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Mesures d’un plan social touchant spécifiquement les travailleurs âgés et questions de discrimination

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 mai 2021, R.G. 2018/AB/156

Mis en ligne le jeudi 9 décembre 2021


Cour du travail de Bruxelles, 5 mai 2021, R.G. 2018/AB/156

Terra Laboris

Par arrêt du 5 mai 2021, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que pour la Cour de Justice constitue un objectif légitime permettant de procéder à des distinctions entre catégories de travailleurs lors d’un plan social la protection des travailleurs plus jeunes et l’aide à leur réinsertion professionnelle, tout en tenant compte de la nécessité d’une juste répartition des moyens financiers limités du plan social.

Les faits

Un technicien, engagé par une importante société belge en 1982 est passé du statut d’ouvrier à celui d’employé en 1991, devenant ensuite responsable du service et à partir de 2005 conseiller en prévention. Il a réduit ses prestations de travail à partir de 2012 dans le cadre d’un crédit-temps.

Il exerce par ailleurs une activité d’indépendant complémentaire depuis 1986 (agriculteur).

En 2014, la société a informé son conseil d’entreprise de son intention de cesser son activité de production sur un de ses sites et de procéder à un licenciement collectif. L’intéressé fut informé du fait qu’il était en droit de bénéficier du régime de chômage avec complément d’entreprise. Il a décliné cette proposition, au motif que son statut d’indépendant complémentaire ne le permettait pas.

Dans le cadre du protocole d’accord conclu entre la société et les représentants des travailleurs, il s’est retrouvé repris dans la liste des travailleurs concernés par le régime de chômage avec complément d’entreprise, ce qu’il a contesté. Entre-temps, deux conventions collectives internes ont été conclues, d’une part pour les travailleurs visés par la restructuration de la société (CCT licenciements) et de l’autre pour ceux visés par le chômage avec complément d’entreprise.

L’intéressé a alors confirmé sa position, exposant que le régime était difficilement compatible avec son activité complémentaire et qu’il sollicitait le bénéfice des indemnités prévues par la CCT licenciements. Il considérait que toute décision contraire serait discriminatoire. Il lui fut répondu que, dans la mesure où il remplissait les conditions pour bénéficier du régime de chômage avec complément d’entreprise, il était exclu de la CCT d’entreprise licenciements.

En conséquence, la société considérait ne pas avoir d’autre choix que de mettre un terme au contrat de travail moyennant respect des dispositions de la loi du 3 juillet 1978. Une indemnité de rupture lui fut dès lors versée, de même qu’une indemnité de reclassement.

Le travailleur licencié mit alors la société en demeure de lui payer une indemnité complémentaire de préavis ainsi qu’une prime de départ (de même que les primes relatives à l’assurance pension extra-légale et l’assurance hospitalisation).

Dans le même temps, le Ministre de l’emploi informa la société qu’elle pouvait être considérée comme étant en restructuration et qu’elle était ainsi dispensée de l’obligation de remplacement pour les travailleurs mis en chômage avec complément d’entreprise, dispense qu’elle pouvait appliquer à la condition d’âge jusqu’à 54 ans et prévoir un préavis réduit, qui ne pouvait être inférieur à 26 semaines.

La procédure ayant été introduite devant le Tribunal du travail du Brabant-Wallon (div. Wavre), celui-ci statua par jugement du 21 février 2018, déboutant le demandeur.

La décision de la cour

La cour est en premier lieu saisie d’une question de nullité du jugement, dans la mesure où, l’intéressé s’estimant victime d’une discrimination (sur la base de l’âge), la cause aurait dû être communiquée au ministère public, ce qui n’a pas été le cas. La cour du travail rappelle qu’il s’agit d’une nullité procédurale d’ordre public et que la partie qui invoque cette nullité ne doit pas démontrer que la non-communication au ministère public a nui à ses intérêts.

Quant au fond, la cour examine le champ d’application de la CCT licenciements. La contestation porte en effet sur celui-ci. Elle reprend son article premier, en vertu duquel la convention s’applique aux employés et aux ouvriers de la société occupés dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée et qui sont licenciés dans le cadre de la restructuration, à l’exception des employés et des ouvriers qui sont visés par la convention collective relative au régime de chômage avec complément d’entreprise.

Tout en constatant que l’intéressé avait le droit de refuser d’être licencié dans le cadre du régime avec complément d’entreprise, la cour rappelle que ce refus n’a pas pour conséquence qu’il aurait pu bénéficier des dispositions de l’autre convention, étant expressément exclu de son champ d’application.

Elle examine ensuite le texte des conventions, un débat ayant surgi à propos du sens à donner aux clauses conventionnelles. La cour rappelle que le juge apprécie souverainement la portée d’une convention en tenant compte de l’intention commune des parties, ce qui est la jurisprudence constante de la Cour de Cassation (renvoyant notamment à Cass., 20 novembre 2009, n° C.08.0507.F) principe à combiner avec d’autres, à savoir le respect de la foi due aux actes, la prééminence de la preuve écrite et le principe de la convention-loi. La commune intention des parties ressortira soit des éléments intrinsèques soit extrinsèques à l’acte à interpréter. Ainsi la manière dont la convention a été exécutée est un élément extrinsèque dont le juge peut tenir compte. Pour la cour, la volonté des partenaires sociaux était dès le départ de distinguer les travailleurs pouvant bénéficier du régime de chômage avec complément d’entreprise et ceux ne l’étant pas.

Elle en vient ensuite à la discrimination liée à l’âge, reprenant les règles énoncées par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination.

Elle revient assez longuement sur les décisions rendues sur la question de la preuve, épinglant l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 février 2009 (C. const., 12 février 2009, n° 17/2009) ainsi que l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 6 décembre 2012 (C.J.U.E., 6 décembre 2012, n° C-152/11, JOHANN ODAR c/ BAXTER DEUTSCHLAND GMBH, EU:C:2012:772), où elle a apprécié la conformité d’une législation nationale (droit allemand) relative au montant d’une indemnité due en cas de motif économique et fixée de manière spécifique pour les travailleurs âgés de plus de 54 ans. Pour la Cour de justice, cette différence de traitement sur la base de l’âge était justifiée objectivement et raisonnablement par la protection des travailleurs plus jeunes et l’aide à leur réinsertion professionnelle, tout en tenant compte de la nécessité d’une juste répartition des moyens financiers limités d’un plan social.

Elle avait également renvoyé à un précédent arrêt rendu le 12 octobre 2010 (C.J.U.E. (Gde Chambre), 12 octobre 2010, INGENIØRFORENINGEN I DANMARK c/ REGION SYDDANMARK, EU:C:2010:600), où elle avait retenu que constitue un objectif légitime le souci d’éviter qu’une indemnité de licenciement ne bénéficie pas à des personnes qui ne cherchent pas un nouvel emploi mais qui vont percevoir un revenu de substitution sous forme d’une pension de vieillesse.

La cour du travail rappelle également que dans sa jurisprudence la Cour de justice a jugé que les moyens mis en œuvre pour réaliser ces objectifs étaient appropriés et nécessaires et qu’ils n’excédaient pas ce qui est requis pour atteindre l’objectif poursuivi. D’autres références sont encore faites à la Cour de justice sur le caractère non discriminatoire d’une législation excluant du droit à une indemnité spéciale de licenciement les travailleurs éligibles à une pension de retraite à la date de leur licenciement.

Elle reprend également un arrêt de la Cour de cassation française (Cass. fr. (ch. soc.), 15 avril 2015, n° 13-18849) pour une différence de traitement dû à l’âge des travailleurs, concernant ceux susceptibles immédiatement après leur licenciement ou dans un délai inférieur à deux ans de bénéficier de droits à la retraite au taux plein.

Dans le cas d’espèce, la cour constate que l’intéressé n’est pas exclu de la CCT licenciements vu son âge mais parce qu’il remplit les conditions pour bénéficier des avantages de l’autre convention collective. A supposer, pour la cour, qu’il y ait une différence de traitement liée à l’âge, celle-ci est objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime de politique de l’emploi. Et l’arrêt de renvoyer à cet égard aux emplois ayant pu être maintenus vu les protocoles signés.

Elle constate que si les travailleurs âgés d’au moins 54 ans avaient pu choisir à leur guise de bénéficier de l’un ou de l’autre régime, le plan social n’aurait pas eu les mêmes résultats. Vu le cadre des dispositions arrêtées dans les deux conventions, la cour confirme que l’employeur n’avait qu’une seule possibilité, étant de licencier conformément aux règles habituelles, constatant qu’en réalité le travailleur demandait à être avantagé vu sa situation personnelle.

Intérêt de la décision

Ainsi que repris dans l’arrêt annoté, la Cour de Justice est intervenue à plusieurs reprises sur la question particulière d’une discrimination invoquée eu égard à l’âge, s’agissant de situations invoquées où le travailleur se trouvait soit dans la situation du ‘travailleur âgé’ soit dans celle plus claire encore de celui qui va prendre sa pension de retraite, étant qu’il va bénéficier d’un revenu de remplacement et ne sera plus soumis, à l’instar de collègues plus jeunes, aux aléas du marché du travail.

L’examen de la Cour a en général abouti à la reconnaissance de la légitimité du but poursuivi, même si un traitement différent était décidé pour ces travailleurs et les autres, dès lors que la politique de l’emploi était invoquée (et avérée) et que les moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs poursuivis étaient vérifiés sur le plan de leur proportionnalité et de leur pertinence (nécessité).

La conclusion de la cour du travail est, dès lors, conforme aux principes ainsi dégagés.

L’on rappellera plus particulièrement dans les arrêts de la Cour de Justice ceux rendus en grande chambre le 12 octobre 2010 et 19 avril 2016 (C.J.U.E., 12 octobre 2010, Aff. n° C-499/08, INGENIØRFORENINGEN I DANMARK c/ REGION SYDDANMARK, EU:C:2010:600 ; C.J.U.E., 19 avril 2016, Aff. n° C-441/14, DANSK INDUSTRI c/SUCCESSION RASMUSSEN, EU:C:2016:278, ce dernier précédemment commenté).


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