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Demande d’arriérés de rémunération et changement d’employeur : conditions de la responsabilité délictuelle

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 12 avril 2021, R.G. 19/946/A

Mis en ligne le lundi 15 novembre 2021


Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), 12 avril 2021, R.G. 19/946/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 12 avril 2021, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons) aborde – sans toutefois pouvoir vider sa saisine dans ce premier jugement – les difficultés relatives à la mise en cause de la responsabilité délictuelle de l’employeur, vu une demande de paiement d’arriérés de rémunération formée par une concierge ayant presté pour plusieurs entités successives.

Les faits

Une concierge, au service d’une copropriété depuis de très longues années, prestait, selon son contrat initial signé avec une A.S.B.L., à raison de deux heures par jour du lundi au vendredi, soit un horaire de 10 heures par semaine. Parallèlement à ce contrat, elle effectue au moment de la rupture (2018) des travaux d’entretien et des tâches administratives pour un secrétariat social situé à la même adresse. Dans le cadre de ce second contrat de travail, elle bénéficie d’un logement de fonction. Celui-ci appartient à l’employeur qui l’occupe dans le cadre du premier contrat. Entre temps, cependant, l’A.S.B.L. a été remplacée par une copropriété.

A partir de l’année 2014, elle a été fréquemment absente, les périodes d’absence de longue durée se situant surtout dans les années 2016 à 2018. Elle est licenciée de son second contrat (secrétariat social) en 2018 moyennant préavis à prester. Ce licenciement n’est pas contesté.

En mai 2019, elle est également licenciée par la copropriété, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Ce licenciement est expliqué par l’employeur par une réorganisation des procédures internes due au déménagement de l’intéressée, qui est intervenu trois mois auparavant, celle-ci ayant quitté son logement de fonction pour s’établir ailleurs. Les motifs concrets du licenciement sont néanmoins demandés à la copropriété, et ce conformément à la C.C.T. n° 109. La concierge estime en outre qu’il y a lieu de régulariser son temps de travail, la durée de prestations étant insuffisante.

La réponse donnée quant aux motifs concrets du licenciement est que, suite à la rupture du second contrat, elle a perdu l’avantage en nature dont elle bénéficiait (logement de fonction) et qu’elle ne remplissait plus les tâches qui lui incombaient, hors le fait d’ouvrir et de fermer les portes en début et en fin de journée. Il lui est ainsi fait grief de ne plus être accessible à des heures déterminées de la journée et de ne plus pouvoir signaler des imprévus journaliers. Ses absences des années antérieures sont également reprises, l’employeur rappelant qu’elle était la seule concierge de l’immeuble.

Une procédure est introduite contre ce dernier en vue d’obtenir une régularisation de l’indemnité compensatoire de préavis, le paiement d’un jour férié, une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable et des arriérés de rémunération, limités dans la requête à 1 euro provisionnel.

La décision du tribunal

Le tribunal est confronté, en premier lieu, à la question de l’identité de l’employeur. En effet, au moment du licenciement l’A.S.B.L. qui a engagé la demanderesse a été dissoute et la liquidation est clôturée depuis plusieurs années. Concomitamment, l’association des copropriétaires a été fondée. Le tribunal constate en outre que la travailleuse a appelé à la cause uniquement le syndic de l’association des copropriétaires (S.R.L). Il souhaite dès lors que des précisions soient apportées quant au lien juridique entre l’A.S.B.L. qui a signé le contrat de travail et l’association des copropriétaires. L’intéressée sollicite en effet des arriérés de rémunération qui remontent à la période où l’A.S.B.L. existait toujours. L’étendue des droits transférés à l’association des copropriétaires est à vérifier, de même que le contrat de travail avec cette association.

Le tribunal aborde cependant d’ores et déjà les chefs de demande, le premier étant relatif au non-respect de la durée minimale de travail, tant en ce qu’elle porte sur l’exigence d’un tiers-temps que sur les périodes de travail journalières.

La première question est de savoir si l’intéressée a exercé une activité de concierge au profit de l’association des copropriétaires. Le tribunal souligne que la qualité de « concierge » n’est pas définie en droit belge et qu’il faut dès lors se référer au sens usuel du terme. Il renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 2 novembre 2016 (C. trav. Bruxelles, 2 novembre 2016, R.G. 2014/AB/911), qui a retenu, conformément au droit commun, qu’il faut entendre par « concierge » le travailleur assigné à un immeuble, dont il a pour fonction de garder des bâtiments à vocation professionnelle, des locaux de dépôt ou des immeubles d’habitation.

Revoyant les tâches décrites dans le contrat de travail initial, le tribunal conclut que l’intéressée occupait de telles fonctions. Celles-ci sont par ailleurs indépendantes de la nature ou de l’activité de l’employeur. Ainsi, peuvent occuper un concierge tant des personnes de droit privé que de droit public, des personnes morales ou des personnes physiques, ou encore des organismes à but de lucre ou à finalité sociale.

Le tribunal renvoie ensuite aux règles cumulatives relatives à la durée minimale d’occupation et conclut que la demande est fondée en son principe, l’intéressée devant se voir allouer la rémunération équivalente à un tiers-temps, étant, sur base de 38 heures par semaine, un total hebdomadaire de 12 heures 40. L’employeur signalant que la disposition légale (article 11bis de la loi du 3 juillet 1978) date du 26 juillet 1996, la question se pose des droits de l’intéressée pour la période antérieure. Sur cette question également, le tribunal ordonne une réouverture des débats.

Il balaie ensuite un argument de l’employeur selon lequel la concierge devrait être considérée comme un travailleur investi d’un poste de direction ou de confiance. Les conditions légales de l’exception ne sont en effet pas rencontrées en l’espèce, l’arrêté royal du 10 février 1965 ne concernant que les concierges « dans une entreprise commerciale ou industrielle », ce que n’est pas l’association des copropriétaires, puisqu’en vertu de l’article 577-5, § 3, alinéa 1er, du Code civil, une telle association ne peut avoir d’autre patrimoine que les meubles nécessaires à l’accomplissement de son objet, qui consiste exclusivement dans la conservation et l’administration de l’immeuble ou du groupe d’immeubles bâtis.

Le tribunal ordonne encore la réouverture des débats sur un point intéressant, étant qu’à défaut de mention des horaires dans le contrat de travail, se pose la question de la conformité de la situation de l’intéressée (qui n’aurait travaillé qu’une heure le matin et une heure le soir) avec l’obligation de prévoir une durée minimum de trois heures par « période de travail », notion à préciser.

Sur la question de la rémunération, vient se greffer en outre l’examen de la prescription, étant de déterminer s’il y a eu infraction continuée qui a pris cours lors de l’engagement le 16 janvier 1989. L’imputabilité de l’infraction doit également être établie, question qui découle de l’examen de la relation juridique entre les divers acteurs.

Enfin, le bien-fondé des motifs invoqués à l’appui du licenciement ne peut être examiné, selon le jugement, sans que ne puisse être vérifié l’horaire de travail exact de l’intéressée, qui devrait permettre de contrôler les heures de présence contractuellement convenues – aucun grief ne pouvant être fait pour des périodes hors champ contractuel.

Intérêt de la décision

Ce jugement témoigne de la difficulté de statuer d’une part en cas de changement d’employeur en cours de contrat alors que les deux sont susceptibles de voir leur responsabilité pénale mise en cause et d’autre part en cas de non-respect de la législation en matière de minimum de durée d’occupation.

S’agissant de réclamer des arriérés de rémunération, la partie demanderesse peut en effet faire valoir la prescription délictuelle. Encore faut-il que l’imputabilité de l’infraction puisse être déterminée et, à cet égard, se pose non seulement la question de la succession des employeurs (personnes juridiques) dans le temps, mais en outre celle du rôle du syndic.

Doit en premier lieu être établie l’étendue des droits transférés entre les deux sociétés. De même, les conditions contractuelles mises par l’association des copropriétaires à la relation de travail à partir du moment où elle a repris le rôle d’employeur ainsi que les relations juridiques entre l’association des copropriétaires et son syndic (le syndic ayant également changé au fil du temps), et ce aux fins de déterminer qui est responsable sur le plan délictuel.

En effet, comme l’a souligné le tribunal, si le syndic agit uniquement comme mandataire de l’association, l’unité d’intention doit être prouvée dans le chef de l’association, indépendamment des changements de syndic. Par contre, celle-ci peut également agir par l’intermédiaire du syndic, auquel cas la preuve de l’unité d’intention suppose la preuve que chaque syndic successif a consciemment participé à la mise en place et la perpétuation d’un « système » conçu pour échapper à ses obligations de droit social (14e feuillet).

L’affaire est dès lors à suivre, sur ces différentes questions.

Ajoutons encore que le tribunal a eu l’occasion de préciser, dans ce jugement, qu’au sens de l’arrêté royal du 10 février 1965 est personne de confiance un concierge occupé dans une entreprise commerciale ou industrielle. Il exclut, en conséquence, le concierge dont l’employeur n’est pas une telle entreprise.


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