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Discrimination sur la base du genre : charge de la preuve

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 mai 2021, R.G. 2018/AB/578

Mis en ligne le jeudi 9 décembre 2021


Cour du travail de Bruxelles, 25 mai 2021, R.G. 2018/AB/578

Terra Laboris

Par arrêt du 25 mai 2021, la Cour du travail de Bruxelles reprend le mécanisme probatoire dans le cadre de la législation anti-discrimination, s’agissant d’une discrimination en matière de rémunération invoquée sur la base du genre.

Les faits

Une documentaliste d’un musée subventionné par la Communauté française y a travaillé depuis 1987. Elle a connu au fil du temps diverses conditions contractuelles. Elle a réduit son temps de travail au début des années 2000, celui-ci ayant été encore adapté ultérieurement. Elle a presté dans cet emploi jusqu’à l’âge de la pension.

L’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes (IEFH) a introduit une plainte auprès de l’ex-employeur, faisant état d’une discrimination au niveau de la rémunération par rapport à son collègue masculin, qui justifiait d’une ancienneté similaire. Cette discrimination a été contestée par l’ex-employeur et une procédure a été introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles. L’IEFH est intervenu volontairement à la cause, appuyant la position de la demanderesse, selon laquelle elle avait été victime d’une discrimination sur la base de son sexe dans le cadre de la fixation de sa rémunération.

Le tribunal du travail a rejeté la demande par jugement du 22 mars 2018.

La demanderesse et l’IEFH demandent à la cour la réformation du jugement, étant tous deux parties appelantes.

La décision de la cour

La cour reprend un point particulier de cette législation spécifique, étant la question de la charge de la preuve, qui est partagée entre les parties. Elle rappelle que lorsqu’une personne qui s’estime victime de discrimination invoque devant la juridiction compétente des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination fondée sur le sexe ou le changement de sexe, il incombe au défendeur de prouver qu’il n’y a pas eu de discrimination (article 33 de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes).

Elle précise que le terme « invoque » ne peut signifier « allègue », la personne devant prouver des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination. Renvoi est fait par la cour du travail à la jurisprudence de la Cour de cassation et de celle de la Cour constitutionnelle (Cass., 18 décembre 2008, C.06.0351.F et C. Const., 11 mars 2009, n°39/09). Une présomption doit en effet avoir pour point de départ un fait connu, c’est-à-dire un fait établi et non un fait allégué.

Parmi ces faits susceptibles de présumer l’existence d’une discrimination directe fondée sur le sexe, la même disposition vise les éléments qui révèlent une certaine récurrence de traitement défavorable à l’égard de personnes du même sexe (sont visés entre autres des signalements isolés faits auprès de l’Institut ou de l’un des groupements d’intérêt) ou les éléments qui révèlent que la situation de la victime du traitement plus défavorable est comparable avec la situation de la personne de référence.

Pour ce qui est de la discrimination indirecte, le renvoi est fait à (i) l’exigence de statistiques générales concernant la situation du groupe dont la victime de la discrimination fait partie ou de faits de connaissance générale, (ii) l’utilisation d’un critère de distinction intrinsèquement suspect ou encore (iii) l’existence de matériel statistique élémentaire qui révèle un traitement défavorable.

En l’espèce, la cour constate qu’elle est tenue de vérifier si existent des faits établis par les parties appelantes permettant de présumer l’existence de la discrimination, à savoir que l’employée a exercé un travail équivalent à celui d’un travailleur masculin mais en étant payée moins.

Cette preuve n’est pas rapportée, la loi exigeant que soient avancés des éléments qui révèlent une certaine récurrence de traitement défavorable à l’égard de personnes du même sexe. La cour note par ailleurs qu’il n’y a pas eu d’autre signalement isolé fait sur le sujet.

Ce qui ressort néanmoins des éléments du dossier est que l’intéressée et son collègue masculin avaient presque le même âge, qu’ils étaient entrés en service à la même époque, avaient le même diplôme (bibliothécaire documentaliste) mais n’avaient pas la même expérience professionnelle, celle-ci n’étant pas comparable. La cour examine le « background » de chacun des deux travailleurs et constate que, vu la différence de leurs expériences professionnelles antérieures, l’attribution d’une rémunération plus élevée lors de l’entrée en service du collègue masculin était justifiée par sa plus grande expérience professionnelle dans le domaine d’activité de l’employeur. Il y a ainsi eu une valorisation dans l’indice barémique de son expérience utile préalable à l’engagement. Il a en outre été promu au fil des années, ce que n’a pas été l’appelante. La cour constate également que lors de cette promotion l’intéressé avait été remplacé par une femme. Sur le plan de la preuve, il n’est dès lors pas établi qu’existent des faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination directe.

La même conclusion est tirée pour ce qui est de la discrimination indirecte. Ici, l’appelante fait valoir qu’elle a bénéficié d’une rémunération inférieure en raison de son temps de travail plus faible et que procéder de la sorte aboutit à discriminer indirectement les femmes dans la mesure où en Belgique c’est en majorité celles-ci qui occupent les emplois à temps partiel. La cour ne suit pas cette argumentation, constatant dans les faits qu’au sein de l’entreprise davantage de temps partiels sont occupés par des hommes. Elle conclut que si une discrimination indirecte est invoquée, elle ne peut s’appuyer uniquement sur des statistiques nationales, générales, mais doit tenir compte de la réalité de l’entreprise dans laquelle la discrimination est invoquée.

Elle confirme dès lors la position du premier juge et rejette l’appel.

Un dernier argument est envisagé, étant l’interdiction de discrimination visée à l’article 4 de la loi de 5 mars 2002 relative au principe de non-discrimination en faveur des travailleurs à temps partiel. Dans la mesure où il n’est pas établi par la partie appelante qu’elle a bénéficié d’une rémunération moins élevée en raison du fait qu’elle travaillait à temps partiel, ce chef de demande tombe également.

Intérêt de la décision

Si la législation anti-discrimination a sensiblement modifié les règles classiques applicables sur le plan de la preuve, la cour rappelle dans cet arrêt un point important, étant que le demandeur a la charge d’une partie de la preuve, celle-ci ne portant pas sur la discrimination pour laquelle il demande réparation, mais sur l’existence de faits qui permettent de présumer celle de la discrimination en cause.

La cour reprend ici une exigence issue du droit civil étant que des faits doivent être avérés et non simplement allégués. La disposition légale impose au demandeur d’établir ceux-ci. Il ne peut donc ni s’en tenir à de simples allégations ni, s’agissant d’une discrimination indirecte, se borner à faire état d’éléments issus de connaissances générales ou de circonstances ne le touchant pas directement.

La cour a souligné à cet égard que si une discrimination indirecte est invoquée, la partie qui se prétend victime de la discrimination en cause ne peut s’appuyer uniquement sur des statistiques nationales, générales, mais doit tenir compte de la réalité de l’entreprise dans laquelle la discrimination est invoquée.

L’intérêt de cet arrêt est en outre d’appliquer ce corps de règles à une discrimination visée par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes.


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