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Législation applicable en cas d’activité exercée sur le territoire de plusieurs Etats membres

Commentaire de C.J.U.E., 20 mai 2021, C-879/19 (FORMAT URZĄDZENIA I MONTAŻE PRZEMYSŁOWE c/ ZAKŁAD UBEZPIECZEŃ SPOŁECZNYCH I ODDZIAŁ W WARSZAWIE), EU:C:2021:409

Mis en ligne le jeudi 9 décembre 2021


Cour de Justice de l’Union européenne, 20 mai 2021, C-879/19 (FORMAT URZĄDZENIA I MONTAŻE PRZEMYSŁOWE c/ ZAKŁAD UBEZPIECZEŃ SPOŁECZNYCH I ODDZIAŁ W WARSZAWIE), EU:C:2021:409

Terra Laboris

Par arrêt du 20 mai 2021, la Cour de Justice de l’Union européenne, statuant dans le cadre du Règlement n° 1408/71, reprend les règles relatives à la législation de sécurité sociale applicable en cas d’activité exercée par un travailleur sur le territoire de plusieurs Etats membres, le Règlement prévoyant une règle générale, assortie d’exceptions.

Les faits

Un ressortissant polonais résidant en Pologne, a travaillé pour une société polonaise dans le cadre d’un contrat à durée déterminée couvrant plus de trois ans. Pendant une partie de cette période, il a presté successivement en France, au Royaume-Uni et de nouveau en France.

L’institution sociale polonaise a refusé, dans le cadre du Règlement n° 1408/71, de lui délivrer un certificat E 101 confirmant qu’il relevait du régime de sécurité sociale polonais.

La société a introduit un recours devant le Tribunal régional de Varsovie, qui l’a rejeté, considérant que l’intéressé relevait non du champ d’application de l’article 14, § 2, sous b), du Règlement mais de celui de son article 13, § 2, sous a).

Appel a été interjeté devant la Cour d’appel de Varsovie, cette juridiction renvoyant à un précédent arrêt de la Cour (C.J.U.E., 4 octobre 2012, Aff. n° C-115/11, FORMAT URZĄDZENIA I MONTAŻE PRZEMYSŁOWE SP. ZO.O. c/ ZAKŁAD UBEZPIECZEŃ SPOŁECZNYCH, EU:C:2012:606), qui a jugé que l’expression ‘personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs Etats membres‘ doit être interprétée comme ne couvrant pas les situations dans lesquelles l’activité salariée exercée sur le territoire d’un seul Etat membre constitue la situation habituelle de la personne concernée. Dans cette même décision, la Cour a considéré que si le travail effectué dans chaque Etat membre a duré plusieurs mois et vu la nature de ce travail (travaux de construction) ainsi que le profil d’activité de l’employeur (travaux de construction dans plusieurs Etats membres) le travailleur exerçait en réalité un travail sur le territoire d’un seul Etat membre (entraînant l’application de l’article 13, § 2, sous a)).

Un pourvoi en cassation a été introduit par la société suite à la décision de la cour d’appel.

La Cour suprême a estimé que la décision rendue précédemment ne dissipe pas tous les doutes relatifs à l’interprétation de l’article 14, § 2. Dans la première affaire il s’agissait en effet de contrats de travail successifs, situation qui diffère de la présente espèce, où le travailleur a un seul contrat de travail et a exercé son activité sur le territoire de deux Etats membres au cours de périodes se succédant directement. Elle renvoie encore à l’arrêt HAKENBERG (C.J.U.E., 12 juillet 1973, Aff. n° C-13/73, ANCIENS ETABLISSEMENTS D. ANGENIEUX FILS AÎNÉ ET CAISSE PRIMAIRE CENTRALE D’ASSURANCE MALADIE DE LA RÉGION PARISIENNE c/ HAKENBERG, EU:C:1973:92), où la Cour de Justice a jugé que la notion de ‘personne qui exerce normalement une activité salariée’ vise le travailleur qui se trouve dans une relation de travail cohérente et continue, couvrant en même temps ou dans le cadre de périodes successives le territoire de plusieurs Etats membres, mais non le travailleur qui au cours de la période en cause exerce effectivement en vertu d’un contrat de travail un emploi dans un seul Etat membre et effectue au cours de l’année qui suit un travail dans un autre Etat membre dans le cadre d’un autre contrat.

La Cour suprême souligne également avoir interprété différemment cette notion dans deux affaires qu’elle a jugées. Aussi pose-t-elle une question préjudicielle à la Cour de justice.

La question préjudicielle

La question porte sur la définition de la notion de ‘personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs Etats membres’. Elle vise dès lors l’article 14, § 2, première phrase du Règlement n° 1408/71. La Cour suprême demande si elle doit être interprétée comme visant la personne qui dans le cadre d’un seul et même contrat, avec un seul et même employeur, effectue au cours de ce contrat un travail sur le territoire d’au moins deux Etats membres, non de manière concomitante ou parallèlement mais au cours de périodes de plusieurs mois qui se succèdent directement.

La décision de la Cour

La Cour rappelle son arrêt du 13 septembre 2017 (C.J.U.E., 13 septembre 2017, Aff. n° C-570/15, X c/ STAATSSECRETARIS VAN FINANCIËN, EU:C:2017:674), où elle a énoncé que doivent être prises en considération la durée des périodes d’activité, la nature du travail salarié et éventuellement la réalité des activités exercées, ainsi que les circonstances entourant la conclusion des contrats et plus généralement les caractéristiques et les modalités des activités exercées par l’employeur.

En l’espèce, le travailleur a presté de manière successive dans deux Etats membres, la quasi-totalité de l’activité salariée ayant cependant été exercée sur un seul (deux mois seulement ayant été prestés dans l’autre Etat). Pour la Cour, si le Règlement n° 1408/71 n’établit pas de limites temporelles, sa jurisprudence est que si l’exercice d’une activité salariée sur le territoire d’un seul Etat membre constitue le régime normal de travail, le travailleur ne peut relever du champ d’application de l’article 14, § 2 – ce qui ressort du précédent arrêt rendu en la matière, en cause de la même société d’ailleurs (C.J.U.E., 4 octobre 2012, ci-dessus). L’on ne peut dès lors considérer que dans l’espèce dont la Cour de justice est ici saisie le travailleur exercerait normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs Etats membres.

La Cour rappelle la finalité des dispositions du Règlement n° 1408/71 (en son titre II) étant qu’il s’agit d’un système complet et uniforme de règles de conflit de loi devant permettre au travailleur qui se déplace à l’intérieur de l’Union européenne d’être couvert sur le plan de la sécurité sociale d’un seul Etat membre et de voir les cumuls de législations applicables évités.
Le principe de l’unicité de la législation applicable est constant dans la jurisprudence de la Cour.

Ainsi qu’elle l’a jugé dans son arrêt PEREZ-NARANJO (C.J.U.E., 16 janvier 2007, Aff. n° C-265/05, PEREZ-NARANJO, EU:C:2007:26), l’article 14, § 2 doit être interprété de manière stricte. En conséquence, le travailleur qui exerce pendant des périodes successives de travail une activité salariée dans différents Etats membres doit être considéré comme exerçant normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs Etats membres au sens de l’article 14, § 2, pour autant que la durée des périodes ininterrompues de travail effectuées dans chacun des Etats membres n’excède pas douze mois. Seule une telle interprétation est de nature à éviter un contournement du principe prévu à l’article 13, § 2 sous a) du Règlement.

L’article 14, § 2, sous b), du Règlement n’est dès lors pas applicable à la situation de l’espèce. La Cour ajoute que cette situation ne peut relever non plus de l’article 14, § 1, sous a), du Règlement, seule une entreprise qui exerce habituellement des activités significatives sur le territoire de l’Etat membre d’établissement pouvant bénéficier de cette exception. Il n’est cependant pas précisé dans les données du dossier si la société a exercé habituellement des activités significatives en Pologne (Etat dans lequel elle est établie). La situation est par contre susceptible de relever du principe, étant la règle de l’article 13, § 2, sous a), du Règlement.

Intérêt de la décision

Le titre II du Règlement n° 1408/71 porte sur la détermination de la législation applicable en cas d’activité exercée sur le territoire de plusieurs Etats membres. Son article 13 définit les règles générales à suivre, l’article 14 envisageant des règles particulières applicables aux personnes autres que les gens de mer, exerçant une activité salariée.

Si une personne exerce une activité salariée sur le territoire d’un Etat membre au service d’une entreprise dont elle relève normalement et qu’elle est détachée par celle-ci sur le territoire d’un autre Etat membre pour effectuer un travail pour le compte de celle-ci, elle demeure soumise à la législation du premier Etat membre à la condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas douze mois et qu’elle ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne parvenue au terme de la période de son détachement. Par contre, si la personne exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs Etats membres, la disposition fait un sort particulier aux personnes qui font partie du personnel roulant ou navigant d’une entreprise effectuant pour le compte d’autrui ou pour son compte propre des transports internationaux (passagers ou marchandises) par voie ferroviaire, routière, aérienne ou batelière et ayant son siège sur le territoire d’un Etat. Celles-ci sont soumises à la législation de ce dernier Etat.

Pour les personnes non visées ci-dessus, elles sont soumises à la législation de l’Etat membre sur le territoire duquel elles résident si elles exercent une partie de leur activité sur ce territoire ou si elles relèvent de plusieurs entreprises ou de plusieurs employeurs ayant leur siège ou leur domicile sur le territoire de différents Etats membres. Par contre, elles sont soumises à la législation de l’Etat membre sur le territoire duquel l’entreprise ou l’employeur qui les occupe a son siège ou son domicile, si elles ne résident pas sur le territoire de l’un des Etats membres où elles exercent leur activité.

La Cour a rappelé dans cet arrêt que les dérogations au principe général prévu à l’article 13, § 2, sous a) doivent être interprétées de manière stricte. La précédente affaire rendue à propos de la même entreprise avait mis en lumière que le détachement temporaire et de courte durée d’un travailleur dans un autre Etat membre pendant une période maximale de douze mois justifiait une telle exception à la règle générale.

La Cour souligne également que l’interprétation cohérente des dispositions de l’article 14, § 1, sous a) et § 2, suppose qu’une personne qui exerce pendant des périodes successives de travail une activité salariée dans divers Etat membres soit considérée comme exerçant normalement une telle activité sur le territoire de deux ou plusieurs Etats membres au sens de l’article 14, § 2 pour autant que la durée des périodes ininterrompues de travail effectué dans chacun de ces Etats n’excède pas douze mois. Seule une telle interprétation est de nature à éviter un contournement du principe prévu à l’article 13, § 2, sous a).


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