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Licenciement fondé sur l’état de santé : discriminatoire et manifestement déraisonnable

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 avril 2021, R.G. 2018/AB/443

Mis en ligne le jeudi 9 décembre 2021


Cour du travail de Bruxelles, 12 avril 2021, R.G. 2018/AB/443

Terra Laboris

Par arrêt du 12 avril 2021, la Cour du travail de Bruxelles fait droit à une demande d’indemnité pour licenciement discriminatoire et également manifestement déraisonnable : dès lors que le caractère discriminatoire de la rupture est constaté, elle retient que celle-ci est manifestement déraisonnable vu que quand bien même elle est liée à l’aptitude du travailleur, elle n’aurait jamais été décidée par un employeur normal et raisonnable.

Les faits

Une société de logements sociaux a engagé un jardinier en 1995. Celui-ci sera ultérieurement réaffecté à une autre fonction (carreleur).

En 2014, un contrôle périodique de santé recommande de limiter la manutention régulière de charge supérieure à 15 kilos. À partir du mois de janvier 2015, l’intéressé tombe en incapacité de travail et celle-ci, initialement de 10 jours est prolongée jusque fin février de l’année suivante. La reprise du travail est ainsi prévue pour le 1er mars 2016.

Dans l’intervalle, une demande de réparation de maladie professionnelle a été introduite en septembre 2015, pour des remaniements dégénératifs débutants (prédominants en C5-C6-C7) avec une protrusion discale pouvant être à l’origine d’une radiculopathie.

Un examen de santé périodique effectué en septembre 2015 a conclu à l’aptitude pour l’emploi de carreleur (et surfaceur) avec recommandation d’une affectation à un poste administratif pendant un mois.

Le 4 janvier 2016, alors qu’il est toujours en incapacité de travail, l’intéressé est licencié. Une indemnité compensatoire de préavis est payée et le C4 mentionne comme motif du chômage une réorganisation du travail liée à l’inaptitude du travailleur au dernier travail pour raison médicale et à son absence de plus ou moins un an.

L’organisation syndicale à laquelle l’ouvrier est affilié prend contact avec la société considérant que le licenciement est discriminatoire. Celle-ci conteste, faisant valoir qu’une réorganisation a été nécessaire, les tâches de l’intéressé ayant été réparties entre les autres travailleurs. Elle expose également que cette nouvelle organisation est devenue définitive suite à l’absence de longue durée de l’intéressé et qu’elle n’a pas d’autre poste de travail à lui offrir compte tenu de ses aptitudes et capacités.

Une procédure est introduite devant le Tribunal de travail de Bruxelles, qui par jugement du 21 décembre 2017 a condamné la société au payement d’une somme de 19 000€, indemnité due au caractère discriminatoire du licenciement. Le tribunal n’a pas statué sur une demande de paiement de l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable prévue à la CCT n° 109 (introduite à titre subsidiaire)
La société interjette appel.

La décision de la cour

Le rappel des principes effectués par la cour porte sur les règles en matière de discrimination directe et indirecte, dont elle reprend les définitions et composantes. Elle revient également sur les principes en matière de preuve, la charge de celle-ci ayant été aménagée par la loi du 10 mai 2007. Renvoi est également fait à l’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 12 février 2009 (C. const, 12 février 2009, n°17/2009), qui a précisé l’étendue de la preuve à charge de la personne qui s’estime victime d’une discrimination.
Elle en vient ensuite à l’indemnisation, telle qu’organisée par la même loi, en son article 18§2.

En l’espèce, le critère invoqué est celui de l’état de santé. Le travailleur doit dès lors démontrer l’existence de faits laissant présumer une discrimination sur cette base, s’agissant de l’état de santé actuel ou futur. S’il y parvient, il incombe ensuite à la société de démontrer qu’elle ne s’est pas rendue coupable d’une discrimination.

La cour souligne que la loi n’a pas défini la notion d’état de santé actuel ou futur mais que ses termes sont clairs, la notion couvrant tous les éléments relatifs à l’état de santé du travailleur au moment de la mesure litigieuse et dans le futur par rapport à ce moment. Renvoi est fait ici à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 9 janvier 2019 (C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2019, R.G. 2016/AB/380).

Les éléments du dossier démontrent qu’existent des faits laissant présumer prima facie une discrimination directe sur la base de l’état de santé actuel. Plusieurs éléments sont repris, étant notamment que le licenciement est intervenu pendant une période d’incapacité de travail et au moment où un nouveau certificat médical a été remis, les mentions du C4 ainsi que les explications données par l’employeur dans ses conclusions.

Dès lors il appartient à celui-ci d’établir qu’il n’y a pas eu discrimination. La société faisant état de nécessités économiques, la cour se déclare non convaincue par ces explications, qui constituent « un postulat théorique », la société ayant exposé qu’elle ne pouvait pas organiser l’équipe de manière stable vu les absences de l’intéressé (et les modalités de celles-ci). Par ailleurs les chiffres communiqués ne sont pas déterminants et la cour considère d’ailleurs qu’ils prêtent à discussion à plus d’un égard. Elle conclut d’un examen circonstancié des arguments avancés que la société ne démontre pas que la distinction directe constatée était objectivement justifiée par un but légitime et encore moins que le licenciement aurait constitué un moyen approprié et nécessaire de réaliser pareil objectif. Le motif de réorganisation est davantage une « opération de cosmétique » de nature à rendre plus acceptable la décision de licencier que comme le véritable élément déterminant de la mesure.

Le jugement est dès lors confirmé à cet égard.

La cour passe ensuite à un second volet, étroitement lié au premier, étant une indemnité pour absence d’aménagement du poste de travail, indemnité qui n’a pas été accordée par le tribunal et pour laquelle l’intéressé forme appel incident. L’obligation de l’employeur de mettre en place des aménagements raisonnables concerne l’hypothèse d’un handicap (et non de l’état de santé). Le refus de cette mise en place est, selon l’article 14 de la loi du 10 mai 2007, une discrimination. Pour la cour il faut, dans cette hypothèse que quatre conditions soient réunies, étant (i) une personne affectée d’un handicap, (ii) une demande de mettre en place des aménagements pour celle-ci, (iii) le caractère raisonnable des aménagements demandés et (iv) un refus de mettre ceux-ci en place.

La cour reprend ici l’apport de la Cour de justice sur la notion de handicap, et ce dans ses principaux arrêts. Elle cite en extrait les affaires DAOUIDI (C.J.U.E, 1er décembre 2016, C-395/15, DAOUIDI c/ BOOTES PLUS SL E.A), CONEJERO (C.J.U.E, 18 janvier 2018, C-270/16, CONEJERO c/ FERROSER SERVICIOS AUXILIARES SA) et MILKOVA (C.J.U.E, 9 mars 2017, C-406/15, MILKOVA c/ IZPALNITELEN DIREKTOR NA AGENTSIATA ZA PRIVATIZATSIA I SLEDPRIVATIZATSIONEN KONTROL), sur le caractère durable de la limitation exigée. Celui-ci doit être examiné au regard de l’état d’incapacité en tant que tel de la personne concernée à la date à laquelle est intervenu l’acte prétendument discriminatoire. Parmi les indices figure notamment le fait que, à la date de ce fait, l’incapacité de la personne concernée ne présente pas une perspective bien délimitée quant à son achèvement à court terme ou (…) le fait que cette incapacité est susceptible de se prolonger significativement avant le rétablissement de la personne.

C’est au juge de renvoi que revient la tâche de se fonder sur l’ensemble des éléments objectifs dont il dispose, en particulier sur des documents et des certificats relatifs à l’état de cette personne, établis sur la base des connaissances et des données médicales et scientifiques actuelles.

Elle souligne encore que le législateur européen a utilisé le terme de « handicap », qui diffère de celui de « maladie » et qu’une assimilation des deux notions ne peut se faire.

Elle en vient ensuite à la notion d’aménagement raisonnable, dont elle relève qu’il peut consister en l’offre d’un autre poste de travail dans une fonction différente (renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 18 janvier 2018 R.G. 2016/AB/991 qui a estimé que l’employeur a satisfait à son obligation d’accorder des aménagements raisonnables en proposant à une institutrice de maternelle un poste de secrétaire dans une autre école).

Enfin, renvoyant à l’arrêt DW c/ NOBEL PLASTIQUES IBERICA S.A. (C.J.U.E, 11 septembre 2019, C-397/18, DW c/ NOBEL PLASTIQUES IBERICA S.A. ), qui a visé un aménagement des locaux, une adaptation des équipements, des rythmes de travail, de la répartition des tâches ou de l’offre de moyens de formation ou d’encadrement, et ce sans imposer à l’employeur une charge disproportionnée, tenant compte notamment des coûts financiers et autres, de la taille et des ressources financières de l’entreprise et de la possibilité d’obtenir des fonds publics ou toutes autres aides.

La cour examine les motifs pour lesquels le premier juge a débouté le demandeur originaire de ce chef de demande et conclut qu’il y a lieu de confirmer la conclusion du tribunal étant l’absence avérée d’un handicap. L’intéressé ne démontre en effet ni être victime d’un handicap, ni avoir introduit une demande d’aménagement raisonnable, ni encore avoir été victime d’un refus de mise en place de celui-ci. La demande introduite auprès du Fonds des maladies professionnelles n’est pas une demande d’aménagement ? d’autant qu’il n’est pas établi que l’employeur en avait connaissance.

En ce qui concerne, enfin, la durée de l’incapacité de travail, la cour déduit que l’incapacité a été longue mais qu’elle présentait néanmoins une perspective d’achèvement à court terme empêchant de qualifier les limitations de l’intéressé de durables.

Enfin, la cour aborde un autre point également rejeté par le tribunal, étant une demande d’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable. Elle reprend ici également les principes. Elle constate que le premier juge n’a pas tranché la question, cette demande étant formée à titre subsidiaire. La cour s’en saisit donc. Partant de la prémisse que le licenciement est discriminatoire et que la société n’apporte pas la preuve de ce qu’un autre motif aurait fondé sa décision, elle conclut que celui-ci est manifestement déraisonnable vu que quand bien même il est lié à l’aptitude du travailleur, il n’aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable. L’indemnité demandée étant le maximum de la fourchette et son quantum n’étant pas discuté, c’est ce montant qui est alloué.

Intérêt de la décision

Deux points peuvent être soulignés, étant d’une part le cumul autorisé entre une indemnité pour licenciement discriminatoire et celle prévue pour licenciement manifestement déraisonnable. La conclusion de la cour à cet égard est brève, puisqu’elle considère qu’à partir du moment où il y a discrimination, un tel licenciement n’aurait – même si il est lié à l’aptitude du travailleur – pas été décidé par un employeur normalement prudent et diligent.

La seconde question d’intérêt est l’exposé relatif aux deux critères protégés, étant l’état de santé et le handicap. La cour s’inspire des principes dégagés par la cour de justice dans sa jurisprudence et l’on ne peut que renvoyer à ces arrêts. Ils ont été précédemment commentés.
Au fil des arrêts la notion d’aménagement raisonnable a été considérablement affinée, celui-ci pouvant prendre de nombreuses formes : aménagement des locaux, adaptation des équipements, des rythmes de travail, de la répartition des tâches ou encore de l’offre de moyens de formation ou d’encadrement. Le critère est dans la détermination de celui-ci qu’i ne convient cependant pas d’exiger de l’employeur que celui-ci constitue une charge disproportionnée. Dans cette appréciation interviennent l’examen des coûts financiers et autres, la taille et les ressources financières de l’entreprise ainsi que la possibilité d’obtenir des fonds publics ou toutes autres aides.


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