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Montant des allocations familiales et libre circulation des travailleurs

Commentaire de C.J.U.E., 12 mai 2021, Aff. n° C-27/20 (PF et QG c/ CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES (CAF) D’ILLE-ET-VILAINE), EU:C:2021:383

Mis en ligne le lundi 15 novembre 2021


Cour de Justice de l’Union européenne, 12 mai 2021, Aff. n° C-27/20 (PF et QG c/ CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES (CAF) D’ILLE-ET-VILAINE), EU:C:2021:383

Terra Laboris

Dans un arrêt du 12 mai 2021, la Cour de Justice de l’Union européenne examine les conditions d’octroi des allocations familiales en droit français et leur conformité au droit communautaire. Renvoyant à sa jurisprudence constante en matière de libre circulation des travailleurs dont le principe est garanti aux articles 45 T.F.U.E. et 7 du Règlement n° 492/2011, la Cour conclut en l’espèce qu’est en cause non une contrariété éventuelle avec le droit de l’Union, mais le droit interne lui-même.

Les faits

Des ressortissants français bénéficiaient des allocations familiales pour leurs quatre enfants mineurs à charge. Le paiement de celles-ci a été interrompu, le père ayant été détaché auprès de la Cour de Justice de l’Union européenne à Luxembourg pour une période de trois ans. A son retour en France à l’issue de celle-ci, et vu sa réintégration dans son emploi d’origine, les revenus ont baissé.

Une demande d’allocations familiales a été introduite auprès de la caisse, le couple considérant que les revenus à prendre en compte devaient être ceux à la date de la demande, alors que la disposition du Code de la sécurité sociale (R 532-3) fixe comme année de référence l’avant-dernière année précédant la période de paiement. La caisse a alloué, en réponse, un montant d’allocations familiales de l’ordre de 115 euros (le montant perçu avant le détachement étant d’environ 460 euros).

Le couple a introduit une procédure devant le Tribunal de grande instance de Rennes. Il considère que la décision administrative est contraire aux articles 20 et 45 T.F.U.E. ainsi qu’aux Règlements n° 883/2004 et 492/2011. Il voit également dans la disposition une violation du principe d’égalité de traitement.

La décision du tribunal

Le tribunal français rappelle d’abord le principe de la libre circulation des travailleurs, qui implique l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité. La question posée en l’espèce est de savoir s’il y a discrimination et, à supposer que tel soit le cas, si celle-ci peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Il est incompatible avec le droit de l’Union qu’un travailleur ressortissant d’un Etat membre qui a fait usage des facultés offertes par le Traité en matière de libre circulation soit traité moins favorablement à son retour dans cet Etat membre que celui qui n’aurait pas fait un tel usage.

Une question est dès lors posée à la Cour de Justice.

La question préjudicielle

La question concerne l’interprétation des dispositions ci-dessus (articles 20 et 45 T.F.U.E. et articles 4 du Règlement n° 883/2004 et 7 du Règlement n° 492/2011). Le juge national demande si le droit de l’Union s’oppose à la disposition nationale visée en ce qu’elle retient comme année de référence pour le calcul des prestations familiales l’avant-dernière année précédant la période de paiement. L’application de cette disposition nationale fait que si l’allocataire connaît, après une augmentation substantielle de ses revenus, une chute de ceux-ci consécutive à son retour dans son Etat d’origine, il y aurait contrariété au principe de la libre circulation, puisque ceci ne toucherait pas les résidents qui n’ont pas exercé ce droit.

La décision de la Cour

Une précision est donnée en premier lieu en ce qui concerne le champ d’application de l’article 45 T.F.U.E., la Cour renvoyant à plusieurs décisions de sa jurisprudence ayant posé le principe qu’un ressortissant de l’Union travaillant dans un Etat membre autre que son Etat membre d’origine et qui a accepté un emploi dans une organisation internationale relève du champ d’application de cette disposition. Dès lors qu’il travaille pour une institution ou un organe de l’Union, il ne peut se voir refuser le bénéfice des droits et avantages sociaux que lui procure l’article 45 T.F.U.E.

Elle écarte ensuite la référence à l’article 20 du Traité, vu que, s’il institue la citoyenneté de l’Union, il se borne à prévoir que les citoyens de celle-ci jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par le Traité. De même, pour les règlements de coordination en matière de sécurité sociale, les fonctionnaires de l’Union ne pouvant être qualifiés de « travailleurs » au sens du Règlement n° 883/2004, puisqu’ils ne sont pas soumis à une législation nationale de sécurité sociale.

Enfin, l’article 7 du Règlement n° 402/2011 traduit le principe de non-discrimination de l’article 45 dans le domaine spécifique des conditions d’emploi et de travail et il doit, pour la Cour, être interprété de la même façon que celui-ci.

C’est dès lors au regard de ces deux dispositions que la Cour analyse la question.

La réglementation nationale fixant le montant des allocations familiales en fonction de celui des revenus perçus au cours de l’année civile de référence (avant-dernière année précédant la période de paiement) et s’appliquant indistinctement à tous les travailleurs indépendamment de leur nationalité, la disposition n’est pas source d’une discrimination directe fondée sur ce critère.

Dans plusieurs décisions, dont dans son arrêt ADRIEN (C.J.U.E., 6 octobre 2016, Aff. n° C-466/15, ADRIEN e.a. c/ PREMIER MINISTRE e.a., EU:C:2016:749), la Cour a jugé, dans l’examen d’une entrave éventuelle à la libre circulation des travailleurs prohibée par l’article 45, § 1er, T.F.U.E., que la disposition s’oppose à toute mesure qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité ou à la résidence, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice par les ressortissants de l’Union des libertés fondamentales garanties par le Traité F.U.E.

Celui-ci vise à faciliter l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur l’ensemble du territoire de l’Union et s’oppose à une mesure nationale qui viendrait défavoriser les ressortissants souhaitant exercer une activité économique sur le territoire d’un autre Etat membre. D’autres décisions ont confirmé ce principe (dont C.J.U.E., 21 janvier 2016, Aff. n° C-515/14, COMMISSION EUROPÉENNE c/ RÉPUBLIQUE DE CHYPRE, EU:C:2016:30 et C.J.U.E., 7 mars 2018, Aff. n° C-651/16, DW c/ VALSTS SOCIĀLĀS APDROŠINĀŠANAS AĢENTŪRA, EU:C:2018:162).

En l’occurrence, les bénéficiaires des allocations familiales qui ont exercé leur droit à la libre circulation ne sont pas traités moins favorablement que ceux qui ne l’ont pas exercé, puisque la disposition tient compte de variations dans les revenus, à la hausse comme à la baisse, et les mêmes modalités de calcul sont appliquées à tous. Ce n’est dès lors pas l’exercice du droit à la libre circulation en tant que tel qui a entraîné une diminution du montant des allocations, mais la circonstance que les revenus perçus lors du déplacement dans un autre Etat membre ont été plus élevés.

La Cour rejette en outre un argument des demandeurs selon lequel s’ils n’avaient pas exercé leur droit à la libre circulation, ils auraient, malgré l’augmentation de revenus, continué à percevoir pendant deux ans les allocations familiales majorées en France, et ce alors même que les revenus courants auraient excédé le plafond fixé par la réglementation nationale et que ce n’aurait été qu’à partir de la troisième année que les allocations auraient baissé.

Pour la Cour, est ici critiqué le fait de ne pas avoir pu continuer à percevoir les allocations familiales majorées pendant leur déplacement dans un autre Etat membre, et ce dans la perspective d’une éventuelle compensation en cas de retour. La Cour rappelle ici – et toujours avec l’arrêt ADRIEN (auquel elle ajoute l’arrêt ERZBERGER c/ TUI AG C.J.U.E. du 18 juillet 2017, Aff. n° C-566/15, EU:C:2017:562) – que le droit primaire ne peut garantir à un assuré qu’un déplacement sera neutre en matière de sécurité sociale, et notamment en matière de prestations de maladie ou de vieillesse, voire d’allocations familiales.

La circonstance que les requérants n’ont pas pu bénéficier des allocations familiales pendant leur déplacement et que celles perçues lors du retour ne se trouvent pas pendant deux ans en adéquation avec leurs revenus ne peut constituer un traitement moins favorable, contraire à la libre circulation des travailleurs. La conclusion vaut tant au regard de l’article 45 T.F.U.E. que de l’article 7 du Règlement n° 492/2011.

La conclusion de la Cour est dès lors que la disposition du droit français n’est pas contraire au droit européen, celui-ci ne s’opposant pas à la réglementation qui retient comme année de référence l’avant-dernière année précédant la période de paiement, de sorte qu’en cas d’augmentation substantielle de revenus perçus par un fonctionnaire national lors d’un détachement auprès d’une institution de l’Union européenne située dans un autre Etat membre, le montant des allocations familiales se trouve fortement réduit pendant deux ans lors du retour de ce fonctionnaire dans son Etat membre d’origine.

Intérêt de la décision

Plusieurs arrêts importants ont été rappelés dans l’arrêt commenté.

Ainsi, dans son arrêt du 6 octobre 2016 (ADRIEN – précédemment commenté), la Cour de Justice a repris des principes importants en ce qui concerne la notion d’entrave au sens du T.F.U.E. Il s’agissait de fonctionnaires français détachés auprès de la Cour de Justice de l’Union européenne en qualité d’agents temporaires. Ceux-ci contribuaient au régime de pension de l’Union et pouvaient ainsi bénéficier de prestations dans ce cadre juridique. Ainsi, après dix années de service, ils étaient en droit de percevoir une pension. Si le détachement ne dure pas dix ans, ils ont droit, selon la durée du service accompli, soit à une allocation de départ (équivalente au triple des sommes retenues sur le traitement de base pour la contribution de pension), soit au versement de l’équivalent actuariel des droits à la pension d’ancienneté acquis auprès de l’Union (ou à un fonds de pension). En vertu du droit français, un fonctionnaire détaché au sein d’une institution ou d’un organe de l’Union doit choisir. La Cour de Justice avait conclu à une entrave injustifiée au principe de la libre circulation des travailleurs garantie par l’article 45 T.F.U.E.

Rappelons en outre son arrêt du 13 juillet 2016 (C.J.U.E., 13 juillet 16, Aff. n° C-187/15, PÖPPERL c/ LAND NORDRHEIN-WESTFALEN, EU:C:2016:550 – précédemment commenté). Il s’agissait d’une question de pension de vieillesse, l’examen étant fait par rapport au droit allemand. La Cour de Justice y avait repris les règles en matière de libre circulation des travailleurs, insistant, comme réaffirmé dans l’ensemble de sa jurisprudence, sur le fait que des mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le Traité ne peuvent en principe être admises. Les seules restrictions autorisées sont que de telles mesures doivent poursuivre un objectif d’intérêt général, être propres à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elles ne peuvent aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

Dans cet arrêt, il avait également été renvoyé à son arrêt du 21 janvier 2016 (COMMISSION EUROPEENNE c/ REPUBLIQUE DE CHYPRE – précédemment commenté). Cet arrêt revient régulièrement, pour les principes qu’il contient, dans l’arrêt commenté.


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