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La Directive n° 79/7/CEE garantit-elle l’égalité de traitement entre travailleurs du même sexe ?

Commentaire de C.J.U.E., 12 mai 2021, Aff. n° C-130/20, YJ c/ INSTITUTO NACIONAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL (INSS), EU:C:2021:381

Mis en ligne le lundi 15 novembre 2021


Cour de Justice de l’Union européenne, 12 mai 2021, Aff. n° C-130/20, YJ c/ INSTITUTO NACIONAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL (INSS), EU:C:2021:381

Terra Laboris

Dans un arrêt du 12 mai 2021, la Cour de Justice de l’Union européenne rappelle que le champ d’application de la Directive n° 79/7/CEE concerne les travailleurs de sexe différent, les discriminations interdites par le texte étant celles subies par les travailleurs en raison de leur appartenance à l’un ou l’autre sexe par rapport à d’autres travailleurs du sexe opposé.

Les faits

Une assurée sociale sollicite sa pension de retraite anticipée. Dans le calcul de celle-ci, l’institution de sécurité sociale espagnole (INSS) n’a pas pris en compte le complément de pension pour maternité (l’intéressée ayant eu trois enfants). Elle estime que ce complément ne doit pas être accordé en cas de pension anticipée.

Un recours est introduit devant le Juzgado de lo Social (tribunal du travail) n° 3 de Barcelone, où est posée par l’intéressée la question d’une discrimination à l’égard des femmes qui, au motif qu’elles ont opté pour un départ à la retraite anticipée, ne peuvent bénéficier dudit complément de pension pour maternité.

Le juge catalan va interroger la Cour de Justice. Il renvoie à l’arrêt rendu par celle-ci à propos de ce complément de pension (complément de pension pour les mères) le 12 décembre 2019 (C.J.U.E., 12 décembre 2019, Aff. n° C-450/18, WA c/ INSS, EU:C:2019:1075). La Cour de Justice y a considéré que la disposition litigieuse de droit espagnol ne relève pas de la dérogation prévue à l’article 4, § 2, de la Directive n° 79/7/CEE, non plus que de celle de l’article 7, § 1er, sous b), et qu’elle constitue une discrimination directe fondée sur le sexe interdite par celle-ci. Pour le juge national, il n’y a pas lieu d’appliquer mutatis mutandis le raisonnement suivi par la Cour à l’égard des femmes qui se trouvent toutes dans la même situation, indépendamment de la forme et de la date d’accès au régime de retraite, bénéficiant du même complément de pension pour maternité.

Il pose dès lors la question de l’exclusion des femmes qui ont opté pour un départ à la retraite anticipée (n’étant pas visés dans cette situation certains de ces départs, notamment pour handicap ou en cas de cessation d’activité pour des raisons qui ne leur sont pas imputables). Il s’agit d’apprécier la conformité de cette disposition au principe de droit de l’Union qui garantit l’égalité de traitement au sens large, non seulement entre hommes et femmes, mais également entre femmes, le régime pouvant être constitutif d’une discrimination directe au sens de la Directive n° 79/7.

La décision de la Cour

La Cour précise, à titre liminaire, que la disposition qui doit être examinée est l’article 4, § 1er, de la Directive, qui dispose que le principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement, par référence notamment à l’état matrimonial ou familial.

Elle rappelle que, dans son arrêt MB du 26 juin 2018 (C.J.U.E., 26 juin 2018, Aff. n° C-451/16, MB c/ SECRETARY OF STATE FOR WORK AND PENSIONS, EU:C:2018:492), elle a repris la notion de discrimination directe fondée sur le sexe au sens de cette disposition, étant qu’il s’agit de toute situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable en raison de son sexe qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable. Pour que la discrimination directe soit fondée sur le sexe, la personne doit avoir été traitée défavorablement en raison de son appartenance à l’un ou l’autre sexe.

La Directive n° 79/7 visant par ailleurs la mise en œuvre progressive du principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, l’on entend par « discrimination fondée sur le sexe » les cas de discrimination entre des travailleurs (sexe masculin) et des travailleuses (sexe féminin). N’est pas visée par la Directive l’égalité de traitement au sens large, c’est-à-dire également l’égalité entre des personnes appartenant au même sexe. Sont visées les situations où des travailleurs sont traités moins favorablement en raison de leur appartenance à l’un ou l’autre sexe par rapport à d’autres travailleurs du sexe opposé.

La Cour de Justice estime en conséquence que la Directive n° 79/7/CEE ne peut trouver à s’appliquer à la situation qui lui est soumise, celle-ci visant en réalité une rupture (éventuelle) d’égalité de traitement entre travailleuses.

La Cour renvoie encore à l’arrêt du 12 décembre 2019 ci-dessus, qui concernait la même réglementation nationale, rappelant que cette affaire concernait un travailleur qui s’estimait traité moins favorablement que des travailleuses, dès lors que le complément de pension en cause lui était refusé, vu qu’il est un homme.

Elle conclut dès lors que la Directive n° 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978 relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale ne trouve pas à s’appliquer à la réglementation nationale qui lui est soumise et qui prévoit, en faveur des femmes ayant eu au moins deux enfants biologiques ou adoptés, un complément de pension pour maternité en cas de départ à la retraite à l’âge légal ou de départ à la retraite anticipée pour certains motifs prévus par la loi, mais non en cas de retraite anticipée volontaire.

Intérêt de la décision

La discrimination fondée sur le sexe interdite par la Directive n° 79/7/CEE est celle qui vise un travailleur traité différemment d’un autre du sexe opposé. La Cour de Justice a refusé, dans cet arrêt du 12 mai 2021, de donner à la Directive une application extensive, qui concernerait les travailleurs du même sexe pour lesquels pourrait exister une rupture du principe d’égalité de traitement.

Cette conclusion était certes annoncée, mais cet arrêt est, à notre connaissance, le premier qui tranche la question de manière explicite.

La Cour avait été amenée, dans un arrêt du 12 décembre 2019, à apprécier la conformité de la législation espagnole à la Directive, mais elle avait, dans ce cas, été saisie par un travailleur masculin qui réclamait à son profit le bénéfice du complément de pension en cause, celui-ci n’étant octroyé qu’aux femmes.

Dans cet arrêt – précédemment commenté –, la Cour avait relevé que le principe de l’égalité de traitement ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la maternité, renvoyant à divers arrêts de sa jurisprudence. Dans le mécanisme légal qui lui était soumis, aucun lien n’est exigé avec la prise d’un congé de maternité ou avec les désavantages qu’aurait subis une femme dans sa carrière suite à son accouchement. De même, l’octroi n’est pas limité aux femmes qui ont accouché, la condition de la prise d’un congé de maternité (dérogation autorisée par la Directive n° 79/7/CEE) faisant ainsi défaut. La Cour avait ainsi pu conclure que le complément de pension en cause ne relève pas des dérogations possibles à l’interdiction de discrimination contenue dans le texte.


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