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Réduction de cotisations de sécurité sociale : notion de même unité technique d’exploitation

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 27 mai 2021, R.G. 2019/AB/744

Mis en ligne le mardi 28 décembre 2021


Cour du travail de Bruxelles, 27 mai 2021, R.G. 2019/AB/744

Terra Laboris

Dans un arrêt du 27 mai 2021, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’apport de la Cour de cassation dans la détermination de la même unité technique d’exploitation visée à la loi – programme (I) du 24 décembre 2002 permettant la réduction des cotisations de sécurité sociale au titre de réduction groupe – cible « premiers engagements ».

Les faits

Un titulaire de profession libérale a engagé une secrétaire en 2016. Il s’associe ultérieurement avec d’autres confrères et forme un S.C.I.V. La secrétaire poursuit ses prestations de travail normalement. Un nouveau contrat de travail est signé avec la société. Intervient alors un transfert de siège social.

La société décide d’appliquer pour l’intéressée une réduction de cotisations sociales groupe – cible « premiers engagements ». Cette situation est rectifiée par l’ONSS au motif qu’il y a même unité technique d’exploitation. L’Office se réfère au fait que l’employeur initial est fondateur et gérant/associé de la société et que l’intéressée, salariée dans un premier temps de la personne physique, a été engagée ensuite par la société. Le critère social est donc rempli. En outre, les activités sont identiques, les adresses sont proches et la même clientèle est dès lors visée. L’Office conclut à l’absence d’augmentation effective de personnel. Le décompte est communiqué.

La procédure

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles.

Celui-ci a confirmé la décision administrative par jugement du 26 juin 2019.

Cette décision fait l’objet de l’appel de la société, qui demande à titre principal d’ordonner le remboursement de toute somme versée au titre de cotisations suite à l’annulation des réductions groupe – cible et, subsidiairement, de dire pour droit que l’engagement de l’intéressée est la continuité de son premier engagement et qu’il y a lieu de continuer à accorder à la société les réductions en cause.

La décision de la cour

Sur le fond, la cour rappelle les principes utiles, étant la loi – programme (I) du 24 décembre 2002, en ses articles 342 et suivants. Celle-ci a défini la notion d’unité technique d’exploitation (ce qui ne figurait pas dans le texte précédent), s’écartant de la notion définie par la loi du 20 septembre 1948 portant sur l’organisation de l’économie et celle du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail.

L’arrêt reprend ensuite l’apport de la Cour de cassation en la matière.

Le 29 avril 2013 (Cass., 29 avril 2013, S.12.0096.N), la Cour a considéré qu’il faut examiner si l’entité qui occupe le travailleur nouvellement engagé a des liens sociaux et économiques avec celle qui, au cours des douze mois précédant le nouvel engagement, a occupé un travailleur qui est remplacé par le nouveau travailleur.

Il faut vérifier, selon un arrêt antérieur du 1er février 2010 (Cass., 1er février 2010, S.09.0017.N), si l’entité qui occupe le travailleur nouvellement engagé est socialement et économiquement interdépendante de celle qui occupait le travailleur qu’il remplace.

Un élément pertinent pour l’appréciation des liens sociaux est le transfert de personnel, même si celui-ci est postérieur de plusieurs mois à une rupture de contrat de travail. Il faut que le nouvel engagement soit accompagné d’une réelle création d’emploi dans la même unité technique d’exploitation (Cass., 30 octobre 2006, S.05.0085.N).

Enfin, la cour du travail mais en exergue l’arrêt rendu le 13 mai 2019 (Cass., 13 mai 2019, S.18.0039.N), qui a jugé qu’il convient de faire une comparaison entre l’effectif du personnel de l’U.T.E. au moment de l’entrée en service du nouvel engagé d’une part et le nombre maximal de membres du personnel occupé dans celle-ci au cours des quatre trimestres précédant cet engagement de l’autre.

En l’espèce, la cour conclut à l’existence d’une même U.T.E. Divers éléments sont repris, à savoir l’occupation de la travailleuse pour les deux entités sans réelle interruption, le rôle de l’employeur initial en sa qualité de représentant de la société, l’activité exercée (l’expansion en termes de matières traitées et de clientèle non plus que le développement de la structure n’étant susceptibles de conclure à l’absence de similarité), le maintien des tâches d’ordre administratif et de secrétariat, …).

La cour confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

La jurisprudence sur la question tranchée par la cour du travail est abondante.

La Cour de cassation a rendu divers arrêts au fil des ans et l’on peut encore ajouter celui du 9 décembre 2019 (Cass., 9 décembre 2019, S.19.0017.N) qui a jugé que pour qu’un employeur soit considéré comme nouvel employeur au sens de l’article 28/1, 2e alinéa, 2° de l’A.R. du 16 mai 2003 (pris en exécution du Chapitre 7 du Titre IV de la loi-programme du 24 décembre 2002 (I), visant à harmoniser et à simplifier les régimes de réductions de cotisations de sécurité sociale), il ne doit pas seulement constituer une autre entité juridique, mais il faut également que l’entreprise qu’il exploite ne puisse être considérée comme la même unité technique d’exploitation que l‘entreprise déclarée en restructuration ou en faillite (examen au regard de l’article 1er, § 1er, 4° et 8°, de l’arrêté royal du 9 mars 2006 relatif à la gestion active des restructurations).

Quant à la notion de nouvel engagement, elle suppose à la fois une nouvelle embauche et une croissance de l’emploi par rapport aux quatre trimestres qui ont précédé celle-ci, au sein de l’unité technique d’exploitation à laquelle il appartient (voir en ce sens C. trav. Liège (div. Namur), 22 août 2019, R.G. 2018/AN/138)

Les juges du fond recherchent, sur le plan de l’organisation de l’entreprise, si une même unité technique d’exploitation est présente via la réunion des critères d’ordre social et économique (étant actuellement bien acquis dans la matière que les critères sociaux ne prévalent pas - ce qui est le cas dans les lois du 24 septembre 1948 et du 4 août 1996).

Relevons que dans un précédent arrêt du 28 avril 2021 (C. trav. Bruxelles, 28 avril 2021, R.G. 2019/AB/573), la conclusion inverse avait été tirée pour la même profession libérale. L’O.N.S.S. considérait que l’exercice de la même profession par six sociétés et quelques personnes physiques en sus, dans le même immeuble et sous la même bannière, constituait une seule U.T.E. Le critère social n’était cependant pas rempli, pour la cour, au motif qu’aucune personne ne se retrouvait à la fois dans les organes de gestion des sociétés examinées (étant celles qui avaient successivement engagé la secrétaire concernée). Le critère économique ne l’était pas davantage, la bannière commerciale commune se limitant à une plaque apposée à l’entrée de l’immeuble et à un site internet. Aucune interdépendance entre les sociétés ne pouvait être dégagée.


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