à durée indéterminée et y insèrent un terme maximum dont la durée entraîne la dissolution automatique de celui-ci sans préavis ni indemnité sauf si une des parties a exercé son droit de résiliation unilatérale avant l’échéance. Ils précisent que pour la Cour de cassation, l’indication par les parties d’un terme maximum ne transforme pas ce contrat en un contrat à durée déterminée. Puisque ce contrat doit être qualifié de contrat à durée indéterminée, le terme ne doit pas être constaté par écrit. Cependant la rupture avant l’échéance est soumise à l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978. Renvoi est ici fait à l’arrêt de la Cour de cassation du 8 décembre 2003 (Cass., 8 décembre 2003, S.03.0053.F).

Pour le tribunal, certaines hypothèses peuvent tout à fait être visées par cette formule, ainsi la survenance de l’âge de la retraite, l’occupation dans le cadre de l’article 60 de la loi organique des C.P.A.S. ou encore d’un détachement (en Belgique pour un citoyen étranger ou à l’étranger pour un citoyen Belge) dans le cadre d’une coopération liée à des accords de financement.

Il considère cependant que ceci correspond à des besoins spécifiques et qui sont relativement rares mais que la formule ne peut devenir la norme du contrat de travail. Il suffirait en effet, alors qu’il y a eu conclusion d’un contrat à durée indéterminée, que l’employeur affecte celui-ci d’un terme pour priver le travailleur de tout dédommagement au titre d’indemnité compensatoire de préavis.

Le tribunal reprend encore les conditions admises, qui sont au nombre de 3 : (i) le terme doit être prévisible à l’engagement, (ii) il ne peut résulter des circonstances de fait que le travailleur a renoncé à l’avance à ses droits en matière de résiliation unilatérale et (iii) il doit exister une raison légitime de convenir de ce terme.

En l’occurrence, aucune raison particulière ne permet de retenir qu’il y aurait une raison légitime de convenir d’un terme et le tribunal de souligner que quatre contrats à durée déterminée avaient précédemment été conclus pour une durée (quasi) maximale pour une succession de CDD. L’employeur ne donne par ailleurs aucune indication sur la politique d’embauche ou de licenciement liée au service de nettoyage.

Il conclut à l’absence de motif légitime et fait droit à la demande.

Intérêt de la décision

Le cas de figure examiné par le tribunal dans cette décision est relativement rare et l’on ne peut d’ailleurs que s’en réjouir.

La Cour de cassation a été saisie à diverses reprises.

Dans son arrêt du 6 avril 1998, elle avait considéré qu’aucune disposition légale, en particulier aucune disposition de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, n’interdit aux parties contractantes de convenir que le contrat qu’elles concluent pour une durée indéterminée sera affecté d’un terme certain dont l’échéance mettra fin au contrat s’il a été maintenu jusqu’alors. Un tel accord est licite dès lors qu’il ne résulte pas des circonstances de fait que le travailleur a ainsi renoncé d’avance au délai ou à l’indemnité de préavis prévus pour le cas où l’employeur résilie unilatéralement le contrat sans juste motif.

La même motivation (absence d’interdiction) est reprise dans l’arrêt de la Cour du 8 décembre 2003, celui-ci précisant que la circonstance que les parties qui concluent ou ont conclu un contrat de travail pour une durée indéterminée conviennent que celui-ci sera affecté d’un terme certain dont l’échéance mettra fin au contrat s’il a été maintenu jusqu’alors n’a pas pour effet d’ôter à ce contrat le caractère de contrat à durée indéterminée. Elle y précise qu’il ne résulte d’aucune des dispositions légales visées au moyen (articles 7, 9, 32, 1° et 3°, 37 et 39 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail) que le terme que les parties insèrent dans pareil contrat doive être constaté par écrit.

L’on ne peut que déplorer l’insécurité juridique d’une telle situation.

Dans le jugement annoté, le tribunal du travail retient – vraisemblablement pour rééquilibrer la situation des parties – qu’il est requis que trois critères soient réunis, étant la prévisibilité du terme à l’engagement, l’exigence d’une raison légitime de convenir de ce terme et la condition qu’il ne résulte pas des circonstances de fait que le travailleur a renoncé à l’avance à ses droits en matière de préavis, cette dernière condition figurant dans l’arrêt de la cour du 6 février 1998.

Reste qu’à défaut d’écrit, la preuve de l’existence du terme ne manquera pas de se poser.


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