Terralaboris asbl

Récupération d’indu dans le régime A.M.I. des travailleurs indépendants

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 18 mai 2021, R.G. 2016/AN/133 et 2016/AN/159

Mis en ligne le lundi 29 novembre 2021


Cour du travail de Liège (division Namur), 18 mai 2021, R.G. 2016/AN/133 et 2016/AN/159

Terra Laboris

Par arrêt du 18 mai 2021, la Cour du travail de Liège (div. Namur) rappelle les règles de prescription en matière de récupération d’indu dans le secteur A.M.I. des travailleurs indépendants, les indemnités ayant en l’occurrence été payées pour une période couverte ultérieurement par des prestations en matière de pension de retraite.

Les faits

Un bénéficiaire d’indemnités d’incapacité de travail (secteur des indépendants) a demandé, à l’âge de 59 ans, des renseignements à l’I.N.A.S.T.I. sur ses droits à la pension à partir de son soixantième anniversaire. Il s’agissait d’une simple information et il a continué à être indemnisé par son organisme assureur A.M.I.
Il a sollicité le bénéfice de sa pension de retraite dix-huit mois plus tard environ, avec effet rétroactif au premier jour du mois suivant celui de son soixantième anniversaire et a déclaré à l’I.N.A.S.T.I percevoir des indemnités d’incapacité de travail depuis la même date et y renoncer, autorisant l’O.N.P. (à l’époque) à prélever celles-ci sur les arriérés de pension.

Sa pension lui a été accordée et l’I.N.A.S.T.I. a transmis au S.F.P. (ex-O.N.P.) un ordre de paiement pour la prestation en cause.
L’I.N.A.S.T.I. a omis de communiquer la déclaration de l’intéressé qui autorisait le S.F.P. à prélever les indemnités auxquelles il avait renoncé.
Les arriérés de pension lui ont ainsi été payés, sans retenues des indemnités d’incapacité de travail.

Il a rapidement déclaré à l’I.N.A.S.T.I. avoir perçu la totalité de sa pension sans que ne soit intervenue une correction en faveur son organisme assureur. L’I.N.A.S.T.I. en a alors informé le S.F.P.

Sept mois plus tard, l’organisme assureur a notifié à l’intéressé une décision de récupération d’indu portant sur un montant de l’ordre de 18.000 euros, la décision étant interruptive de prescription.

Vu la situation, le S.F.P. a procédé à des retenues sur les versements de pension (de l’ordre de 85€ par mois) et ce à la demande de l’organisme assureur. Ce dernier a parallèlement introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Liège (div. Namur).

Le tribunal l’a débouté, le condamnant à rembourser le montant en principal à majorer des intérêts. Il l’a également condamné aux dépens.

L’I.N.A.S.T.I ayant également été appelé à la cause, il a été décidé de l’omission du rôle en ce qui le concerne.

Appel a été interjeté par l’assuré social, l’affaire se complexifiant, du fait de la mise en cause du précédent conseil (l’appelant ayant introduit une procédure de désaveu).

La cour a ainsi été amenée à rendre trois arrêts.

Les arrêts de la cour

L’arrêt du 15 janvier 2019

Ce premier arrêt constate en premier lieu la nullité du jugement rendu, le siège du tribunal n’ayant pas été régulièrement composé, cette nullité du jugement (qui n’est pas liée à la validité de la saisine du tribunal ni à la compétence des juridictions du travail) étant sans effet sur la saisine de la cour, qui est régulière. Elle concerne également les questions non tranchées par le tribunal (dont une demande dirigée par l’organisme assureur contre l’I.N.A.S.T.I.).

La cour s’interroge notamment sur l’effet interruptif de la prescription invoquée dans le courrier de l’organisme assureur et ordonne une réouverture des débats pour permettre aux parties d’examiner cette question ainsi que de préciser notamment les dates de paiement exactes des mensualités concernées.
Elle considère également qu’il faut déterminer à quelle date est né le droit de la mutuelle, question qui soulève l’application possible de l’article 17 de la Charte de l’assuré social.

L’arrêt du 17 décembre 2019

Dans ce bref arrêt, la cour reprend la question centrale du litige, qui est de déterminer à quel titre ont été versées les indemnités litigieuses, c’est-à-dire au titre d’indemnités d’incapacité de travail « ordinaire » ou au titre d’ « avances » sur la pension de retraite dans l’attente de l’instruction du dossier de pension.

La thèse des « avances » avait en effet été soulevée par l’organisme assureur dans ses conclusions précédentes et la première réouverture des débats avait notamment pour but de fournir des éléments factuels à l’appui de cette seconde hypothèse. Or, l’invitation de la cour n’a pas été suivie d’effet.

Elle prononce dès lors un nouvel arrêt de réouverture des débats, ordonnant à l’organisme assureur - par application des articles 871 et 877 et suivants du Code judiciaire - la production en copie certifiée conforme à l’original de l’ensemble du dossier administratif et particulièrement des décisions d’octroi sur la base desquelles ont été payées les indemnités litigieuses.

L’arrêt du 18 mai 2021

La cour vide sa saisine.

Sur la question de la prescription, elle rappelle l’article 174, 5° de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 rendu applicable au régime des indépendants par l’article 82 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 instituant une assurance indemnités et une assurance maternité en faveur des travailleurs indépendants et des conjoints aidants. Celui-ci vise la prescription applicable, qui est de deux ans à compter de la fin du mois au cours duquel le paiement des prestations a été effectué. Elle passe ensuite aux modes d’interruption, la réglementation prévoyant qu’une lettre recommandée a cet effet. Celle-ci peut être renouvelée. Si elle n’est soumise à aucune condition de forme particulière, elle doit néanmoins constituer une manifestation de la volonté du créancier (qui relève de la teneur de l’acte plutôt que de sa simple existence) d’exercer son droit et d’obtenir le paiement d’une créance suffisamment identifiée pour qu’il puisse être vérifié qu’il s’agit de la même que celle qui fait l’objet de la procédure ultérieure au cours de laquelle se pose la question de la prescription. En l’espèce, des actes interruptifs valables sont intervenus et la cour conclut que la prescription n’est pas acquise.

Quant au fond, elle rappelle que l’intéressé a fait un choix qui est de percevoir sa pension de retraite avec effet rétroactif et de renoncer aux indemnités d’incapacité de travail. Les paiements effectués par l’organisme assureur ne sont pas le fruit d’une erreur et il n’y a pas lieu de renvoyer à l’article 17, alinéa 2 de la Charte de l’assuré social. Sur les conditions de celui-ci, la cour relève pour autant que de besoin que l’intéressé devait nécessairement savoir que les indemnités deviendraient indues avec effet rétroactif s’il venait à demander le bénéfice d’une pension couvrant la même période. L’assuré social est dès lors condamné à rembourser le montant en cause sous déduction de ce qui a été récupéré par la voie de retenues.

Intérêt de la décision

Le cumul entre des indemnités AMI et une pension (retraite ou survie) est en principe interdit.

Cependant, l’article 235 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 autorise un cumul partiel. Il prévoit en effet que, sans préjudice des dispositions figurant dans la législation en matière de pension, le titulaire d’indemnités qui peut faire valoir ses droits dans ce secteur (ou à tout autre avantage tenant lieu de pension accordé par un organisme de sécurité sociale belge ou étranger, par un pouvoir public, un établissement public ou d’utilité publique) peut prétendre selon qu’il a ou non des personnes à charge à un montant égal à la différence entre 150% (s’il a des personnes à charge) ou 125% (s’il n’en a pas) de l’indemnité d’incapacité de travail fixée pour le titulaire ayant des personnes à charge et le montant de la pension ou de l’avantage en tenant lieu évalué en jours ouvrables (sans toutefois pouvoir dépasser le montant journalier de l’indemnité qui lui serait allouée s’il n’y avait pas de cumul).

Cette possibilité de cumul partiel a été invoquée par l’assuré social mais a été rejetée par la cour, et ce au motif de l’existence d’une renonciation expresse aux indemnités dans son chef, ce qui figurait dans un document transmis à l’I.N.A.S.T.I. lorsqu’il sollicita le bénéfice de la pension.

Relevons à cet égard que l’article 104bis de la loi cordonnée autorise la renonciation aux indemnités d’incapacité de travail. Cette disposition a été exécutée par l’article 236bis de l’arrêté royal du 3 juillet 1996, qui organise les modalités de cette demande de renonciation. Celle-ci peut dans les conditions qu’il prévoit intervenir rétroactivement. L’article 236bis, dernier alinéa, dispose que le titulaire peut également annuler la renonciation aux indemnités qui avaient été accordées (et ce aux mêmes conditions que celles visées pour la demande de renonciation elle-même). Rien de tel n’était apparemment intervenu.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be