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Limitation de la responsabilité du travailleur : un petit rappel

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Namur), 22 avril 2021, R.G. 11/2.043/A et 20/138/A

Mis en ligne le jeudi 9 décembre 2021


Tribunal du travail de Liège (division Namur), 22 avril 2021, R.G. 11/2.043/A et 20/138/A

Terra Laboris

Par jugement du 22 avril 2021, le Tribunal du travail de Liège (div. Namur) reprend les règles en matière de responsabilité du travailleur en cas de dégâts causés au véhicule de l’entreprise mis à sa disposition pour usage mixte (professionnel et privé).

Les faits

Une société active dans le secteur de machines, accessoires et consommables pour bureau a engagé un représentant en 2008.

Un avertissement lui est adressé en 2010, la société lui faisant grief de ne pas respecter les rendez-vous pris avec la clientèle et lui reprochant un manque de transparence quant à son emploi du temps.

Un second avertissement suit, relatif à des absences au travail et au non-respect des consignes en matière de rapports hebdomadaires.

Il est licencié quelques semaines plus tard pour motif grave.

La société reprend assez rapidement contact avec lui après le licenciement, ayant pu constater qu’il a perçu des montants de clients (ventes de matériel pour lesquelles des acomptes avaient été perçus, essentiellement).

La société introduira une procédure contre l’intéressé réclamant le remboursement de ces sommes ainsi que de dégâts au véhicule. Pour sa part, celui-ci contestera le motif grave.

Les deux affaires sont jointes par le tribunal.

La décision du tribunal

Dans son jugement, le tribunal examine en premier lieu la question de la responsabilité du travailleur, reprenant les principes de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978, dont il rappelle qu’il contient une règle impérative dérogeant au droit commun.

La responsabilité du travailleur est en effet exclue en cas de faute légère non habituelle, le tribunal renvoyant ici un arrêt de la Cour du travail de Mons du 19 octobre 2009 (C. trav. Mons, 19 octobre 2009, R.G. 21.235). De nombreux rappels sont faits de la jurisprudence de la Cour de cassation et de la doctrine, à propos de la responsabilité contractuelle du travailleur. Celle-ci doit s’apprécier en fonction de divers critères, étant la fonction exercée, les capacités, les responsabilités de l’intéressé ainsi que l’activité et le profil de l’entreprise.

Il est également tenu compte des circonstances dans lesquelles la faute a été commise. Renvoi est fait à l’arrêt de la Cour de cassation du 24 décembre 1980 (Cass. 24 décembre 1980, R.G. 1134), selon lequel l’exécution du contrat a une portée très large, étant identique à la notion d’actes accomplis dans les fonctions du préposé telles que visées à l’article 1384, alinéa 3 du Code civil. La doctrine en a déduit que l’acte illicite entre dans les fonctions du préposé, que cet acte ait été accompli pendant la durée des fonctions et soit, fut-ce indirectement ou occasionnellement en relation avec celles-ci (le tribunal citant M. LAUVAUX, La responsabilité du travailleur, Kluwer, 2006, p 53).

Le tribunal reprend également la notion de faute lourde, qui est la faute non intentionnelle mais à ce point grossière et démesurée qu’elle en est inexcusable, s’agissant d’une faute qui ne se comprend pas d’une personne raisonnable. Parmi les circonstances devant être prises en compte, la doctrine (M. LAUVAUX ci-dessus) a repris le rythme de travail, le fonctionnement complexe de certaines machines, la fatigue, le manque d’expérience et les erreurs d’appréciation.

Enfin, le jugement renvoie également à la notion de faute légère, dont il rappelle que pour engager la responsabilité du travailleur elle doit être habituelle. Contrairement à la faute lourde, la faute légère habituelle peut être définie comme la faute excusable commise par une personne normale, placée dans des circonstances de fait normales. Le critère est celui de la personne normalement prudente et avisée placée dans les mêmes circonstances de fait et ayant une qualification semblable.

Parmi les postes contestés figurant dans la réclamation de l’employeur, figurent des dégâts au véhicule dont l’employeur demande remboursement. L’existence de dégâts n’est pas contestée. Le travailleur est intégralement responsable des dégâts occasionnés dans le cadre de l’utilisation du véhicule à des fins privées, la limitation de l’article 18 n’étant applicable que pour les dégâts occasionnés lors de l’exécution du travail.

L’employé n’exposant pas les circonstances des accidents (deux accidents étant manifestes, vu la localisation des dommages au véhicule), le tribunal conclut qu’ils doivent être pris en charge par lui, la survenance du dommage dans le cadre de l’exécution du contrat de travail n’étant pas établie.

Pour ce qui est du motif grave, par ailleurs, le tribunal se livre à un rappel des critères légaux, tant sur la notion de motif grave que sur l’exigence de précision et sur la charge de la preuve.
Il conclut son appréciation en considérant que des fautes ont été constatées mais qu’elles n’ont pas un caractère de gravité suffisante pour justifier un licenciement sans préavis ou indemnité. C’est l’accumulation de plusieurs faits qui est à l’origine du licenciement mais le tribunal se déclare dans l’impossibilité de déterminer lequel serait plus particulièrement grave. L’indemnité compensatoire de préavis est en conséquence due. Il va, dès lors, faire droit à la demande du travailleur en ce sens, tout en reprécisant les montants.

Intérêt de la décision

Ce jugement est l’occasion de revenir sur l’arrêt de la Cour de cassation du 8 juin 2009 (Cass. 8 juin 2009, n°C.08.0568.N), qui a rappelé que, en vertu de l’article 18, en cas de dommages causés par le travailleur à l’employeur ou à des tiers dans l’exécution de son contrat, le travailleur ne répond que de son dol et de sa faute lourde. Il ne répond de sa faute légère que si celle-ci présente dans son chef un caractère habituel plutôt qu’accidentel.

La Cour rappelle que cette disposition restreint la responsabilité civile du travailleur qui cause des dommages à son employeur ou à des tiers dans l’exécution de son travail et qu’elle ne s’applique pas au travailleur qui se cause des dommages à lui-même. Lorsque les dommages résultent de fautes concurrentes, dont celles de la victime, l’auteur des dommages ne saurait être condamné à l’entière réparation des dommages qu’il a causés à celle-ci. Aussi, pour déterminer l’éventuelle part de responsabilité d’un tiers dans les dommages subis par un travailleur, la faute du travailleur doit-elle être prise en considération (pour un commentaire de cet arrêt, lire D. VAN STRIJTHEM et M. VAN DEN BUNDER, « De limieten van de beperkte burgerlijke aansprakelijkheid van de werknemer bij toepassing van artikel 18 van de arbeidsovereenkomstenwet », R.A.B.G., 2010/14, p. 947).

Enfin, une autre règle doit être prise en compte, étant que le dommage causé en dehors de l’exécution du contrat de travail n’entraine pas l’application de la limitation de la responsabilité prévue à l’article 18. Comme rappelé dans le jugement commenté, c’est au travailleur – qui entend voir limiter sa responsabilité – d’établir que les conditions de cette limitation sont remplies, c’est-à-dire que le dommage est survenu lors de l’exécution du contrat de travail, celle-ci étant comprise de manière identique à l’article 1384, alinéa 3 du Code civil. Dès lors que l’employeur invoque l’existence d’un dommage, il doit, pour sa part, apporter la preuve du lien de causalité entre la faute commise et le dommage dont la réparation est demandée (voir en ce sens C. trav. Bruxelles, 1er avril 2014, R.G. 2013/AB/875).


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