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Pompiers volontaires : taux de la rémunération pour des gardes à domicile

Commentaire de Cass., 21 juin 2021, n° S.19.0071.F

Mis en ligne le lundi 15 novembre 2021


Cour de cassation, 21 juin 2021, n° S.19.0071.F

Terra Laboris

Par arrêt du 21 juin 2021, la Cour de cassation a cassé un arrêt de la Cour du travail de Mons du 20 décembre 2018, qui avait fixé à 100% le taux de la rémunération revenant à des pompiers volontaires pour des gardes à domicile qu’elle avait considérées comme temps de travail et non comme périodes de repos selon les critères dégagés par la Cour de Justice dans sa jurisprudence récente.

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Mons du 20 décembre 2018 (R.G. 2017/AM/146). En substance, cet arrêt a considéré que, dès lors qu’un pompier (volontaire) se voit imposer des règles de rappel très contraignantes (intervention dans un très bref délai, proximité géographique imposée, caractère obligatoire du respect de l’astreinte sous peine de sanction), les périodes d’astreinte doivent être considérées comme du temps de travail et qu’il s’agit d’une prestation qui doit être rémunérée à 100%. La Cour de cassation n’a pas suivi la position de la cour du travail sur le taux de la rémunération.

Le pourvoi

Le pourvoi développe deux moyens.

Le premier moyen vise l’identification de l’employeur.

Le second moyen comporte quatre branches, la Cour examinant la première, la quatrième et, ensuite, la troisième.

Elle va conclure à la cassation de l’arrêt, accueillant le second moyen en sa troisième branche.

La décision de la Cour

Sur le premier moyen

La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 204 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile, les membres des services d’incendie, qui, sur la base d’un contrat d’engagement, sont en service auprès d’une commune en tant que sapeurs-pompiers volontaires, deviennent du personnel opérationnel de la zone de secours dont fait partie cette commune et sont en principe soumis au statut applicable aux membres du personnel opérationnel de la zone. La commune reste ainsi l’employeur des pompiers volontaires jusqu’à la date à laquelle le service d’incendie est intégré dans la zone de secours, qui devient alors leur employeur. La commune reste tenue au paiement des dettes de rémunération existantes.

Sur la première branche du second moyen

Cette partie du moyen porte sur l’article 8, § 1er, alinéa 2, de la loi du 14 décembre 2000 fixant certains aspects de l’aménagement du temps de travail dans le secteur public, interprété conformément à l’article 2 de la Directive n° 2003/88/CE. Cet article définit la durée du travail : c’est le temps pendant lequel le travailleur est à la disposition de l’employeur.

La Cour rappelle les principes dégagés dans l’arrêt MATZAK (C.J.U.E., 21 février 2018, Aff. n° C-518/15, VILLE DE NIVELLES c/ MATZAK, EU:C:2018:82) : le facteur déterminant pour la qualification du temps de travail au sens de la Directive est le fait que le travailleur est contraint d’être physiquement présent au lieu déterminé par l’employeur et de s’y tenir à la disposition de celui-ci pour pouvoir fournir immédiatement les prestations appropriées en cas de besoin.

En l’espèce, l’obligation de rester physiquement présent au lieu déterminé par l’employeur ainsi que la contrainte découlant d’un point de vue géographique et temporel de la nécessité de rejoindre le travail dans un délai de huit minutes ont été considérées comme de nature à limiter de manière objective les possibilités que le travailleur a de se consacrer à ses intérêts personnels et sociaux. Il s’agit de temps qui doit être considéré comme temps de travail.

Par ailleurs, la Cour de cassation renvoie également à un arrêt du 9 mars 2021 (C.J.U.E., 9 mars 2021, Aff. n° C-580/19, RJ c/ STADT OFFENBACH AM MAIN, EU:C:2021:183). Les notions de temps de travail et de périodes de repos visées à l’article 2 de la Directive sont exclusives l’une de l’autre. La Cour a notamment considéré que l’impact d’un bref délai (quelques minutes) de réaction doit être évalué au terme d’une appréciation concrète qui tienne compte, le cas échéant, des autres contraintes imposées au travailleur (obligation de demeurer à son domicile sans pouvoir se déplacer librement dans l’attente de la sollicitation de l’employeur), tout comme des facilités qui lui sont accordées au cours de la période de garde. La circonstance qu’en moyenne, le travailleur n’est que rarement appelé à intervenir au cours de celles-ci ne peut faire que ces dernières soient considérées comme « périodes de repos » lorsque l’impact du délai imposé au travailleur est tel qu’il suffit à restreindre de manière objective et très significative la faculté qu’il a de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités. L’article 8, § 1er, alinéa 2, de la loi du 14 décembre 2000 doit être interprété conformément aux principes ci-dessus.

Pour la Cour, la qualification de temps de travail doit faire l’objet d’une appréciation in concreto, compte tenu des contraintes imposées au travailleur de garde à son domicile. L’arrêt attaqué a vérifié ces éléments, justifiant légalement sa décision que les périodes d’astreinte doivent en l’espèce être considérées comme du temps de travail au sens des dispositions ci-dessus.

Sur la quatrième branche du second moyen

Un bref examen de cette branche (qui fait valoir que la décision de la cour du travail serait déduite des articles 10 et 11 de la Constitution) aboutit au rejet de celle-ci, le moyen manquant en fait.

Sur la troisième branche du second moyen

Celle-ci porte sur la rémunération du temps de garde.

La Cour analyse le Règlement organique applicable au personnel du service d’incendie, qui prévoit qu’en service de rappel, est considérée comme temps de service la période relative à l’intervention mais non celle pendant laquelle le pompier volontaire est soumis aux obligations ci-dessus. Pour la Cour, cette disposition est contraire à l’article 8, § 1er, alinéa 2, de la loi du 14 décembre 2000 et à la Directive.

Elle revient sur l’arrêt MATZAK, où elle a rappelé sa jurisprudence constante, étant que la Directive ne règle pas la question de la rémunération des travailleurs et qu’elle n’impose pas aux Etats membres de déterminer la rémunération des périodes de garde à domicile en fonction de la qualification préalable de ces périodes en tant que temps de travail ou périodes de repos. Il n’est dès lors pas interdit de prévoir une rémunération différente pour les périodes pendant lesquelles le pompier volontaire en service de rappel est soumis aux obligations ci-dessus.

En l’espèce, le Règlement contient des dispositions prévoyant une rémunération différente pour différentes catégories de prestations. Parmi celles-ci (intervention, intervention pour destruction de nids de guêpes ou d’abeilles, exercices, théorie, garde au casernement, etc.), figurent les gardes. Il est donc prévu, et ce dans le respect des dispositions légales, que les prestations figurant au Règlement-type ne sont pas toutes rémunérées à un salaire fixé à 1/1976e de la rémunération annuelle brute (ainsi que repris au Règlement organique pour ce qui est de la rémunération à 100%).

La Cour accueille cette branche du moyen, dans la mesure où la cour du travail s’est fondée sur la disposition du Règlement organique prévoyant une rémunération à 100% et qu’elle l’a appliquée pour les heures de garde à domicile.

Intérêt de la décision

Le contentieux créé par la situation des pompiers volontaires est important et l’on doit, comme le fait la Cour de cassation, se référer à des arrêts phares de la Cour de Justice, étant l’arrêt MATZAK ci-dessus (Aff. n° C-518/15) et deux arrêts rendus le 9 mars dernier, dont elle reprend l’affaire RJ c/ STADT OFFENBACH AM MAIN (Aff. n° C-580/19).

L’arrêt du 9 mars 2021 de la Cour de Justice (rendu en Grande chambre) concernait un pompier fonctionnaire qui, en sus de son temps de service réglementaire, effectuait des périodes de garde, également sous régime d’astreinte. Pendant celles-ci, il ne devait pas être présent en un endroit déterminé mais devait être joignable pour rejoindre, si néce pssaire, les limites de la ville dans un délai de vingt minutes, et ce en tenue et dans le véhicule de service.

Quant au second arrêt de la Cour de Justice du même jour (également rendu en Grande chambre – Aff. n° C-344/19, D. J. c/ RADIOTELEVIZIJA SLOVENIJA, EU:C:2021:182), il concernait un technicien spécialisé. Celui-ci travaillait pour la télévision, étant chargé d’assurer le fonctionnement de centres de transmission situés dans un lieu isolé en montagne. En plus de ses prestations de travail normales, il effectuait des services de garde six heures par jour, et ce sous régime d’astreinte. S’il n’était pas obligé de rester sur le lieu du travail, il devait être joignable par téléphone et y retourner dans un très bref laps de temps (une heure). Du fait de la situation géographique de la station, il devait cependant y rester en permanence, dans un logement de fonction.

Les deux juridictions nationales saisies se sont tournées vers la Cour de Justice, qui a statué en Grande chambre et a précisé les contours de la notion de temps de travail au sens de la Directive n° 2003/88/CE.

Il est par ailleurs constant que, si le temps en cause est considéré comme temps de travail et non comme périodes de repos, la Directive est impuissante à dégager une règle en matière de rémunération, puisque cet aspect ne tombe pas dans son champ d’application.

Il faut dès lors se référer à un autre fondement. En l’occurrence, le Règlement-type contient la disposition ad hoc, permettant de rémunérer différemment ce type de prestations. Ce n’est dès lors pas une rémunération à 100% qui pouvait être retenue mais celle prévue par le Règlement-type dans une disposition dérogatoire visant des interventions spécifiques.

Relevons enfin que la Cour de cassation a rendu un second arrêt le même 21 juin dernier (Cass., 21 juin 2021, S. 19.0034.F), dans une affaire similaire, jugée le 20 décembre 2019 par la même cour du travail (C. trav. Mons, 20 décembre 2019, R.G. 2018/AM/330). Cet arrêt a également été cassé pour des motifs du même ordre. Ce second arrêt est inédit.


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