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Complément aux allocations familiales : conditions du caractère non rémunératoire

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er avril 2021, R.G. 2019/AB/650

Mis en ligne le lundi 29 novembre 2021


Cour du travail de Bruxelles, 1er avril 2021, R.G. 2019/AB/650

Terra Laboris

Par arrêt du 1er avril 2021, la Cour du travail de Bruxelles, statuant sur renvoi suite à un arrêt de la Cour de cassation du 25 mars 2019, s’écarte de la thèse de l’O.N.S.S. sur les conditions du caractère rémunératoire ou non de compléments accordés aux allocations familiales par un employeur.

Les faits

Une société dépendant de la sous-commission paritaire n° 327.03 (entreprises de travail adapté de la Région wallonne et Communauté germanophone) a mis en place un « plan cafétéria » en faveur de certains de ses travailleurs employés. Elle octroie à six de ceux-ci un montant mensuel qualifié de « complément aux allocations familiales légales ». Ce montant est équivalent aux allocations familiales perçues par chacun de ces travailleurs.

Suite à un contrôle, l’O.N.S.S. informe la société qu’il va procéder à des rectifications des déclarations trimestrielles pour la période concernée, rectifications relatives à cet avantage, considéré comme rémunératoire.

Une notification intervient et est notifiée en date du 2 juin 2014, l’O.N.S.S. précisant que les avantages accordés en complément des allocations familiales légales ne sont acceptés que si l’objectif de l’employeur est effectivement d’octroyer un complément aux allocations familiales et si l’indemnité garde encore le caractère de complément. L’O.N.S.S. déclare admettre un montant de 50€ par mois et par enfant à charge (soit 600€ par an) et précise qu’en cas de dépassement de ces montants, la totalité de la somme versée doit être considérée comme de la rémunération passible de cotisations de sécurité sociale.

En l’espèce, l’Office constate que les montants admis sont dépassés et que l’intention initiale de la société n’était pas de compléter les montants octroyés par le régime des allocations familiales puisqu’elle ne généralise pas l’octroi de ce complément à tout son personnel avec enfants mais uniquement à ceux dont une partie de la rémunération a été renégociée à cette fin.

Tout en payant le montant réclamé (de l’ordre de 17.000€), la société a introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Liège (division Neufchâteau) en contestation. En cours de route, le montant réclamé par l’O.N.S.S. a été majoré et a été porté à plus de 21.000€.

En première instance, le Tribunal du travail de Liège (division Neufchâteau) a débouté la société par jugement du 17 juillet 2015, jugement dont il a été interjeté appel.

L’arrêt de la cour du 8 mars 2017

La cour a réformé ce jugement par arrêt du 8 mars 2017, condamnant l’O.N.S.S. à rembourser le montant versé. Elle a réservé à statuer en ce qui concerne les montants définitifs.

L’O.N.S.S. s’est pourvu en cassation contre cet arrêt.

L’arrêt de la Cour de cassation du 25 mars 2019

Sur conclusions conformes de M. l’Avocat général GENICOT, la Cour a cassé cet arrêt, accueillant la première branche du moyen.

L’O.N.S.S. se fondait sur la notion de « rémunération » au sens de la loi du 12 avril 1965 et de celle du 27 juin 1969, rappelant particulièrement l’alinéa 3, 1°, c), de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 selon lequel ne sont pas de la rémunération pour l’application de la loi les indemnités payées directement ou indirectement par l’employeur qui doivent être considérées comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale. Il poursuivait que, pour être considéré comme un tel complément, l’indemnité en cause doit avoir pour objet de compenser la perte des revenus du travail ou l’accroissement des dépenses provoqués par la réalisation d’un des risques couverts par les diverses branches de la sécurité sociale.

En l’espèce il avait pu être constaté que la société avait réduit la rémunération brute des employés excédant les barèmes minima, substituant à cet excédent des « avantages alternatifs », qu’elle considérait comme exonérés de cotisations sociales. Ces avantages étaient qualifiés de complément aux allocations familiales et étaient équivalents au montant de celles déjà perçues par chacun d’entre eux. Pour d’autres travailleurs, les avantages étaient qualifiés d’avantage « chauffage » ou « électricité ». Les six employés concernés avaient ainsi vu le montant de leur rémunération nette globale (complément aux allocations familiales inclus) majoré de l’ordre de 3%. Pour les ouvriers et employés dont la rémunération brute était trop proche pour être réduite, la société l’avait augmentée de 3% également (en brut).

Vu ces éléments, il était fait grief à l’arrêt de ne pas justifier légalement sa décision qu’il s’agissait d’un avantage ayant pour objet de compenser l’accroissement des dépenses provoqué par la réalisation d’un des risques couverts par la sécurité sociale.

Dans son avis, M. l’Avocat général a conclu que cette branche du moyen était fondée et que la cour du travail n’avait pas justifié légalement sa décision, s’étant bornée à retenir qu’en raison de l’exonération de cotisations sociales sur le complément d’allocations familiales, le travailleur percevait un montant supérieur de 13,07% à celui de sa rémunération brute initiale.

Dans son arrêt du 25 mars 2019 (Cass., 25 mars 2019, n° S.17.0048.F), la Cour a confirmé que par ces considérations, l’arrêt ne justifiait pas légalement sa décision que le montant qualifié de complément aux allocations familiales n’avait pas ce caractère, les avantages en cause ne constituant pas des compléments qui majoraient le montant des allocations familiales elles-mêmes.

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 1er avril 2021

L’affaire est revenue devant la Cour du travail de Bruxelles, à qui la cause avait été renvoyée par la Cour de cassation.

La cour du travail rappelle la thèse de l’O.N.S.S., résumée en quatre points, étant que (i) l’objectif initial de la société n’est pas un objectif social mais uniquement financier vu l’absence de généralisation du système à l’ensemble des travailleurs ayant des enfants à charge, (ii) l’octroi des indemnités est réalisé en violation de l’article 45 de la loi du 27 juin 1969, étant réservé à six employés uniquement et ce alors qu’il n’est pas démontré que ceux-ci forment une catégorie distincte, (iii) les indemnités litigieuses n’ont pas le caractère de complément dès lors qu’il y a une perte d’un avantage social dans le chef des travailleurs concernés en ce qu’ils sont privés des avantages sociaux découlant de la rémunération qu’ils auraient dû percevoir et (iv) le montant de l’indemnité dépasse celui admis par l’Office.

La cour souligne d’emblée qu’elle ne partage pas cette position.

Elle renvoie à plusieurs décisions de la Cour de cassation, dont un arrêt du 15 février 2016 (Cass., 15 février 2016, n° S.14.0071.F) pour énoncer dans un rappel des principes que doit être considérée comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale l’indemnité qui a pour objet de compenser la perte des revenus du travail ou l’accroissement des dépenses provoqués par la réalisation d’un des risques couverts par les diverses branches de la sécurité sociale et ce même si son octroi est, par ailleurs, soumis à des conditions étrangères à ces risques.

Ainsi, il n’est pas exigé qu’existe une identité ou une correspondance avec les conditions légales d’octroi de la prestation sociale considérée. De même, le juge du fond n’est pas tenu de vérifier si l’indemnité est payée à des travailleurs qui ont déjà bénéficié d’avantages similaires accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale (la cour renvoyant ici aux conclusions du Ministère public précédant Cass., 10 septembre 1990, Pas., 1991, n° 12).

Par ailleurs, ainsi que jugé notamment dans l’arrêt de la Cour de cassation du 15 février 2016 ci-dessus, la cour rappelle que l’article 45 de la loi du 27 juin 1969 n’affecte pas la notion de rémunération définie à l’article 14, §§ 1er et 2 de la même loi. De même pour une éventuelle violation de la loi du 10 mai 2007 (discrimination).

Pour la cour, l’exclusion de la notion de rémunération ne contient pas de restriction. Le montant de l’indemnité (équivalent aux allocations familiales légales) n’est ni déraisonnable ni excessif.
Par ailleurs, la pratique administrative qui plafonne le montant de l’indemnité exonérée de cotisations à 50€ n’a pas de valeur obligatoire. Enfin, la circonstance qu’il s’agisse d’un « plan cafétéria » en vue d’une optimisation salariale n’ôte pas aux indemnités en cause le caractère de complément tel qu’il a été admis ci-dessus.

Elle considère, en conclusion, que l’appel est fondé et condamne l’O.N.S.S. à rembourser le montant versé. Une réouverture des débats est ordonnée sur les montants définitifs.

Intérêt de la décision

La Cour du travail de Bruxelles retient, dans cet arrêt, une acception large de la notion de complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale, soulignant que la seule condition est que l’indemnité octroyée doit avoir pour objet de compenser la perte des revenus du travail ou l’accroissement de dépenses provoqués par la réalisation d’un des risques couverts par les diverses branches de la sécurité sociale.

Cet octroi peut par ailleurs être soumis à des conditions étrangères à ces risques, aucune identité ou même correspondance ne devant exister avec les conditions légales d’octroi de la prestation sociale en cause.

M. l’Avocat général GENICOT a rappelé dans ses conclusions avant l’arrêt de la Cour du 25 mars 2019 en la présente affaire l’arrêt du 15 février 2016 de la Cour : dès lors que l’indemnité a pour objet de compenser cette perte de revenus ou l’accroissement de dépenses venant en conséquence de la réalisation d’un risque couvert par la sécurité sociale, elle a le caractère de complément aux avantages accordés, et ce au sens de l’article 2, alinéa 3, 1°, c) de la loi du 12 avril 1965.

Il s’agissait dans l’affaire soumise à la Cour de cassation dans son arrêt du 15 février 2016 également d’un complément aux allocations familiales perçues pour les enfants du ménage à des conditions de fonction et d’ancienneté de travailleurs qui ne répondaient cependant pas strictement aux conditions d’octroi habituelles des prestations familiales elles-mêmes.

M. l’Avocat général avait nuancé la règle en précisant que « ce n’est ainsi que par référence à ces conditions telles que relatives à la fonction ou l’ancienneté du travailleur, distinctes en l’occurrence de celles habituellement prévues par les prestations familiales proprement dites, qu’il est permis d’affirmer et dans cette seule meure que n’est pas ainsi exigée une rigoureuse correspondance ou identité avec leurs strictes conditions d’octroi » Il ajoute que lui paraît toujours s’imposer l’exigence fondamentale d’un lien de nature compensatoire entre l’indemnité complémentaire et l’accroissement des dépenses, lien qui constitue l’essence même de toutes les allocations familiales.


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