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Une mutuelle est-elle une autorité administrative au sens de la loi relative à la motivation formelle des actes administratifs ?

Commentaire de C. trav. Mons, 18 janvier 2007, R.G. 7.782/2005

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Mons, 18 janvier 2007, R.G. n° 7.782/2005

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Dans un arrêt du 18 janvier 2007, la Cour du travail de Mons considère que, lorsqu’elle fournit des prestations dans le cadre du régime obligatoire, la mutuelle est une autorité administrative pour les actes qu’elle prend en cette qualité, avec la conséquence que les décisions annulant l’inscription en qualité de titulaire et réclamant le remboursement d’un indu doivent être motivées selon les règles prévues par la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs.

Les faits

M. X a travaillé comme indépendant puis a émargé au CPAS.

Sa mutuelle lui a remboursé des frais de soins de santé, sur la base d’une demande d’inscription et d’une déclaration sur l’honneur selon lesquelles il a déclaré avoir été employé salarié.

Via la banque carrefour de la sécurité sociale, la mutuelle s’est aperçue que M. X avait exercé une activité d’indépendant et non d’employé.

Par une première décision, notifiée par lettre ordinaire, elle a informé M. X qu’elle devait annuler son inscription en qualité de titulaire « registre National » depuis le début et procéder à la récupération des soins de santé éventuellement perçus, en tenant compte de la prescription de deux ans.

En effet, une inscription dans le régime « Registre National » ne peut se faire après une activité indépendante qu’après un passage de deux ans en assurance continue ou si la cessation d’activité est due à une faillite non frauduleuse.

Par une deuxième décision, notifiée cette fois par lettre recommandée, la mutuelle a alors informé M. X du montant total de l’indu à récupérer.

Après rappel, la mutuelle a déposé une requête pour obtenir un titre exécutoire.

Le premier juge a considéré que les lettres de la mutuelle sont insuffisamment motivées, a procédé à leur annulation et a estimé que seule la requête avait interrompu la prescription de deux ans, en sorte que les prestations payées antérieurement à ce délai sont prescrites.

La mutuelle a interjeté appel du jugement.

La position des parties

Pour la mutuelle, le premier juge, après avoir correctement considéré qu’il s’agissait bien d’un indu, a fait une application erronée de la loi du 29 juillet 1991 en décidant que la décision de la mutuelle est un acte administratif, devant dès lors être motivée.

La mutuelle considère ne pas être une autorité administrative au sens de la loi du 29 juillet 1991, qui fait référence à l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat.

Elle estime que de toute manière ses lettres sont motivées et n’ont pas lésé les droits de son assuré, qui n’a pas pu se méprendre sur l’étendue de ses droits.

M. X fait défaut.

La décision de la Cour

La Cour du travail de Mons rappelle qu’on entend par autorités administratives, au sens de l’article 1er de la loi du 29 juillet 1991, les autorités administratives au sens de l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat.

Or, l’article 14 précité ne définit pas en soi ce qu’il faut entendre par « autorité administrative ».

Pour la Cour, cette notion ne se confond pas nécessairement avec celle d’autorité capable d’uniquement prendre un acte susceptible de constituer l’objet d’un recours en annulation devant la section d’administration du Conseil d’Etat car ce n’est pas la nature de l’acte au sens de l’article 14 précité qui compte mais bien la nature de l’autorité qui intervient.

Quand une mutuelle fournit des prestations s’inscrivant dans un régime d’ordre public et qu’en ce faisant elle rend un service public de soins de santé sous la tutelle et le contrôle de l’INAMI, la mutuelle apparaît indubitablement, pour la Cour du travail, comme une autorité administrative, du moins pour les actes qu’elle prend en cette qualité, et ce même si ces actes ne peuvent faire l’objet d’un recours en annulation devant la section d’administration du Conseil d’Etat.

La Cour du travail rappelle que même des particuliers ou des organismes privés peuvent être considérés comme « autorités administratives », lorsqu’ils sont investis d’une mission d’intérêt général ou d’ordre public et se voient attribuer le pouvoir de prendre des décisions présentées comme unilatérales sous le contrôle de l’administration.

Et la Cour du travail de citer l’INAMI.

C’est donc à juste titre que le premier juge a fait application de la loi du 29 juillet 1991 pour les décisions contestées.

Par contre, la Cour considère que les décisions litigieuses sont suffisamment motivées au sens des articles 2 et 3 de ladite loi même si elles ne renvoient pas explicitement à une disposition précise de la législation applicable. En effet, elles reprennent la référence explicite aux éléments de fait qui sous-tendent les décisions et énoncent le contenu de la règle de droit applicable.

Enfin, la Cour du travail considère (il n’est pas précisé si ce moyen est soulevé d’office ou à la demande de la mutuelle qui invoquait pourtant initialement la prescription de deux ans) qu’il convient d’appliquer le délai de prescription de cinq ans et non de deux ans car il y a manifestement eu manœuvre frauduleuse dans le chef de M. X, vu notamment sa déclaration sur l’honneur clairement mensongère.

L’intérêt de la décision

La définition de l’autorité administrative fait l’objet d’une jurisprudence abondante, en perpétuelle évolution et dont les contours sont parfois malaisés à cerner avec précision.

Il est habituellement fait référence à trois critères :

  • un critère organique : la personne qui adopte l’acte est-elle soumise à une influence déterminante des pouvoirs publics ?
  • un critère fonctionnel : poursuit-elle une mission d’intérêt général ?
  • un critère matériel : dispose-t-elle d’un pouvoir de décision contraignant à l’égard des tiers ou de prérogatives exorbitantes conférées par la loi ?

Selon la Cour de cassation, ces trois critères sont cumulatifs en sorte que les deux premiers critères ne suffisent pas (voyez Cass. 14 février 1997,Pas. 1998, p. 284 ; Cass. 10 septembre 1999, n° C.98.0141.F et Cass. 10 juin 2005, in C.D.P.K. 2006, n°2, p. 420 et note V. VERDEYEN, p. 323-343 ; J.MARTENS, Une société de logement social est-elle une autorité administrative ?, Journ.Jur. 2005, liv. 45, p. 6 ; X. DELGRANGE et B. LOMBART, « La loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs : questions d’actualité », in La motivation des actes administratifs : une croyance contagieuse. Actes du colloque organisé par les F.U.S.L., le 16 septembre 2004 et références citées).

Force est de constater que la Cour du travail ne s’est pas beaucoup appesantie sur la réunion ou non de ces trois critères et plus particulièrement du troisième (voyez J. MARTENS, « La charte de l’assuré social, le privilège du préalable et la décision administrative exécutoire », Chron. Dr. Soc. 2006, p. 571 à 576).

Par ailleurs, la Cour du travail de Mons n’aurait-elle pas pu, dans le respect des droits de la défense, appliquer les articles 13, 14 et 15 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la Charte de l’assuré social et/ou l’article 295ter de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 portant exécution de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 ?

Ces dispositions visent aussi la motivation et le contenu obligatoire, notamment, des décisions de récupération et il n’est pas contesté que les mutuelles sont des institutions coopérantes de sécurité sociale au sens de l’article 2, 2° b) de la loi du 11 avril 1995.


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